Accueil A la une Médina de Tunis-Hammams traditionnels et multiséculaires : Menacés de disparition

Médina de Tunis-Hammams traditionnels et multiséculaires : Menacés de disparition

 

Reconnaissables entre mille à leurs portes en forme d’arcade et leurs battants arborant les couleurs rouge, vert, noir et blanc, les bains maures traditionnels multiséculaires de la Médina de Tunis ont été pendant des siècles des lieux de purification et de convivialité. N’ayant pu résister au coup de boutoir de la modernisation et confrontés à de nombreuses difficultés, ces derniers, menacés de disparition, sont en train de fermer leurs portes l’un après l’autre.

Le besoin primaire de s’occuper de son hygiène lié à l’usage de la source primaire et vitale de l’eau remonte aussi loin que la vie en communauté de l’homme, qui est un être social par excellence. Dans l’Antiquité et pour éviter la propagation de maladies à cause du manque d’hygiène, les Romains ont inventé les premiers bains publics qui satisfaisaient outre le souci de se laver, celui de maintenir et réaffirmer le lien social extra muros. L’ancêtre des bains maures voit le jour. Alimentés par les sources thermales, les thermes deviennent un lieu social par excellence où les Romains ne se contentent pas seulement de se laver et de se baigner mais discutent aussi politique et débattent des affaires internes du pays. Relativement biens conservés, les Thermes d’Antonin, construits à proximité de Carthage, et les bains publics de Bulla Régia, situés au Nord-Ouest de la Tunisie, gardent les traces de l’importance de cet espace de purification dans les cultures romaine et hellénistique. Des siècles plus tard, l’importance de la purification dans la religion musulmane pour pouvoir effectuer ses ablutions et ses prières vont conférer une place importante au hammam au sein de la vie collective et de la communauté arabo-musulmane. Fortement ancré dans la vie sociale, le bain maure public s’inscrit dans la continuité des interactions sociales qui régissent la vie en communauté  au sein des espaces sociaux que sont les maisons et les quartiers et cités.

Un espace qui favorise les liens sociaux

Les plus beaux hammams traditionnels vont voir le jour en Tunisie sous la dynastie hafside (1229-1574 ap. J.C). Quinze grands hammams sont construits à l’intérieur des quartiers de la Médina de Tunis. L’importance de leur fonction sociale se reflète non seulement dans l’aménagement spatial de ces édifices mais dans la particularité et la richesse de leurs caractéristiques et spécificités architecturales. Le hammam est, en effet, au cœur de la vie sociale des faubourgs de la médina. Au-delà du besoin d’hygiène et de propreté et de la pratique du rite purificateur, des langues se délient dans ce vase clos et des liens sociaux se tissent. Dans la vapeur chaude relaxante et enveloppante, on échange anecdotes et on discute politique pour les hommes tandis que les femmes âgées scrutent à la loupe les jeunes filles à la recherche de potentielles épouses pour les jeunes hommes célibataires et de bonne famille qui vivent dans les quartiers environnants. Coiffés généralement d’une coupole et reconnaissables entre mille à leurs portes en forme d’arcade et leurs battants arborant les couleurs rouge, vert, noir et blanc, les bains maures traditionnels multiséculaires représentent un pan important de notre patrimoine. Au cours de la période ottomane, le nombre de hammams traditionnels, qui sont des biens habous dont les revenus servent à alimenter les caisses beylicales, des mosquées et des casernes militaires, passe de quinze à plus d’une cinquantaine. Ces derniers se disputent l’ancienneté de leur existence. Situé au sein de la Médina de Tunis à proximité de la mosquée Zitouna, au cœur du souk des libraires, hammam Kachachine figure parmi les bains maures historiques les plus anciens de la ville de Tunis. Sa magnifique porte en arcade peinte de couleurs vives et flanquée de colonnes bariolées ressemblant à des sucres d’orge interpelle les visiteurs de passage. Réservé exclusivement à la gent masculine, l’entrée donne accès directement au salon d’un barbier avant de pénétrer à l’intérieur du hammam, ce qui permet aux  hommes d’en sortir lavés, coiffés et rasés de près. Ce sont les hammams de Sidi Mehrez et de Souk el Grana qui sont les plus anciens. Existant depuis plus de 1.000 ans, ces bains maures, dissimulés aujourd’hui derrière des échoppes et des commerces et qu’on peine à reconnaître, ont été construits bien avant la présence de la dynastie hafside en Tunisie.

Hammam el Kachachine, un des plus anciens bains maures de la Médina de Tunis

Histoires, récits et légendes

D’après une inscription gravée sur l’une des façades du bain maure du souk el Grana, l’édifice aurait été construit par le grand Cadhi de Tunis à la fin du Xe siècle ap. J.C. Un autre hammam, non moins connu, est celui de hammam Remimi du faubourg de Bab Souika. Il en existe deux portant ce nom, l’un situé à la rue Daouara et l’autre se trouvant à l’extrémité de la ruelle du même nom et qui conduit à Bab el Khadhra. Selon le peu qu’on possède comme informations sur ce bain maure ancien, il aurait été édifié au XIIIe siècle par Mohamed Remimi, originaire de la ville espagnole d’Almaria et qui aurait, vraisemblablement, construit deux édifices balnéaires portant le même nom et situés non loin l’un de l’autre ; l’un réservé exclusivement aux femmes et l’autre aux hommes.  Les bains maures anciens étaient nombreux dans les faubourgs de Tunis (Hammam el Douletli, Hammam des femmes el Marr, Hammam Tronja, Hammam Essabbaghine, Hammam el Tammarine, Hammem Aslen, Hammam Zanket el Kebda, Hammam Souk el Falka….). Ces lieux sont truffés d’histoires et de récits. Situé dans le faubourg de Bab Souika, le hammam Bou Sandel, destiné aux femmes, appartenait au fils de Mourad Pacha. Les revenus de ce bien habous étaient reversés aux récitants du Coran de la mosquée Hamouda Pacha. Le Hammam Sidi el Mojeni, réservé également aux femmes, a été loué à la femme du consul général de France sous le protectorat français qui l’a aménagé selon les standards européens de l’époque pour permettre aux résidents étrangers de profiter du bain maure traditionnel. Des légendes se sont tissées également autour de ces hammams. Il se raconte qu’une mèche de cheveu appartenant à une jeune fille qui aurait disparu mystérieusement à l’intérieur de l’ancien hammam Edha’hab situé dans la  Médina émerge des dalles de la salle chaude de l’édifice. La mère de la jeune femme lui aurait demandé de plonger dans le bassin pour rapporter des pièces en or se trouvant au fond de l’eau. Selon la légende, le sol sous le bassin se serait entrouvert et aurait englouti la jeune fille. Depuis, le hammam est réservé exclusivement aux hommes.

Des hammams fermés et qui tombent en ruine

Aujourd’hui, confronté à de nombreuses difficultés dont celle de la concurrence féroce de nouveaux centres intégrant des hammams modernes qui connaissent un fort engouement, les bains maures historiques de la Médina de Tunis sont en train de fermer leurs portes l’un après l’autre. De nombreux problèmes pèsent comme une épée de Damoclès sur ces hammams traditionnels: les conflits entre héritiers, le maintien d’un mode de gestion obsolète et de services anciens et traditionnels qui n’ont pas suivi l’évolution et la modernisation du mode de vie dans les zones urbaines. A cela, viennent s’ajouter des charges d’exploitation de plus en plus lourdes. Ces multiples entraves ont fini par avoir raison de plusieurs hammams dans la Médina de Tunis. Un récent inventaire réalisé par l’association Lmdina wel Rabtine a montré que de nombreux hammams traditionnels ont été fermés parce qu’ils ne répondaient plus, entre autres, aux mesures d’hygiène mises en place par la municipalité.  D’autres, dans un état de dégradation très avancé, menacent de disparaître. L’association a lancé en 2013 un projet qui inclut plusieurs axes pour la sauvegarde durable des hammams historiques de la médina de Tunis. Afin de perdurer, cette initiative nécessite, toutefois, l’implication des intervenants institutionnels concernés et la mobilisation des ressources nécessaires pour éviter qu’un autre pan de notre patrimoine ne disparaisse un jour.

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