Accueil A la une Débat : Les banques appelées au chevet de l’économie nationale, le pour et le contre

Débat : Les banques appelées au chevet de l’économie nationale, le pour et le contre

 

A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles et dans la conjoncture actuelle, l’immobilisme s’avère être notre pire ennemi. En impliquant davantage les banques privées et publiques ainsi que des établissements financiers dans les efforts visant à soutenir l’économie nationale, le Chef de l’Etat veut impliquer tout le monde, sans exception aucune, dans ce qu’il a qualifié de  «bataille nationale» lors de la réception au Palais de Carthage du président du Conseil bancaire et financier (CBF), Neji Ghandri. Une démarche défendue par certains experts en économie, mais qui n’est pas sans risques pour bien d’autres qui s’alignent sur la position du Fonds monétaire international. La bonne nouvelle, certaines banques ont déjà franchi le premier pas.

Les institutions bancaires sont aujourd’hui appelées, d’une part, à apporter leur soutien à une économie fragilisée par le diktat des institutions financières internationales, la spéculation et la corruption systémique et, d’autre part, à épargner le citoyen, ne pas le prendre en otage, par le biais des frais et commissions prohibitifs lors de l’octroi d’un crédit. Les recommandations du locataire de Carthage surviennent dans un contexte marqué par un débat qui a tendance à remettre en cause  l’indépendance de la Banque centrale de Tunisie (BCT) suite notamment à l’adoption ,le 6 février dernier,  par l’ARP, d’un amendement qui autorise le financement direct du budget de l’Etat par l’institution d’émission.

Sur un autre plan,  les bénéfices élevés des banques tunisiennes enregistrés, notamment en 2023, atteignant pour certaines d’entre elles  des records, ont conduit à une vague de critiques de la part des citoyens. De plus, les prestations des banques sont souvent critiquées par les usagers.

Une responsabilité partagée

Les banques sont en train de réaliser de grands bénéfices, mais l’économie fait du surplace. C’est une crise mondiale. C’est là où réside le paradoxe, explique à La Presse, le professeur universitaire en sciences économiques, Ridha Chkoundali. La responsabilité est partagée. D’une part, les banques ont profité de la situation pour augmenter les frais et commissions bancaires, ce qui a impacté le taux d’inflation dans le pays. Ceci nous mène à conclure que la BCT a failli à sa mission de contrôle des banques. D’autre part, les taux  d’intérêts appliqués aux crédits accordés à l’Etat par les banques sont encore plus élevés que les taux appliqués par les institutions financières internationales. Ce taux peut aller aujourd’hui jusqu’à 10% , alors qu’il ne dépasse pas les 3% pour les institutions financières internationales. Dans ces conditions, les banques tunisiennes sont de plus en plus enclines à  accorder des prêts à l’Etat qu’au citoyen qui se trouve de fait, relégué  au second plan. 

Notre expert, considère que c’est l’Etat qui a été à l’origine de cette situation, en recourant à l’emprunt intérieur. Selon lui, Kaïs Saïed a mis le doigt sur le problème en évoquant certaines recommandations à l’endroit des banques. «Il est vrai qu’il existe un réel problème au niveau du fonctionnement des banques et le Chef de l’Etat n’a pas eu tort en soulevant certains dysfonctionnements qui ont tôt fait de léser  le citoyen ». 

Ridha Chkoundali estime  que les banques ne prennent pas part au financement de l’économie nationale, avec  des taux d’intérêts très élevés des crédits, mais la faute incombe aussi bien à ces banques qu’à l’Etat qui continue de recourir à l’emprunt intérieur. De plus, il ne faut pas que les prêts accordés par les banques à l’Etat soient destinés à colmater d’autres brèches, comme le paiement des salaires, souligne-t-il.

Le «Policy Mix» comme modèle à suivre impérativement

Notre interlocuteur rappelle qu’il a  présenté une proposition devant l’ARP,  dans le cadre d’une approche économique globale visant à modifier le statut de la BCT. En tenant compte du statut actuel, on voit bien que la BCT est responsable seulement de gérer le taux d’inflation, mais n’a pas d’objectifs liés à la croissance  économique. En dépit de tout cela, la BCT n’a pu maîtriser l’augmentation fulgurante du taux d’inflation. On vit une situation paradoxale à ce niveau, alerte l’expert. Nous avons, d’une part, le gouvernement qui  rejette toute responsabilité dans l’augmentation du taux d’inflation, et, d’autre part, la BCT qui n’endosse pas non plus la responsabilité d’adhésion aux efforts de croissance économique. 

A ce titre, il est bien clair que le statut de la BCT doit être modifié pour l’impliquer davantage dans les projets de croissance économique, comme le souhaite donc le Chef de l’Etat. Ceci doit être réalisé dans le cadre de ce qu’on appelle le «policy mix». Un mécanisme qui requiert la combinaison des politiques budgétaires de l’Etat  et des politiques monétaires  de la BCT.

Retour sur une fausse polémique

Concernant la question de l’indépendance de la Banque centrale, Chkoundali nous explique que c’est une fausse polémique. La Banque centrale doit plutôt  gagner en efficacité. Notre problème réside dans le fait que nous optons actuellement pour le modèle de la Banque centrale européenne qui a tendance toujours à maîtriser l’inflation, au détriment de la croissance, contrairement à la politique de la Federal Reserve Bank aux Etats-Unis qui  cible aussi bien l’inflation que la croissance.

Encore faut-il amender la loi organique relative au Budget de l’Etat datant de 2018. Particulièrement le principe de non-affectation, avec l’ajout d’un article permettant le recours de l’Etat à l’emprunt direct pour financer les dépenses susceptibles de favoriser la croissance, l’investissement et le développement économique. Tout cela aura aussi un impact positif sur les ressources fiscales et sur les finances publiques et nous épargnera d’aller quémander des aides financières.

Notre interlocteur estime en définitive que les prêts accordés à l’Etat par la BCT ou par les banques tunisiennes ne doivent nullement couvrir des dépenses salariales  ou payer d’autres dettes car, dans ce cas, l’Etat subira des effets négatifs non souhaités, comme l’avait prédit le FMI.   

Les réformes coûtent moins cher que les non-réformes

Certes, d’autres experts ne sont pas tout à fait d’accord avec l’analyse avancée par le professeur Ridha Chkoundali. La démarche de l’Etat n’est pas sans risques, soulignent-ils. L’expert économique Ezzeddine Saidane et dans une publication postée sur son compte Face Book, d’ailleurs au titre évocateur (La planche à billets se déchaîne), s’attarde sur l’impact négatif  du prêt de 7 milliards de dinars accordé par la BCT à l’Etat, sur 10 ans avec trois années de grâce et sans intérêts.

Il cite à ce propos les risques d’inflation, l’érosion du pouvoir d’achat, la chute  des réserves en devises, la baisse de la valeur du dinar, la dégradation du bilan de la Banque centrale, après une forte dégradation des bilans des banques ayant fortement prêté à l’État et aux entreprises publiques. Selon lui, «ce prêt a aussi tendance à aggraver la situation de récession économique et à provoquer une probable nouvelle dégradation de la note souveraine de la Tunisie».

Ezzeddine Saidane  ajoute qu’il existe d’autres solutions, comme  «les réformes de redressement de l’économie et par conséquent des finances publiques. Des réformes indispensables, inévitables et qui ont beaucoup trop tardé, selon lui. Des réformes qui coûteraient beaucoup moins cher que les non-réformes».

L’analyse de Saidane  est en harmonie avec celle de l’agence de notation financière internationale Fitch Ratings. Dans son rapport publié en 2023, celle-ci explique que «les bénéfices élevés des banques tunisiennes enregistrés durant le 1e semestre 2023, dissimulent des risques croissants de liquidité et de solvabilité ».  Selon la même source, «le retard pris dans la conclusion d’un accord avec le FMI accule  le gouvernement à être de plus en plus dépendant des banques afin de subvenir à ses importants besoins de financement ».

Engagement des banques : un premier pas est franchi

Au demeurant, les banques tunisiennes n’ont pas trop attendu pour répondre positivement à l’appel du Chef de l’Etat quant à leur implication dans les efforts de croissance et les projets de développement. C’est ainsi que la Banque Internationale Arabe de Tunisie (Biat), représentée en ses membres du conseil d’administration, s’est engagée à prendre des mesures et à réaliser des projets nationaux axés sur deux secteurs : l’engagement sociétal et la consolidation de l’économie nationale.

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Un commentaire

  1. Bta

    23 février 2024 à 06:46

    Il est tout de meme bizarre que l’Etat emprunte aux banques pour servir des salaires. Les banques ont des taux d’intérêt exhortants jusqu’a 12.5% , c’est normal qu’elles dégagent des benefices records.
    Il faudrait impliquer tout ce beau monde Etat, BCT et banques à soutenir les gros investissements, tous les projets petits et grands.
    Un Etat riche est un Etat industrialisé.. par in état rentier.

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