A l’occasion de la fête de l’Aïd El-Fitr qui approche à grands pas, les Tunisiens avaient l’habitude, dans le passé, de retrousser leurs manches et de confectionner des pâtisseries traditionnelles gourmandes à partager en famille et entre amis et épater les convives et voisins.
Ainsi, «bachkoutou», «ghraiba», «baklawa» et autres spécialités culinaires maison font-ils partie des moments forts de la préparation de l’Aïd. Les recettes qui traversent les âges sont aussi un objet culturel permettant aux amateurs de pâtisserie d’y exprimer leurs traditions et leur art.
Les tables de travail étaient habituellement installées pendant la dernière semaine de Ramadan. On invitait petits et grands à participer. Comme chaque région tunisienne détient ses propres traditions culinaires, l’Aïd devient l’occasion, pour les enfants, d’apprendre les recettes des grands-mères pour qu’elles s’enracinent encore davantage dans notre société contemporaine. Cependant, cette coutume s’est estompée au fil des générations pour laisser place aux produits vendus dans les pâtisseries et les commerces. Nous assistons désormais à une explosion de variétés et de prix.
Des moments de complicité et de partage
Les traditions associées à Aïd El-Fitr peuvent varier d’une région à l’autre et même d’une famille à l’autre, mais elles ont en commun la joie, la convivialité et le partage. Comme la gastronomie joue un rôle important dans les célébrations, beaucoup de familles préparent encore des mets sucrés. Ludique et créative, cette activité est loin d’être perçue comme une contrainte. C’est un moment de complicité associé au plaisir et au rapprochement. Les enfants mettent également la main à la pâte, avec beaucoup d’enthousiasme. Ils participent à remuer, fouetter, couper des formes amusantes grâce aux emporte-pièces qu’ils aiment manipuler…
Les grands plateaux où les biscuits et autres pâtisseries sont étalés se font accompagner aux boulangeries, pour les faire cuire, dans un cortège festif d’enfants qui s’impatientent de goûter «leurs créations». De plus, les visites et les retrouvailles qui s’étalent sur les deux journées de l’Aïd sont caractérisées par des échanges de gâteaux. C’est la maman qui exhibe plusieurs modèles sur de jolis plateaux, afin de les partager avec les voisins et subjuguer ses hôtes. Cependant, si ces rites sont fidèlement transmis et bien ancrés pour les uns ils sont pour d’autres un souvenir évoqué avec beaucoup de nostalgie.
Une modification du comportement de consommation
De plus en plus de Tunisiens préfèrent acheter les pâtisseries de l’Aïd plutôt que de les confectionner eux-mêmes. Les motifs qui justifient l’abandon progressif de cette tradition sont multiples. Faute de temps, ou de savoir-faire, les femmes qui travaillent et gèrent en parallèle de nombreuses tâches ménagères ne peuvent pas s’adonner à cette activité avec engouement.
Une autre raison à invoquer est le manque de certaines matières premières pour la fabrication des produits pâtissiers, comme le sucre et le beurre. D’autres ingrédients bien disponibles sur les marchés ont connu une hausse de prix vertigineuse, comme pour les fruits secs. Les amandes, à titre d’exemple, sont vendues aux alentours de 40 dinars le kilo, alors que le kilogramme de pignons a dépassé les 120 dinars, ce qui fait que le coût de la préparation des produits pâtissiers à la maison dépasse de loin le budget prévu.
On peut alors comprendre pourquoi ceux qui rendent généralement visite à leurs voisins et aux membres de la famille éloignée, afin de leur souhaiter une bonne fête, ne se permettent plus d’échanger des assiettes de pâtisseries comme au bon vieux temps.
De même, il faut reconnaître, désormais, que ce ne sont pas seulement le temps et l’argent consacrés aux produits qu’il faut prendre en considération. Depuis quelques années, en dépit de la dégradation du pouvoir d’achat, des nouveautés culinaires et une variété auparavant inconnue de spécialités importées ont envahi le marché tunisien et ont entraîné des changements socioculturels dans les motivations individuelles et sociales des consommateurs.
Vouloir imiter les «influenceurs» et les publicités qui foisonnent sur les réseaux sociaux a progressivement conduit les Tunisiens à adopter ou à aspirer à un mode de consommation qui s’éloigne progressivement de nos coutumes. En effet, les pressions sociales exercées principalement par les jeunes générations imposent que, pour célébrer l’Aïd comme il se doit, la préparation de pâtisserie typiquement tunisienne faite maison laisse place aux grandes enseignes. Là encore, il faut signaler que les prix sont exorbitants et vont souvent au-delà des cent dinars le kilo, car la qualité a un coût et le prestige aussi.