Le gaspillage alimentaire est un véritable problème en Tunisie : 15,7% du pain, 20,2% des produits céréaliers, 6,5% des légumes, 4,2% des fruits, 2.3% des produits laitiers, 1,9% des viandes, selon l’Institut national de la consommation (INC). C’est pourquoi l’association Racines et Développement Durable appelle à mieux comprendre le fléau, pour réduire ses impacts économiques et environnementaux.
Il convient de dire que les statistiques du gaspillage alimentaire manquent cruellement de données quantitatives et qualitatives. Pourtant, le débat national prend de l’envergure et tend à favoriser la mise en place de nouvelles mesures en vue de réduire le gaspillage.
Ces chiffres en disent long
Un grand pas en avant se concrétise, mais de nouvelles avancées sont attendues. Économie circulaire, développement durable ou encore gaspillage alimentaire, des approches et notions nouvelles qui se démocratisent de plus en plus en Tunisie à mesure que la situation nécessite des solutions et une réadaptation au contexte économique actuel.
A l’initiative de l’association «Racines et Développement Durable (RDD)», le débat sur ce sujet avance et des solutions fortes et radicales sont envisagées pour réduire le gaspillage alimentaire. Les consultants qui ont fait des études ont été conviés jeudi dernier à exposer leurs travaux et résultats à la Cité des Sciences à Tunis, même «s’il y a trop peu de données là-dessus», comme l’on fait remarquer, d’emblée.
Pour rappel, cette conférence nationale, organisée par l’association RDD, s’inscrit dans le cadre du programme SwitchMed, autour du «gaspillage alimentaire », en tant que véritable problème en Tunisie. Le pain avec un taux de gaspillage de 15,7% de sa production totale, les produits céréaliers (20,2%), les légumes (6,5%), les fruits (4,2%), les produits laitiers (2.3%) et les viandes (1,9%) sont les principaux aliments gaspillés par les ménages tunisiens, selon l’institut national de la consommation (INC). «Le gaspillage alimentaire demeure de plus en plus significatif. Il contribue à réduire la disponibilité des produits, à accélérer la dégradation de l’environnement et à accroître le recours aux importations dont le pays est déjà fortement tributaire », a déclaré M. Samir Medded, président de RDD. «Notre association présente aujourd’hui un document de base et d’une grande importance qui explique l’état des lieux du gaspillage alimentaire en Tunisie», a-t-il ajouté.
Beaucoup reste à faire…
Un état des lieux qui prête à moult questions et recommandations. «On s’est basé sur des données peu ou pas suffisamment actualisées, mais on a pu ressortir des orientations et des recommandations. Des ateliers de travail déjà organisés concernant la gouvernance, la réglementation et la planification, surtout au niveau des connaissances pour savoir comment améliorer la connaissance sur la problématique du gaspillage alimentaire. Comment transformer nos modes de consommation et de production vers plus de durabilité ? Comment traiter cette problématique sur toute la chaîne alimentaire pour parvenir à un changement de nos comportements de consommation», s’interroge, de son côté, Ridha Abbès, ingénieur et consultant en environnement.
Le rôle accru de l’Etat et le travail institutionnel peuvent être envisagés dans une prochaine étape avec un programme national, au moyen d’une stratégie qui intègre une révision du cadre juridique et réglementaire et vise les acteurs clés de la chaîne alimentaire avec les agriculteurs, les transformateurs et les consommateurs. Afin de minimiser, un tant soit peu, le gaspillage alimentaire, en tenant compte de la crise économique et la nécessité du rationnement, il est question, selon lui, de mieux étudier le comportement des consommateurs. D’ailleurs, la crise économique et la pénurie du pain vécue l’an dernier l’ont secoué de plein fouet. «Inculquer au Tunisien de nouvelles valeurs éthiques et morales semble ainsi de mise», recommande-t-il.
Du gaspillage dans les hôtels !
Reste que le secteur hôtelier demeure l’une des sources de gaspillage alimentaire. Ainsi, Abbès se propose de leur infliger des mesures restrictives, telles que la taxe, qui existe depuis quelques années déjà, sur la non-consommation d’aliments gaspillés à table. Dans cette logique, Ali Habbab, universitaire agronome de formation, spécialiste en développement durable et membre actif de RDD, est revenu sur l’ampleur de ce phénomène en Tunisie, où se situe-t-il et comment y faire face ? Toutefois, on a du mal à en discuter, faute d’informations précises y liées, à l’exception des essais et des enquêtes effectués par l’INC.
Il en ressort que ce gaspillage alimentaire coûte aux alentours de 17 dinars par personne par mois, 12% des dépenses alimentaires du ménage et 3,6% des dépenses effectuées par le Tunisien (chiffres de l’INC en 2016). Ainsi, environ 22 % des subventions allouées à la farine pour la fabrication du pain sont gaspillées. Selon la même étude de l’INC, le pain gaspillé coûte environ 100 millions de dinars à la collectivité nationale, soit environ 22,2 % des 450 millions de dinars alloués par le budget de l’Etat, au titre des subventions fournies à la farine en 2017. Ce sont des chiffres suite à une enquête, mais on n’a pas de chiffres précis et régulièrement pris à ce niveau.
Ce gaspillage n’est, certes pas, sans effets sur le budget de l’Etat, en termes d’argent et de sécurité alimentaire nationale. Sachant que 70 % des céréales consommées sont importées, alors quand on gaspille, on en importe encore plus. Ce qui pèse lourd sur nos ressources naturelles, y compris l’eau, la terre et les engrais qu’on utilise pour produire. Ça joue également sur l’environnement, avec les aliments gâchés transformés en déchets. Des effets sur la contribution de la Tunisie en faveur du climat, avec la production de gaz à effet de serre des déchets produits.
En somme, une série de problèmes qui nécessite que le pays se dote d’une stratégie en la matière. Etant donné que la Tunisie est un pays touristique qui adopte le tourisme de masse, avec le all-inclusive, il y a, à ses dires, intérêt à se pencher sur la question du gaspillage alimentaire dans les hôtels. Et M. Habbab d’avancer ses arguments en faveur d’une législation à ce sujet : «Le déjeuner est source de gaspillage alimentaire énorme. Ainsi, les hôteliers sondés récemment considèrent qu’ils ont besoin d’un cadre législatif, d’une organisation, d’une stratégie pour que tout le monde s’y aligne». Des ateliers se sont penchés sur le travail du personnel dans cette optique, mais aussi sur l’existence d’une pénalité de l’ordre de 25 dinars qui sanctionne tout le monde sans exception, touriste local comme étranger en cas « de gaspillage à table ». Une politique nationale qui incite à réduire le gaspillage alimentaire est prépondérante, afin d’attirer les décideurs et les gouvernants dans ce sens. «Les pays du nord riches produisent 70% du gaspillage alimentaire, alors qu’ils ne représentent que 30% de la planète», précise-t-il.
Pour Nabil Hamdi, directeur du Programme des villes durables et point focal du programme Switchmed, la lutte contre le gaspillage alimentaire passe par l’instauration d’un cadre légal encadrant cette question et instaurant une sur-taxation des déchets provenant du gaspillage alimentaire pour promouvoir le recyclage des déchets.
Le responsable a également recommandé la promotion des start-up actives dans le développement de solutions de lutte contre le gaspillage alimentaire et de valorisation des déchets, le recours à l’intelligence artificielle et aux solutions technologiques pour sensibiliser et impliquer les citoyens dans cette lutte, la mise en œuvre du plan d’action de lutte contre le gaspillage alimentaire de la municipalité de Tunis et sa duplication dans les autres régions. Il a aussi plaidé pour la sensibilisation des élèves et des étudiants à travers l’installation de “gâchimètres” pour peser les restes alimentaires dans les écoles et les universités, ainsi que pour la mise en place, en collaboration avec l’Utica, de sessions de formation sur les techniques de lutte contre le gaspillage alimentaire.
Notons que toutes ces recommandations puisent dans la volonté de mieux gérer nos systèmes de production et modérer nos modes de consommation, dans la perspective d’une stratégie nationale globale en la matière.