Nous avons vu dans une précédente livraison le rôle joué par les associations depuis le début du vingtième siècle dans la vie de la nation, à travers des actions soutenues en matière économique et sociale. Mais aussi en tant que relais pour la promotion de la cause nationaliste. N’ayant peut-être pas tout appris, mais n’ayant rien oublié, les nouvelles autorités installées à la tête de l’Etat au lendemain de la proclamation de l’indépendance du pays se sont, sans tarder, attachées à circonscrire les risques de débordements politiques pouvant provenir de ce côté-là. Et d’entamer, sans délai, une politique d’embrigadement des associations. Elles étaient intégrées dans les propres organisations de masse du parti dominant telles la Jeunesse destourienne ou l’Union nationale des femmes de Tunisie (Unft). Les associations ou les fondations caritatives (dont la plus prestigieuse était celle de Aziza Othmana) étaient, elles, purement et simplement dissoutes et leurs actifs récupérés par un Etat censé désormais être l’unique acteur dans le champ de la solidarité sociale. Et s’il vous prenait la fantaisie de fonder une association des amis de la fourmi ou des amateurs de thé à la menthe, vous étiez soumis à autorisation et, après examen minutieux de votre dossier et plus particulièrement des fiches de la police politique (ou celles du Parti), cette autorisation pouvait ou non être délivrée.
Telle a été la voie choisie par l’Autorité et cette logique a été poussée jusqu’au bout avec l’établissement, fin des années 90, d’un formulaire qu’il suffisait de remplir et de signer et qui ne laissait de place que pour des renseignements de nature utiles aux services de police pour identifier les acteurs, leur localisation, pour connaître leurs objectifs et devant permettre aux autorités de classer l’initiative dans une catégorie (bienfaisance, science, culture, sport, développement, etc.) à ne pas outrepasser !
Ira-t-on jusqu’à jeter le bébé avec l’eau du bain ?
Puis vint la glorieuse révolution. Pas de nouveau régime sans changement de la loi sur les associations. Depuis 2011, plus aucune restriction sur la création des associations. Celles-ci, désormais, étaient placées sous le régime déclaratif. De quelques centaines, le nombre de celles-ci a explosé pour atteindre du jour au lendemain plusieurs milliers. La plupart, évidemment, à caractère « altruiste » et disposant de moyens financiers et matériels énormes. On commence à peine à cerner l’ampleur des méfaits du système mafieux qui a été mis en place à la faveur de cette nouvelle réglementation et de la complicité de nombreux rouages de l’Etat, noyautés à des fins subversives. Aujourd’hui, une révision de cette loi scélérate s’impose. C’est vital. Mais ira-t-on jusqu’à jeter le bébé avec l’eau du bain ? Un projet de nouvelle loi sur les associations est en effet en cours d’élaboration et qui, à tort ou à raison, suscite des craintes en milieu associatif qui subodorent un retour des vieux démons. N’anticipons rien. Mais, dans l’intervalle, faisons connaissance avec l’actif de certaines associations à pied d’œuvre depuis longtemps ou depuis peu et apprécions sereinement les enjeux enduits par l’action associative. Dans quelle mesure celle-ci peut être profitable à la communauté et dans quelle mesure l’Etat est-il fondé à interférer dans son fonctionnement ? Ce sera fait à partir de la semaine prochaine.