Accueil Société Récolte céréalière 2024: Les pronostics en disent long !

Récolte céréalière 2024: Les pronostics en disent long !

A moins de deux mois ou presque, la récolte céréalière 2024 ne s’annonce pas sous de mauvais auspices. Du moins pour l’instant. Toutefois, rien ne prévoit qu’elle serait à la hauteur des attentes de nos céréaliculteurs.


Ces prévisions sont fondées sur un état des lieux qui laisse à désirer. Soit un secteur céréalier qui semble avoir du mal à sortir des sentiers battus et qui peine encore à trouver son chemin. Aussi, s’attend-on à une moisson mi-figue, mi-raisin. Dans tous les cas, elle ne serait pas meilleure que celle de la saison écoulée, où seulement 2,7 millions de quintaux ont été récoltés contre 7,5 millions de quintaux en 2022. Ces quantités, comme le témoignent les agriculteurs, ne pourront même pas couvrir nos besoins annuels en céréales (blé dur, blé tendre et orge), estimés à 36 millions de quintaux cultivés sur une superficie nationale de 1,2 million d’hectares.

Des paroles en l’air

Ce constat n’est certes pas une exception, dans un pays qui a vécu une décennie de vaches maigres et continue de vivre des épisodes de sécheresse aigus, entraînant, par ricochet, des pénuries alimentaires à répétition. Pire, nos réserves en semences touchent le fond.

Cette dégringolade d’une année à l’autre peut s’expliquer par le fait que nos agriculteurs n’ont pas les moyens suffisants pour se remettre debout. Et les aléas du climat, le déficit pluviométrique et la rareté de l’eau ajoutent à leur crise endémique. Sans que l’Utap, en sa qualité de patronat agricole national, ni le ministère de l’Agriculture, comme département de tutelle, n’agissent en conséquence pour redresser la barre et faire bouger les lignes. Sauf des promesses ayant marqué, fin novembre dernier, le démarrage tardif des semailles, alors que tous les céréaliculteurs étaient à court de subvenir à leurs besoins. Pourtant, la P.-d.g. de l’Office des céréales, Mme Saloua Ben Haddid, les avait rassurés sur leur bon approvisionnement en semences et engrais, à même de réussir les préparatifs qu’ils avaient déjà engagés.

Or, ce n’était, en fait, que des paroles en l’air : «Ni DAP ni ammonitrate, il n’y avait plus ces engrais au début des semis, auxquels s’ajoutaient la pénurie d’eau et les mauvaises conditions climatiques…», nous a fait savoir, jeudi dernier, Imed Jamazi, céréaliculteur de Sidi Ali Jebini, localité de Roumani à Boussalem. Jamazi est également membre du bureau exécutif de l’Utap dans la région de Jendouba. Donc, l’homme sait de quoi il parle.

A Boussalem, des signes positifs

Au fil des semaines et des mois, les agriculteurs se retrouvent, aujourd’hui, à mi-chemin de leur moisson, seuls face à leur destin. Sur les routes longeant les champs de blé, à Béja et à Jendouba, le tableau naturel jaune-verdâtre domine les superficies des grandes cultures. Ainsi se profile la campagne céréalière actuelle, sous l’effet incontournable des sécheresses, mais aussi à défaut de quantités suffisantes d’eau d’irrigation. Certes, aucun céréalier n’a eu tout son content. Le mécontentement des uns et des autres résonne fort dans tous les coins du nord-ouest, faisant entendre les mêmes revendications de tout temps. Celles liées essentiellement au financement, à la vulgarisation agricole et à la fourniture des semences de qualité, se posant, à vrai dire, comme leur talon d’Achille d’hier et d’aujourd’hui. Et jusqu’à maintenant, ils continuent de subir les contrecoups d’une saison qui démarra plutôt mal. Tant il est vrai que les mêmes causes produisent les mêmes effets.

A Sidi Ali Jebini, en pleine campagne, des périmètres agricoles s’étendent à perte de vue dont certains dépendent des conduites culturales en irrigué, et dont les propriétaires se voient, cette année, buter sur un système d’approvisionnement hydrique mal géré. «Pour moi, j’exploite une parcelle de 5 hectares de blé dur, cultivés en régime pluvial dont la semence utilisée n’est autre que «Saragolla», une de nos variétés locales assez prolifique et mieux adaptée aux caprices du climat. Ce qui m’intéresse le plus, elle fait preuve d’une forte résistance à la sécheresse et au stress hydrique, deux défis majeurs universellement incontournables», avoue Jamazi, satisfait. A son niveau, la moisson attendue pour cet été serait, en comparaison à celle de 2022, assez bonne : ses estimations tablent sur une moyenne de 300 quintaux de blé dur, étant donné que chaque hectare pourrait lui rapporter plus de 50 quintaux, soit plus que prévu. A condition, souhaite-t-il, qu’aucun évènement extrême (chaleur intense, intempéries…) ne survienne d’ici la fin de la moisson. «Ce qui n’était pas le cas pour la campagne 2022, quand cette même superficie a été semée de la variété «Karim». A bien des égards, «Saragolla» la dépasse de loin, en termes de rentabilité et de qualité», compare M. Jamazi, confirmant la grande valeur ajoutée que présente cette variété. Et si elle était généralisée sur tous nos champs céréaliers !

«Saragolla» fait ses preuves

Introduite en Tunisie, depuis 2007, pour être trois ans après avoir été inscrite au catalogue officiel de semences végétales, au nom de la Stima, Société tunisienne des intrants et matériels agricoles, alors pionnière en matière d’amélioration variétale, «Saragolla», riche en protéines et gluten, est aussi reconnue pour sa bonne qualité boulangère. Ce fut, alors, à l’initiative pilote de Abdelmonoem Khélifi, gérant de la Stima, qu’elle fait son entrée. Depuis, l’homme se posait, volontiers, en chef d’initiative exemplaire visant la contribution aux efforts de l’Etat pour atteindre l’autosuffisance en blé dur. Cela, certes, n’est pas une sinécure, le chemin semble truffé d’embûches de tout acabit. M. Khlifi avait, de son côté, tout fait, mettant le paquet, sans lésiner sur les moyens pour l’amélioration variétale notamment des semences de blé dur. Un véritable parcours du combattant.

Il a fallu un tel passage à vide pour que le ministère de l’Agriculture passe enfin à l’action. Vaut mieux tard que jamais ! Soit, ce n’est qu’en avril 2022 qu’une stratégie nationale d’autosuffisance en blé dur fut annoncée en de multiples axes, s’agissant entre autres de la révision du prix des céréales, de la formation et de l’encadrement des agriculteurs, de financement à leur profit et de la disponibilité des intrants nécessaires (semences, engrais…).

En fait, faut-il le rappeler, «Saragolla» et «Iride», déjà prouvées, ont été retenues pour être semées dans sept gouvernorats céréaliers, à savoir La Manouba, Bizerte, Béja, Jendouba, Le Kef, Siliana et Zaghouan. Les résultats avaient dépassé les prévisions : la récolte était, à l’époque, assez bonne, frôlant 70 quintaux par hectare. L’opération fut ainsi menée avec succès, sous le contrôle du ministère de l’Agriculture et des différents groupements agricoles relevant de l’Utap. En témoignent aussi les exploitants qui les ont déjà expérimentées et mis leurs parcelles à l’épreuve. Et la tendance se confirme de plus en plus, dans la mesure où ces deux variétés gagnent en performance et résistance face aux impacts néfastes du changement climatique. D’autant plus qu’elles se distinguent d’un indice de jaune assez élevé, lequel est testé, outre ses vertus nutritionnelles, comme un super préventif contre les maladies cancéreuses .

L’autosuffisance en blé dur, un enjeu

D’ailleurs, Imed Jamazi est, également, pris à témoin. «Cette année, environ 400 hectares du blé dur cultivés en régime pluvial sont, déjà, semés de la variété «Saragolla», et dont les périmètres sont répartis sur les régions de Bizerte, Béja et Jendouba, considérées comme terrain favorable et beaucoup plus adaptées à cette variété», indique M. Khelifi dont le souci est de réaliser l’autosuffisance en blé dur.

Toutes ces difficultés dont souffre le secteur céréalier ne font, à chaque fois, que réveiller les vieux démons de la qualité de semences sélectionnées et l’enjeu de notre sécurité alimentaire. D’autant plus que le recours fréquent à l’importation du blé remet tout en question, surtout que de telles solutions de facilité, en guise de panacée, ne résolvent guère l’équation, et ne désamorçant point la crise. A quoi s’en tient souvent le ministre de l’Agriculture, appelant ainsi à préserver nos avoirs en devises. Et pourtant, rien n’est décidé pour remettre de l’ordre dans la maison. Toujours est-il qu’on est tenté de passer outre nos capacités, alors que des solutions sont à portée de main. Cela dit, qui veut aller loin ménage sa monture.

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