L’auteure française Catherine Cusset à La Presse : «C’est difficile aujourd’hui d’être femme sans être féministe»

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L’écrivaine française Catherine Cusset était en Tunisie pour participer à une série d’évènements littéraires organisés par l’Institut français de Tunisie. Résidant depuis trente-cinq ans aux Etats-Unis, elle a enseigné la littérature française du XVIIIe siècle à l’université Yale avant de se consacrer totalement à sa carrière d’écrivaine.  En effet, elle est l’auteure de plusieurs romans parus aux éditions Gallimard et traduits en 18 langues dont l’arabe.

Dans les fresques romanesques de Catherine Cusset, les thèmes des liens familiaux, du désir et des conflits culturels sont récurrents et agrémentés de souvenirs personnels. Elle se démarque de ses contemporains par une écriture directe et incisive qui lui a valu de nombreux prix et distinctions. D’ailleurs, elle est lauréate du Grand Prix des lectrices de Elle pour «Le Problème avec Jane» paru en 2000. En 2008, elle publie «Un brillant avenir» qui a remporté le prix Goncourt des lycéens. Elle est également finaliste du Prix Goncourt de 2018 pour son roman d’inspiration autobiographique «L’Autre qu’on adorait».

Lors de son passage à la Librairie Fahrenheit 451 de Carthage pour une rencontre littéraire le 18 mai 2024, elle nous a accordé cet entretien.

Vous êtes Française et vous n’avez quitté votre pays natal que pour vivre avec votre mari américain de l’autre côté de l’Atlantique. Pourtant, vous êtes membre du Parlement des écrivaines francophones. Comment pouvez-vous l’expliquer ?

J’ai vécu trente-cinq ans à New York où j’ai écrit tous mes livres. La plupart des évènements de mes romans se passent entre la France et les Etats-Unis. Il y a une expérience de l’ailleurs, de la différence, de l’altérité, de la langue et la culture de l’autre qui m’a amenée naturellement à être membre de ce Parlement.

Les personnages de vos romans sont-ils conçus pour véhiculer des idées féministes ?

C’est difficile aujourd’hui d’être femme sans être féministe. J’ai toujours été pour l’égalité des droits. Mon dernier roman «La Définition du bonheur» suit le parcours difficile de deux amies sur toute leur vie. Elles se découvrent une force intérieure et une énergie incroyable en apprenant à être moins dépendantes de la société patriarcale. Ce modèle féminin s’étend en Occident comme dans les pays du Sud. D’ailleurs, les femmes contemporaines de 50 ans et même de 70 ans sont extrêmement différentes des anciennes générations. J’espère que toutes les femmes auront au moins accès à la littérature qui est un espace de liberté extrêmement important. Les livres permettent de découvrir l’intériorité parce que la liberté commence par les sentiments et les pensées.

Les prix littéraires que vous avez reçus ont-ils influencé votre vocation ?

Vous savez que le succès commercial des livres n’est pas évident. Les prix m’ont fait connaître et ont multiplié mon lectorat par dizaines. Les ventes m’ont assuré une bonne situation financière. Ils m’ont permis de vivre de ma plume et d’arrêter mon travail d’enseignante universitaire. Je peux alors confirmer que les distinctions qui ont attiré l’attention sur mes livres ont marqué un changement économique dans ma vie. Pour le changement littéraire, je n’en suis pas sûre. Pourtant, je n’arrête pas de répéter que je n’écris pas pour gagner de l’argent. J’écris pour transmettre ce qui est important pour moi. Je ne peux pas prévoir le succès commercial avant la parution du livre.

Est-ce qu’il y a toujours une part de vous dans vos écrits ?

Oui, évidemment. L’écriture est forcément intime pour accéder à la vérité. Mes romans émergent de ma vie et de mes passions.

Mon roman «L’Autre qu’on adorait» est inspiré de l’histoire d’un ami qui s’est suicidé.

J’ai voulu raconter son combat contre sa maladie mentale et la société qui stigmatise les bons vivants. S’il a réussi à toucher les lecteurs, c’est parce que ça émane du réel. D’autres livres sont inspirés de mon expérience d’expatriation, de ma vie conjugale et même de ma belle-mère.

Vous avez écrit un roman intitulé «La Définition du bonheur». Pouvez-vous nous faire part de votre conception du bonheur ?

Il y a énormément de définitions. C’est un sentiment qui vient de nous et se résume surtout à faire ce dont on a envie. On peut vous proposer des choses merveilleuses mais ce n’est pas ce dont vous avez besoin.

Être face à la mer avec un bon livre peut correspondre à ma définition d’un moment de bonheur.

Cette citronnade tunisienne faite maison et ces biscuits qu’on vient de m’offrir sont également un bonheur. Le plus important est que le bonheur ne s’impose pas.

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