En ces temps de sécheresse et de grande chaleur printanière inhabituelle, menaçant les stades clés du blé, aucun céréalier ne peut prévoir sa récolte d’été et ne peut guère, même à titre estimatif, comptabiliser ses coûts de revient.
Ainsi, la saison de moisson reste-t-elle à la merci des aléas du climat, des variétés de blé ensemencées et des conduites culturales adoptées le long du cycle de croissance de la plante.
Certes, il y a graine et graine, dont la différence consiste en la qualité des semences utilisées, leur adaptation à leur environnement et leurs quantités produites par hectare. Tous ces facteurs, faut-il le dire, sont considérés comme des catalyseurs déterminants de productivité et de rendement. Soit on récolte beaucoup plus que l’on sème.
Faute de quoi, la récolte de l’année dernière et celles des vaches maigres ont déjà été moins bonnes que souhaité. Et dans le meilleur des cas, les quantités collectées, lors des campagnes agricoles écoulées, ne pouvaient même pas satisfaire nos besoins annuels en produits céréaliers (blé dur, blé tendre, orge) estimés au total à 36 millions de quintaux. Soit on consomme beaucoup plus que ce qu’on produit. Ce qui nous incite, à chaque fois, à recourir à l’importation.
En deçà des prévisions !
D’ailleurs, le ministère de l’Agriculture avait annoncé, en septembre dernier, que tous les moyens seront mobilisés, en vue de réaliser l’autosuffisance en matière de blé dur, misant sur une production de 12 millions de quintaux pour en faire de la semoule, de la pâte et du couscous. L’ultime but étant, alors, de réduire le recours à l’importation et préserver nos avoirs en devises. A ce jour, on a l’impression qu’on est encore loin de ces prévisions. Et on risque, cette année, de ne pas atteindre les objectifs fixés. A quelques semaines de la récolte, la réalité du terrain en dit long sur le prochain bilan. Force est de constater, en ce début de mai, que les champs de blé aux tons ocre jaune ont les épis pas bien remplis. Ceci étant la résultante, selon leurs exploitants, du manque de pluies, des températures hivernales élevées et d’un système d’approvisionnement en eau d’irrigation mal géré. C’est que la majorité de ces céréaliculteurs «sinistrés», faut-il le souligner, ont, tous, utilisé des variétés dites locales, lesquelles sont jugées moins productives et trop sensibles au stress hydrique et aux impacts du changement climatique.
Alors que d’autres exploitations, pourtant cultivées sous les mêmes conditions, ont pu donner l’exemple, faisant acte d’épiaison et des graines bien pleines. Soit des variétés «Saragolla» et «Iride» introduites d’Italie depuis 2007 pour être, trois ans plus tard, inscrites au catalogue officiel des semences végétales, au nom de la Stima, Société tunisienne des intrants et matériels agricoles, pionnière en matière d’amélioration variétale. Et depuis, son gérant, Abdelmonom Khelifi, n’a ménagé aucun effort pour contribuer à l’établissement d’un partenariat public-privé, visant l’autosuffisance en blé dur, révélateur de la sécurité alimentaire. Il a réussi à donner corps à son projet multiplicateur de ces deux variétés qualifiées de prolifiques, de rentables et de résilientes aux aléas du climat. D’autant plus qu’elles font preuve de grandes valeurs nutritives (protéines, gluten..), de bonne qualité boulangère et d’indice de jaune assez élevé (plus de 26 points), ayant un effet salvateur sur la santé et préventif contre des maladies cancéreuses.
Une expérience qui remonte à 17 ans
Au fil du temps, ce projet de multiplication a fait son chemin. 17 ans déjà, le partenariat Stima-PSB, obtenteur
italien des semences, arrive aujourd’hui à maturité, jetant les bases d’une coopération agricole très avancée. Ceci étant, dans la perspective de fournir à nos céréaliculteurs des quantités suffisantes de semences importées (Saragolla et Iride), celles déjà expérimentées depuis 2007. Leur mise à l’essai fut, alors, effectuée, sous l’égide de ministère de tutelle et ses groupements agricoles, dans des champs expérimentaux inspectés à la loupe, répartis sur sept gouvernorats du nord et du nord-ouest, à savoir La Manouba, Bizerte, Beja, Jendouba, Le Kef, Siliana et Zaghouan. «Les résultats avaient, à l’époque, dépassé toutes les prévisions, avec une récolte assez bonne, produisant 70 quintaux par hectare», se rappelle encore Kamel Beddouihech, céréaliculteur, à Beja-Nord. L’homme était, alors, témoin d’une époque où la multiplication des semences de blé dur fut, d’ailleurs, considérée comme une initiative salutaire qui s’alignait, dès le début, sur les objectifs stratégiques du secteur. A Oued El Bagratte, à Beja-Nord, nul ne peut croire aussi facilement que certains champs du blé dur, pourtant cultivés en régime pluvial, sont encore si verdoyants et dotés de plantes correctement nourries et protégées. Selon M. Khelifi, semencier porteur d’un projet, fruit d’un partenariat public-privé, ce sont des champs érigés en parcelles pilotes de multiplication de blé dur, semées de «Saragolla» et «Iride». Beddouihech dispose de 15 hectares au total, comme terrain d’essai agricole étendu sur deux saisons 2023 et 2024 : «Saragolla nous l’avions déjà testée, il y a de cela 17 ans ou presque, c’est une variété devenue tunisienne puisqu’elle a été enregistrée sur notre catalogue local, depuis 2010. Elle faisait preuve des meilleures caractéristiques intrinsèques au niveau aussi bien de la quantité que de la qualité..». Ce céréalier lui a reconnu, également, son rendement et sa bonne adaptation au sol et à l’environnement : «Cette variété est en mesure de fournir 60 à 80 quintaux de blé dur par hectare, sous un régime pluvial. En irrigué, elle est d’autant plus prolifique qu’elle pourrait nous rapporter jusqu’à 90 quintaux/ha».
Quand les céréaliers sont satisfaits
Mondher Gharbi, agriculteur à Amdoun, un des fondateurs du groupement de producteurs de céréales à Beja, en 2006. Il est, aussi, un des initiateurs des champs d’essai de blé dur, mettant cette variété à l’épreuve. Il était, ce alors, très satisfait et fort impressionné du niveau de rendement qu’elle avait réalisé. Il l’est encore aujourd’hui, étant de même avis qu’auparavant : «Saragolla est une variété qui gagne en qualité et en quantité, comme en témoignent les résultats jusque-là aboutis». Et comme il n’arrivait pas à se procurer cette variété au début des semailles, il a décidé de l’utiliser l’année prochaine, dans le cadre de ces parcelles de multiplication. Et de faire savoir que l’Institut national de la recherche agronomique de Tunisie (Inrat) semble, lui aussi, déterminé à s’engager dans pareils projets d’amélioration variétale. «Encouragé par notre expérience, l’Inrat travaille, désormais, sur l’innovation dans ce domaine, ayant le droit d’obtention de nouvelles variétés qui vont mieux avec notre climat et environnement», indique M. Gharbi. D’ailleurs, à Beja, Jendouba et Bizerte, les champs de multiplication de « Saragolla » se portent à merveille. Là où a elle été semée, cette variété avait donné le ton, et dont l’actuelle campagne plaît à tous les céréaliers. Chose qui a mis du baume au cœur et qui a suscité chez le chef du projet, Abdelmonom Khelifi, l’envie d’aller généraliser l’expérience. «Cette année, environ 400 hectares de blé dur cultivés en régime pluvial sont, déjà, semés de la variété «Saragolla», et dont les champs de multiplication créés dans les régions de Bizerte, Béja et Jendouba sont considérés comme étant un terrain d’essai et d’expérimentation, censé être plus adapté à cette variété», indique M. Khelifi. Son souci est de parvenir à réaliser l’autosuffisance en blé dur. Et là, on est en droit de se poser cette question : si une telle variété présente un tel potentiel performant et des gains en termes de quantité et de qualité, pourquoi l’on n’a pas décidé de l’adopter et de l’importer, afin d’augmenter de plus en plus la production du blé dur et renflouer les caisses de l’Etat ? A bon entendeur !