La récente visite du Président de la République dans la vieille ville de Tunis a levé le voile sur des pratiques fort répandues et nuisibles ciblant le patrimoine national, pour le voler, le brader, lui nuire de différentes manières. Mais les temps ont changé.
En empruntant, l’autre jour, les étroites ruelles de la médina de Tunis, le Chef de l’Etat était venu non pas en touriste mais, oserions-nous dire, en «justicier» qui, dossier en main, a mis le doigt sur des anomalies et failles qui portent atteinte au patrimoine historique du pays et à ses abondantes richesses antiques.
Depuis, branle-bas de combat partout. D’abord, chez les habitants des lieux qui ont sans doute apprécié cette visite. Eux qui, inguérissables nostalgiques de père en fils, tiennent mordicus à ce que leur «riche patrimoine reste debout et ne s’érode pas».
Ensuite, auprès des différents acteurs (ministère de la Culture, municipalité de Tunis, association de sauvegarde de la médina et Institut national du patrimoine). Il est vrai que la question est brûlante pour oser lancer le mot « corruption culturelle», dans la mesure où des monuments historiques sont transformés en établissements commerciaux, perdant leur authenticité, et leur attrait touristique. Alors, ayons le courage de poser cette question lancinante : qui condamner ?
Quand les responsabilités sont partagées, personne n’est responsable
«Notre département n’assume aucune responsabilité dans les infractions enregistrées dans la médina de Tunis» nous confie l’attachée de presse du ministère de la Culture, Yosr Hazgui, qui précise: «Nous sommes intervenus pour fermer le chantier en question, mais l’arrêté de démolition de l’établissement ne relève pas des attributions du ministère». Pointée du doigt, elle aussi, l’Association de sauvegarde de la médina de Tunis (Asmt) s’en défend, assurant qu’elle a toujours veillé scrupuleusement à la protection des sites sous sa responsabilité.
Dernièrement, à titre d’exemple, l’ASM a effectivement procédé à suspendre les travaux sur des chantiers ouverts, notamment dans la zone entourant la mosquée Zitouna.
A la municipalité de Tunis, autre acteur principal de ce feuilleton, la responsable de l’information et de la communication, Hanene Torkhani, nous indique que «tout ce qui se passe à la médina est du ressort de l’Asmt». N’empêche que la mairie de la capitale ne cesse de multiplier les réunions tant avec cette association qu’avec l’INP (institut national du patrimoine) dans le cadre du suivi du dossier des bâtiments en délabrement ou menaçant ruine.
Trésors évaporés ?
La visite présidentielle à la médina de Tunis, tout en secouant la léthargie et le laxisme de certains, devrait, entre autres bienfaits, aboutir à dépoussiérer l’encombrant dossier «des biens antiques spoliés». En effet, l’on sait que, d’une part, de précieuses collections faisant partie du patrimoine national avaient mystérieusement disparu aux temps des régimes de Bourguiba et Ben Ali, sans que l’Etat les ait jamais récupérés, et que, d’autre part, des sites archéologiques ont été squattés au cours des trente dernières années et cédés à des particuliers à des fins mercantiles. Les Tunisiens sont en droit de connaître les coupables, et qu’a-t-on fait pour les identifier, et ensuite les juger.
Parallèlement à ces deux dossiers d’une extrême gravité, notre cher patrimoine continue de souffrir sous les coups de boutoir de « la mafia culturelle». Celle-ci, organisée en réseaux de trafic d’antiquités, sévit encore dans plusieurs régions du pays, signalent des sources sécuritaires qui font état de la poursuite des opérations de démantèlement de bandes spécialisées dans le creusement et la fouille des sites archéologiques. Rien que pour la période allant du mois de décembre dernier au mois courant, rapportent les mêmes sources, pas moins de quatre coups à Carthage, Beja, Monastir et Mareth (gouvernorat de Gabès) aboutissant à des saisies, dont des pièces de monnaie, des lingots et un poignard remontant au XVIIe siècle !
Engagement et action
Outre la vigilance sécuritaire, il est réconfortant de remarquer que les organismes s’impliquent de plus en plus dans un effort d’anticipation.
En effet, le ministère de la Culture vient de décider par arrêté, de cibler quelque 91 sites archéologiques à protéger, répartis dans le gouvernorat de Tunis (des zaouïas, palais, immeubles, maisons, thermes romains, temples, ainsi que l’église d’El Omrane et les vestiges de la basilique Bir Ftouha). Il en est de même pour les sites historiques situés dans les gouvernorats suivants : Bizerte (2)La Manouba (5) Béja (4) Le Kef (1) Monastir (10 dont les cinq résidences d’été annexées au palais présidentiel de Skanes) Sousse (3) Sidi Bouzid (3) Tozeur (1) Tataouine (7) Médenine (5) Sfax (1) Kébili (5) et Gabès (30).
Protéger ces sites, c’est bien. Ce serait meilleur d’assurer un suivi constant. L’Institut national du patrimoine a du pain sur la planche. Sa vocation étant la sauvegarde, l’entretien et la restauration des monuments patrimoniaux. En multipliant visites d’inspection, séminaires et journées de formation et œuvrant en collaboration avec des organismes spécialisés représentant plusieurs pays dont la France, l’Italie, la Chine, l’Allemagne, l’Espagne et la Pologne, ledit institut semble bien parti pour la mise en œuvre de la stratégie de l’Etat en matière de sauvegarde du patrimoine et de lutte contre les fossoyeurs des richesses et de l’Histoire de la Tunisie, trois fois millénaire.