Le grand retard accusé au niveau de la légifération ne fera que léser davantage les professionnels d’un secteur clé de la santé en Tunisie et poussera les jeunes et moins jeunes à quitter le pays. L’élaboration d’une loi se rapportant à la responsabilité médicale se fait de plus en plus pressante. Cela étant, nul n’est au-dessus de la loi.
Médecins et pharmaciens étaient sous le choc en mars dernier suite à l’annonce du décès d’un psychiatre arrêté dans le cadre d’une affaire de suspicion de trafic de psychotropes et ils l’étaient encore plus après le non-lieu prononcé en sa faveur. Le médecin en question a été interpellé à la suite de l’arrestation de deux autres personnes en possession de comprimés de Parkizol et une somme d’argent. Auditionnés, les deux suspects ont avoué avoir été approvisionnés par le psy en question qui travaillait dans un établissement hospitalier public au gouvernorat du Kef, selon les informations non officielles recueillies.
Cette affaire avait conduit aussi à l’arrestation d’un médecin et d’un pharmacien après l’interpellation de trois personnes à bord d’un véhicule lors d’un contrôle de routine au niveau de la gare de péage à Mornag. Une importante quantité de produits psychotropes a été saisie ainsi que des certificats médicaux délivrés à cette fin par un même médecin installé au gouvernorat de La Manouba dans le Grand Tunis. Des mandats de dépôt ont été émis à l’encontre de sept personnes pour possession, transport et trafic de produits psychotropes. Cinq médecins ainsi qu’un pharmacien ont été libérés. Ce dernier a écopé de trois mois de prison et a été libéré alors qu’un deuxième pharmacien est toujours arrêté dans l’attente des résultats des expertises. Il faut bien préciser que l’affaire n’a pas encore livré tous ses secrets.
Un ouf de soulagement, mais…
Sans entrer dans les détails de cette affaire, la police et la justice ont accompli leur devoir dans le respect total de la loi en vigueur. Mais, au-delà des arrestations et du jugement de non-lieu prononcé le 19 avril à l’endroit, en particulier des médecins, ce sont les réactions du corps médical qui doivent interpeller les autorités dans la mesure où certains textes de loi en Tunisie sont devenus caducs et doivent être révisés dont celle relative aux stupéfiants. Parallèlement, l’élaboration d’une loi se rapportant à la responsabilité médicale se fait de plus en plus pressante.
Le grand retard accusé au niveau de la légifération ne fera que léser davantage les professionnels d’un secteur clé de la santé en Tunisie et poussera les jeunes et moins jeunes à quitter le pays. Le départ à l’étranger de nos jeunes médecins n’est plus à démontrer. Selon l’Association des médecins tunisiens dans le monde (Amtm) 70% des médecins ont migré en raison des mauvaises conditions de travail. D’après le Conseil national de l’ordre des médecins de Tunisie (Cnomt), 80% des jeunes médecins quittent le pays chaque année.
Dans un communiqué, le Cnomt s’est félicité de la libération des médecins arrêtés dans le cadre de cette affaire et a tenu à rappeler son ferme engagement à défendre aussi bien les droits des malades que ceux des professionnels de la santé. L’Ordre des médecins a aussi appelé à la révision de toute urgence des lois inhérentes au secteur de la santé.
De telles situations acculent nos jeunes compétences au départ
Dans une déclaration au journal La Presse, Dr Lamia Kallel, membre du Conseil national de l’ordre des médecins en Tunisie (Cnomt) et qui est aussi professeure à la Faculté de médecine de Tunis et cheffe de service de gastro-entérologie à l’hôpital Mahmoud Materi à l’Ariana, tente de sensibiliser les décideurs quant à l’importance de prendre en considération la spécificité du secteur de la santé. Elle met en garde et souligne l’évolution du corps médical dans un terrain «hostile» en raison de l’absence de justice spécialisée contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays.
«Il n’y a que ceux qui ne travaillent pas qui ne sont pas exposés à de tels risques et on ne peut pas continuer à imaginer que le soir même d’un accident médical qu’on soit arrêté avant de pouvoir se défendre. Les conséquences de cette ambiance inquiètent à plus d’un titre puisqu’elles conduisent, en particulier, à la fuite des compétences tunisienne en médecine comme l’attestent déjà les chiffres annoncés par le Cnomt», souligne d’emblée le Dr. Kallel.
Selon elle, l’exercice médical a beaucoup de spécificités même si aucune personne ne doit être au-dessus de la loi. La médecine n’étant pas une science exacte, il faut tenir compte du caractère complexe de notre fonction. On passe de l’acte préventif à l’acte thérapeutique, au diagnostic, à la consultation et à la prise de décisions. Aucun acte ne peut être dépourvu de risques de complications et d’accidents, ce qui est d’ailleurs très courant. Pour pouvoir délimiter les responsabilités, il va falloir recourir à une enquête et à une expertise. Il n’est pas donc possible de prononcer un jugement au moment de l’incident eu égard à la complexité de la tâche du corps médical.
Des députés rappellent à la vie un projet de loi relatif à la responsabilité médicale
«Pour qu’on puisse travailler dans la sérénité, il faut réunir les conditions de sécurité au niveau de l’exercice de nos fonctions. Il faut donc donner au médecin, au biologiste et au pharmacien et à l’infirmier l’occasion et la possibilité de se défendre, il faut instruire le dossier d’une affaire à charge et à décharge. On est en colère à cause de ces arrestations, mais il va sans dire que nul n’est au-dessus de la loi et chaque personne doit assumer sa responsabilité», nous déclare-t-elle. Elle ajoute que d’autres pays sont aujourd’hui en avance au niveau de la législation, comme la Jordanie, les Emirats Arabes Unis et la Libye.
Ces pays ont promulgué leurs textes de loi en matière de responsabilité médicale alors que chez nous on ne tient pas toujours compte de la spécificité de l’exercice médical.
Dr. Lamia Kallel s’est félicité à la fin de la revivification par un groupe de députés à l’ARP du projet de loi se rapportant à la responsabilité médicale. C’est quelque chose de très important puisque ce projet touche aux droits des deux parties. Elle rappelle à cet effet la tenue ce mardi d’une réunion au niveau du ministère de la Santé, des représentants syndicaux et des pharmaciens.
Un autre son de cloche nous parvient de la part d’une source bien informée au sein du corps des officines et qui risque de choquer et de courroucer les professionnels de ce secteur.
Notre source qui a requis l’anonymat nous confirme que cette affaire est très grave et que certaines personnes accusées doivent assumer la responsabilité de leur non-respect de la déontologie du métier et des pratiques en vigueur. « Une minorité de pharmaciens ne s’applique pas aux règlements à la loi », nous confirme cette source, ce qui fait que ces dépassements sont passibles de poursuites judiciaires.