Invité par l’Institut français de Tunisie à l’occasion de la Foire internationale du livre, dans sa 38e édition, Jadd Hilal a longuement et passionnément parlé de son 3e livre, paru aux éditions Elyzad, «Le caprice de vivre». Durant cette rencontre modérée par Ons Ben Youssef, professeure agrégée de littérature française, l’auteur franco-palestino-libanais nous en dit plus. On a retenu pour vous quelques extraits de cet échange édifiant…
O.B.Y : Avec «Le caprice de vivre», votre dernier livre paru récemment aux éditions Elyzad, il y a quelque chose de nouveau qui s’est déclenché. Pouvez- vous mettre des mots dessus ?
J.H : «Le caprice de vivre» est le premier roman que j’écris sans sujet. Pour «Des ailes au loin» et «Une baignoire dans le désert», mes deux précédents livres, j’en avais. Pour le premier, je racontais l’histoire de ma famille palestinienne. Pour le 2e, je voulais raconter l’histoire de mon cousin, qui a vécu la guerre en Syrie, qui s’est exilé, qui est homosexuel et qui a enduré tout cela seul, depuis ses 8 ans. «Le caprice de vivre», c’est un texte qui s’est écrit à mon insu. C’est en écrivant que je me suis rendu compte des choses qui m’importaient. C’était comme «rouler sur l’autoroute à 130km/h, sans s’en rendre compte, jusqu’à avoir un accident». Je me suis autorisé à sortir un roman de mon ventre. Il réunit colère, rêves, envies qui dataient d’il y a longtemps.
O.B.Y : «Ventre», «estomac», autant d’expressions utilisées au fil des pages du «Caprice de vivre». D’ailleurs, ce titre est intrigant, attrayant. Dites-nous en davantage.
J.H : Le titre, c’est ma bête noire, quand j’écris un roman. (Rire) Je trouve que titrer un livre, c’est autre chose que d’écrire un roman… Le trouver, c’est réduire l’écrit en quelque sorte. Ce titre a vu le jour suite à des discussions avec mes éditrices car ce qui réunit mes personnages, c’est l’idée d’une intransigeance. Ils ont un rapport intolérant à ce qui ne correspond pas à leur valeur. Pour Werda, c’est la vérité au péril de tout. Pour Human, l’idée de sauver la représentation des arabes, leur image est une priorité. Soulaymane se contente de s’allonger sur le canapé. Le caprice est une forme littéraire commune finalement aux trois personnages du livre.
O.B.Y : Il y a ce souci de titre, mais aussi les première phrases de votre livre… Vous parlez de l’intransigeance des personnages, et des dialogues, mais aussi de l’espace à la configuration intéressante.
J.H : C’est un sujet que j’aime bien rendre en littérature. La proximité, et ce lien qui me lit aux gens. Ça émane de mon ressenti pendant le Covid : les corps des gens et des amis m’ont manqué. C’est particulier de ne plus toucher quelqu’un. Dans ce roman, j’ai fait un focus sur le corps. Tous les moments de dialogue sont pour moi des moments d’échec. Quand on parle, on rate de faire ressentir. C’est comme au cinéma ! Avec Hitchcock, par exemple, il y a peu de mots. Les émotions sont ressenties. Le moment où il y a du dialogue, c’est quand il faut expliquer, ou s’exprimer. L’espace suffit ! L’extérieur/intérieur est présent aussi.
O.B.Y : Le personnage «Sulaymane» est taiseux, parle aux animaux, il est «Soulaymanesque», selon Human. Le sexe tue l’amour entre Werda et Human : un amour particulier déjà, qui coupe avec cet amour romantique, fleur bleue et, finalement, on voit l’amour dans les corps, dans les familiarités, dans le vivre-ensemble et tout ce qu’il y a de plus ordinaire…
J.H : Et dans tout ce qu’il y a de plus malsain ! L’amour c’est quelque chose de bien, d’agréable, et qui, parfois, fait mal. L’amour est un réceptacle de doute, de douleurs, d’angoisse. Ce livre est un roman d’apprentissage : le premier volet d’une saga plus générale. Il va y avoir une suite sur l’apprentissage de ce personnage. Il apprendra à aimer car aimer ça s’apprend. On ne s’aime pas de la même manière; avec le temps, ça change. J’envisage de travailler sur l’idée que l’amour ce n’est pas uniquement de respecter l’autre. Est-ce que c’est du désir ? De l’amour ? Autant de questionnements. Les corps disent beaucoup aussi et spécialement ceux qui vieillissent ensemble.
*«Le caprice de vivre» (Editions Elyzad)