L’artisanat tunisien serait-il en mesure de sortir des sentiers battus pour faire peau neuve? A moins qu’il trouve les moyens de sa rénovation et qu’on le dote des atouts de son développement.
Pour la première fois, depuis plus de 30 ans, on célèbre, en grande pompe, la fameuse Journée nationale de l’artisanat et de l’habit traditionnel, dont les festivités se sont déroulées, au Palais des congrès à Tunis, sous le patronage du chef du gouvernement, Ahmed Hachani.
Sortir des sentiers battus
Ceci étant, il y a des années, cet événement était, tout juste, un rendez-vous simplement tracé sur un calendrier festif assez figé, loin de la réalité. Car, la fête, bien que nationale s’est vue réduite à sa plus simple vocation cérémoniale. De la parade vestimentaire aux shows folkloriques en trompe-l’œil, l’essentiel se perd dans la rhétorique de l’image et des déclarations aux médias…
Aussi, l’artisanat tunisien serait-il en mesure de sortir des sentiers battus pour faire peau neuve. A moins qu’il trouve les moyens de sa rénovation et qu’on le dote des atouts de son développement. Justement, nos habits traditionnels et tous nos produits d’artisanat, déjà revistiés, cherchent à se démarquer par leur modèle atypique, dignement ancré dans son passé.
En ce 16 mars, la fête semble, cette fois-ci, avoir un sens, d’autant plus qu’elle puise dans des promesses de nouveaux partenariats gagnant-gagnant. Voire un signe avant-coureur de profondes mutations qui se profilent à l’horizon. A l’occasion, le Palais des congrès s’est paré de ses beaux atours, érigé en galerie d’art où l’habit traditionnel dans sa plénitude a brillé de mille feux. De même, artisanes et artisans ont été mis en vedette et joyeusement honorés, fiers de leur parcours exceptionnel bien chargé d’émotions et de nostalgies qui égayèrent leur métier artistique.
Ainsi, cette cérémonie, rehaussée par la présence de Mohamed Moez Belhassine, ministre du Tourisme, et Faouzi Ben Hlima, directeur général de l’Office national de l’artisanat, Samir Majoul, président de l’Utica, ainsi que certains membres du gouvernement et des invités, tous vêtus de jebba tunisienne et d’effets vestimentaires faits main, a eu lieu en signe de reconnaissance à des maîtres artisans militants, mais aussi pour rendre hommage à des jeunes promoteurs qui se sont, passionnément, investis dans l’innovation et la créativité.
Des artisans dignes de ce nom
En fait, deux artisans ont été primés : Naceur Dridi, un vieux artisan-bijoutier, originaire de Bizerte, et Mayara Ezdini, jeune artisane-designer de Mahdia, spécialisée en recyclage des matériaux naturels, ont reçu, respectivement, le «Prix national pour la promotion de l’artisanat à caractère traditionnel et artistique» et le «Prix national des jeunes de l’artisanat traditionnel et artistique». Le premier lauréat est un maître-autel dont la compétence et le savoir-faire qu’il avait acquis au fil de temps sont notoirement reconnus. L’homme avait beaucoup donné à ce métier qui l’a aujourd’hui propulsé à ce statut professionnel privilégié. Et malgré les difficultés qui jalonnaient le secteur tout entier, cet artisan confirmé a su s’imposer comme maître enseignant dans son domaine d’activité. D’ailleurs, autant de jeunes s’en sont inspirés, lui emboîtant le pas, afin d’assurer la relève et garantir à ce métier évolution et pérennité.
Aussi, l’avenir de l’artisanat serait-il confié à nos jeunes promoteurs. Certes, il s’agit d’un secteur authentique hérité de nos aïeux, qui se transmet de génération en génération.
Mayara Ezdini, jeune designer de 28 ans, diplômée de l’Institut des arts et métiers de Sfax, le prouve parfaitement. Primée, elle croit dur comme fer en l’interdisciplinarité qui lui permet, dit-elle, de s’ouvrir sur d’autres secteurs. Sa passion s’est portée sur la valorisation des déchets et les réintégrer dans son métier pour en faire des objets d’art et des articles décoratifs. Elle fait, par exemple, des graines de caroube des boucles d’oreilles bibelots et d’autres trucs en argent. «L’artisanat pourrait aussi toucher à tout. Mon doctorat a pour thème la conception artisanale des lentilles artificielles. Et c’est là que se manifeste l’importance de l’interdisciplinarité entre les domaines», fait-elle savoir. Ce projet est déjà mis à l’essai dans le CHU de Mahdia et celui de Monastir.
Cette journée nationale dédiée à notre artisanat, faut-il le dire, n’a jamais été aussi haute en couleur. Elle vient, ce alors, consacrer le sens de l’engagement et de motivation et traduire dans les faits les bonnes initiatives privées. Au concret, une série de conventions de partenariat ont été signées entre les différentes structures des ministères du Tourisme et des Affaires culturelles. L’objectif étant d’optimiser les programmes et plans d’action communs, afin que notre patrimoine ancestral dans tous ses états puisse redorer son blason d’or. Il est aussi judicieux de miser sur l’innovation et la créativité artisanale.
Vers un artisanat 2.0
Ce faisant, le ministre du Tourisme, Mohamed Moez Belhassine, a insisté sur la conjugaison de tous les efforts pour assurer la pérennité du secteur, en tant qu’identité et patrimoine à conserver. Sans pour autant perdre de vue sa valeur ajoutée, en termes d’emploi et d’exportation.
Soit plus de 300 mille artisans et artisanes contribuent à hauteur de 5% du PIB, ayant rapporté, en 2023, 155 millions de dinars au total, soit une augmentation de près de 25% par rapport à 2022.
Cependant, ajoute le ministre, la promotion du secteur n’est pas uniquement l’affaire de son département, elle relève de la responsabilité de tous les intervenants et partenaires. D’ailleurs, la mise en œuvre de ces conventions s’inscrit dans l’incitation des jeunes diplômés à s’investir dans le secteur. Le digital demeure, ici, un passage obligé pour conférer à notre artisanat beaucoup plus de valeur. Or, cela exige, souligne-t-il, autant de financements et d’accompagnement. «Un budget de 5 millions de dinars est déjà alloué pour encourager davantage l’innovation et la création. Désormais, on s’oriente vers un artisanat 2.0», promet-il.