La fripe n’a rien perdu de son charme, surtout en cette période où les achats des vêtements pour enfant explosent à l’occasion de l’Aïd El Fitr. Du reste, son attrait ne se dément pas tout au long de l’année. Une partie des Tunisiens aime s’adonner à ce shopping particulier. D’autres trouvent dans les étals un bon compromis entre qualité et prix relativement bas. Décryptage.
Quand on est habité par cette passion qu’est la frénésie du shopping, succomber au charme de la friperie est chose aisée, un passage obligé pour un «défoulement vestimentaire» salutaire appelé par certaines clientes assidues la «fripothérapie».
Il est vrai qu’en sillonnant les innombrables espaces réservés à la vente des vêtements usagés, les étals vous en mettent plein les yeux. A perte de vue ! Pour les visiteurs, c’est l’embarras du choix, surtout en cette période de fête de l’Aïd où le secteur vit un regain d’intérêt des clients, parce qu’il représente un bon compromis pour les bourses. Le marché en plein essor semble avoir de beaux jours devant lui.
Il demeure un pôle d’attraction pour les familles nécessiteuses qui y affluent, 4 saisons sur 4, pour faire leurs achats à des prix fort raisonnables. Il faudra cependant se rendre à l’évidence que depuis longtemps, la friperie s’est «embourgeoisée», en attirant de plus en plus de consommateurs aisés et des jeunes qui se veulent «in» et branchés et boudent de plus en plus les magasins chics et hors de portée. «Je me sens beaucoup mieux ici où je peux laisser parler mon style», nous confie Dorra. C, au sortir du célèbre «Souk Libya» de l’Ariana. Propriétaire d’un centre de beauté et d’amaigrissement situé dans le quartier huppé d’El Manar, issue d’une famille qu’elle dit aisée, notre interlocutrice «tient» à préciser ceci : «Si je viens fréquemment ici, ce n’est surtout pas pour faire des économies, mais tout simplement parce qu’il y a plus de choix et que, le plus souvent, on tombe sur de belles choses qu’on ne trouve pas ailleurs». Et pour le prouver, elle a eu la gentillesse de nous montrer ses achats acquis ce jour-là : un magnifique foulard en polyester, deux chemises en soie, un sac à bandoulière, un tricot et des chaussures, tous de marque.
Pour le citoyen lambda, la question revêt plutôt un aspect pragmatique. «Sans la friperie, je cesserais d’exister» jure Hamed Laabidi, vaguemestre dans un établissement public. «J’ai, explique-t-il, une famille nombreuse à nourrir et en tant que smigard, je m’approvisionne obligatoirement dans ces étals, d’autant que dans les magasins, les galeries commerciales et les grandes surfaces, les prix sont généralement inabordables».
Un chiffre d’affaires de 120 MD selon l’Utica
Ciblant quasiment toutes les couches sociales, la fripe a gagné du terrain au cours des dernières années. Au point que son chiffre d’affaires a atteint les 120 milliards de nos millimes, selon une estimation de l’Utica. «C’est un secteur florissant qui attire plus de 90% d’acheteurs tunisiens», rapporte Sahbi Maalaoui, président du comité de gestion du secteur de la friperie relevant de ladite organisation patronale, qui indique que «ce secteur fait travailler plus de 200 mille personnes et assure une commercialisation annuelle de 10,500 mille tonnes de vêtements usagés».
Pour satisfaire la demande sans cesse croissante et face au marasme qui secoue le secteur du textile et de l’habillement, la Tunisie continue de miser sur le ravitaillement chez ses principaux fournisseurs européens et américains. La marchandise importée est soumise dès sa réception à l’opération de stérilisation d’usage, avant d’être vendue aux grossistes qui l’écoulent auprès des détaillants éparpillés un peu partout dans le pays. «Ces derniers temps, les prix de vente ont sensiblement augmenté dans la plupart des points de vente», se plaint Salah Boujemaa, ouvrier de chantier, qui appelle à mettre tout en œuvre pour freiner cette hausse. M. Maâlaoui impute cet état de fait à plusieurs facteurs dont «la dévaluation de la monnaie nationale, la hausse des taxes imposées aux professionnels du secteur et l’invasion incontrôlable de centaines d’intrus exerçant sans autorisation légale et qui usent, par-dessus le marché, de pratiques déloyales : spéculation, baisse abusive des prix, approvisionnement auprès des réseaux de contrebande, commercialisation en continu sur les réseaux sociaux…»
Impact sur l’environnement
Selon notre interlocuteur, la Tunisie importe ses besoins en friperie d’Europe et des États-Unis, à raison respectivement de 80% et de 20%. Les récentes statistiques de l’ONU révèlent que 1,4 million de tonnes de vêtements usagés ont été exportées du Vieux continent vers l’Afrique en 2023, soit deux fois plus qu’en 2020.
Or, le problème est que le secteur a été dernièrement ébranlé par une subite alerte donnée par la France qui, avec le soutien de la Suède et du Danemark, a proposé au Parlement européen l’arrêt définitif des exportations de la friperie vers le continent africain, sous le prétexte que «ce dernier représente une grave source de pollution, étant donné que d’importantes quantités de vêtements invendus finissent dans les décharges à ciel ouvert». D’où la question de savoir si cette «menace»—qui a fait la joie de nos écolos—sera, ou pas, matérialisée.
Dans les deux cas de figure, nous considérons que le secteur de la friperie a désormais impérativement besoin d’une refonte totale, en vue d’assurer sa survie et pérenniser sa popularité. A cet égard, le ministère des Affaires sociales, en tant que tutelle du secteur, et les chambres nationales de la friperie relevant de l’Utica et de la Conect, gagneraient à travailler de concert et à mieux synchroniser leurs efforts dans le cadre d’un audacieux plan de sauvetage.