Profitant de la mise à disposition syndicale, certains syndicalistes ont donné le mauvais exemple en succombant à la tentation d’abuser de leur position, pour s’assurer des gains financiers et des avantages ou encore pour influencer des décisions en dehors du cadre légal établi.
Au moment où le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (Ugtt) ainsi que les membres de son bureau exécutif continuent à fustiger dans leurs discours ce qu’ils qualifient de mesure répressives visant la centrale syndicale, caractérisées notamment par des poursuites judiciaires et l’annulation de la mise en disponibilité syndicale, plusieurs figures syndicales et politiques pointent du doigt le 25e congrès tenu en février 2023 à Sousse, ayant conduit à l’amendement de l’article 20 du règlement intérieur et la réélection pour un nouveau quinquennat aussi bien de Noureddine Taboubi que des anciens membres qui lui sont proches.
Par ces manœuvres, il semblerait que l’Ugtt ait retrouvé ses vieux réflexes hégémoniques et cherche tant bien que mal à se sortir de la léthargie dans laquelle elle a sombré depuis ce dernier congrès. La centrale vient de lancer un mouvement de mobilisation des syndicalistes à La Kasbah, en guise de démonstration de force, pour rappeler qu’elle existe. Et qu’elle défendra toujours les droits syndicaux, humains, socioéconomiques et politiques.
En quête d’une crédibilité perdue
Dans une déclaration donnée en marge de cette manifestation de protestation, le porte-parole, Sami Tahri, a voulu rappeler que l’Ugtt est une organisation qui favorise le dialogue social. Un droit garanti en particulier par la Constitution, la législation, le Code du travail et les conventions internationales auxquelles a adhéré la Tunisie. Il a ajouté que cette manifestation s’instaure dans le cadre de la défense du droit syndical qui fait l’objet de pressions de toutes sortes, comme en témoignent, selon lui, les poursuites judiciaires à l’encontre de certains syndicalistes aux ministères de la Santé, des Affaires culturelles, de l’Enseignement supérieur et bien d’autres. Il rappelle, in fine, le non-respect des accords conclus par le passé avec les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir et met en garde contre cette situation qui pourrait exacerber les tensions sociales.
Les représentants syndicaux sont en passe de changer de fusil d’épaule et de fourbir leurs armes en vue de reconquérir une crédibilité presque perdue ces dernières années. En cause, des comportements inadéquats et des écarts de conduite de certains syndicalistes. Profitant de la mise à disposition syndicale auprès de Ugtt, ceux-là ont donné le mauvais exemple en succombant à la tentation de profiter de leur position pour s’assurer des gains et d’autres avantages ou encore pour influencer des prises de choix illicites. Une pratique passée sous silence avant 2011, mais devenues flagrantes par les méfaits de certains syndicalistes qui ont largement profité des régimes politiques en place et de la faiblesse de l’Etat.
Un deal impensable qui a impacté la crédibilité et l’objectivité des représentants syndicaux et mis leur intégrité à rude épreuve. Cet arrangement a aussi donné lieu à la montée du corporatisme syndical, sans compter les conflits d’intérêts de certains qui ont mélangé sans vergogne affaires et syndicalisme.
Ainsi, ils ne font aujourd’hui que récolter ce qu’ils ont semé. Certes, ce n’est pas le cas de tous les syndicalistes. Mais disons, que la majorité avait eu un faible pour l’exercice du pouvoir et de l’influence. En se sentant au-dessus des lois, invincibles et intouchables, considérant que leur organisation n’est rien de moins qu’un Etat dans l’Etat, confondant entre libertés syndicales et syndicalisme anarchiste. Sauf qu’aujourd’hui personne n’est intouchable.
Les enjeux du détachement syndical
Aussi bien le SG, Noureddine Tabboubi, que les membres du bureau exécutif continuent à défendre, à coups de déclarations médiatiques, la mise à disposition syndicale, arguant sa légitimité, garanti par les conventions internationales. Ils répondent aux mesures prises, mais non déclarées officiellement, concernant son annulation. A ce propos, on rappelle que le secrétaire général de la Confédération générale du travail (Cgtt), Habib Guiza, joint par La Presse, avait clarifié que la mise à disposition s’apparente plutôt à un «deal» entre les gouvernements qui se sont succédé depuis l’indépendance et l’Ugtt. C’est une pratique devenue avec le temps un droit acquis en échange de la paix sociale, fait savoir Habib Guiza.
Les dirigeants de l’Ugtt appuient leur argumentation autour du détachement syndical sur la convention internationale portant sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical relevant de la Conférence générale de l’Organisation internationale du travail. La question qui se pose est la suivante: le droit international se place-t-il au-dessus du droit national ? C’est là que réside toute la question selon certains juristes que nous avons contactés à cet effet. Selon eux, la majorité des pays n’accorde pas, de manière systématique, la primauté au droit international, mais les juristes ne sont pas tout à fait d’accord à ce sujet.
Dans une déclaration à La Presse, Anis Bettaieb, docteur en droit et avocat aux barreaux de Paris et de Tunis, explique que «le système juridique tunisien est un système dit dualiste dans le sens où les conventions internationales ne sont pas directement incorporées dans le droit national. Pour qu’elles le soient, une loi de ratification est nécessaire. La hiérarchie des normes juridiques telle que développée par le juriste autrichien Hans Kelsen est pyramidale. En haut de cette pyramide se trouve la constitution, suivie des conventions internationales, les lois…»
En Tunisie, les différentes constitutions ont adopté cette hiérarchie et érigé les conventions internationales (indépendamment de leur objet et du nombre des états partis), en norme supérieure aux lois nationales. Sans entrer dans les détails des explications juridiques fournies, notre expert conclut que la loi nationale en Tunisie ne prime pas sur les conventions internationales qui ont été ratifiées. La constitution de 2021 a par ailleurs précisé que les conventions dûment ratifiées ont une valeur supérieure aux lois et inférieure à la constitution (Art 74).
La trêve des revendications infondées s’impose plus que jamais
Il y a lieu d’indiquer que depuis 2011, aucun détachement syndical n’a été accordé, ce qui a fait chuter le nombre de fonctionnaires bénéficiaires de cette mesure que la centrale syndicale considère aujourd’hui comme «un droit acquis, obtenu au prix de grands sacrifices», selon les dires du porte-parole Sami Tahri. Selon lui, le nombre de représentants syndicaux qui bénéficient de l’autorisation de mise à disposition syndicale ne dépasse plus la trentaine, alors qu’il était estimé entre 80 et 90 il y a trois ans.
Il faut reconnaître, cependant, que les temps ont changé et que la centrale syndicale, en dépit de son rôle de régulateur, de force de proposition et de partenaire social, doit plutôt mettre de l’ordre dans ses affaires internes et préserver la cohésion de ses rangs, loin de certains discours d’un temps révolu.
Aujourd’hui, on parle beaucoup plus de l’urgence de la réforme des entreprises publiques qui ont déjà touché le fond. Avec le nombre de fonctionnaires dans le secteur public dépassant les moyennes mondiales (plus de 690 mille), générant une masse salariale des plus élevées au monde ! Le temps est venu de se pencher sur ces questions décisives, comme les entreprises publiques gangrénées par la corruption et devenues des gouffres financiers, beaucoup plus qu’aux sempiternelles lamentations et revendications infondées, témoignant un refus de voir la vérité en face.