L’idéal serait de voir cette mutation inespérée d’une attitude brutale et chaotique à un comportement sage et responsable faire tache d’huile dans toutes les associations sportives, pour que les stades et salles omnisports recouvrent leur vocation naturelle, comme lieux de compétitions sportives, de joie, de spectacle et de saine émulation.
Depuis que le phénomène de la violence a pris ses quartiers dans les stades, dans les années 80, pour se poursuivre, à ce jour, et propager sa folle spirale, on n’a pratiquement rien fait pour véritablement creuser jusqu’aux racines du problème, condition sine qua non pour trouver des solutions à la base. Jusqu’ici, en effet, on se contentait, au lendemain de chaque incident enregistré, de dénoncer, de réclamer l’ouverture d’une enquête et de balancer des appels à la retenue. Sans plus, et, fatalement, deux ou trois jours après, on n’en parlait plus.
Inévitablement, à force de voir perdurer cette gestion calamiteuse du fléau de la violence, ce dernier a fini par basculer dans la banalisation pure et simple. Maintenant, qui blâmer ? Sont-ce les gouvernements qui se sont succédé depuis les années 80-90 et qui «rivalisaient», pour des raisons diverses, de laxisme et de passivité en matière de lutte contre la violence dans les arènes sportives ? Ou encore les clubs ? Dont la plupart des dirigeants se soucient davantage de leurs intérêts personnels que de l’encadrement des fans ? Ou enfin des fameux comités des supporters qui ont, pour une raison ou pour une autre, échoué purement et simplement dans l’accomplissement de leur noble mission pour laquelle ils ont été élus ou désignés ?
Gaza est passée par là
Ces derniers temps, toutefois, il est réconfortant de constater qu’une brise d’espoir a soufflé sur les stades, entraînant l’émergence d’une tendance de plus en plus croissante à l’humanisation du comportement des supporters. En effet, d’aucuns ont remarqué, depuis fin 2023, que les fans ne sont plus seulement là pour endommager et déverser leurs bas slogans, jeter des fumigènes, ou encore endommager les équipements des gradins et les véhicules stationnés autour de l’enceinte sportive. Aujourd’hui, on les voit, au contraire, entonner des chants patriotiques et brandir drapeaux géants et banderoles multicolores qui tirent à boulets rouges sur un certain… Netanyahu. Et mine de rien, depuis l’invasion de Gaza, il ne se passe pas, chez nous, un match de foot (et même de handball), sans qu’on découvre à travers ces «Dakhlas» des messages (écrits et illustrés) défendant crânement la cause palestinienne.
En effet, outre la présence massive du drapeau de la Palestine et du portrait du chef de l’aile militaire du Hamas, Yahya Sinwar, la souffrance quotidienne des Gazaouis (enfants affamés, mères en détresse, maisons et bâtiments en ruine, cadavres carbonisés…) est abondamment mise en avant par cette superbe manifestation de solidarité à l’enclave sinistrée. Et ça se répète lors des rencontres internationales qui se déroulent dans nos murs.
Du coup, et face à ce changement soudain du comportement de la galerie, des questions têtues s’imposent : comment ce miracle a-t-il pu se produire ? Qui est l’artisan de cette métamorphose qui relevait, il n’y a pas longtemps, de l’utopie ?
L’enquête que nous avons menée à ce sujet nous a permis de dégager une première vérité, à savoir qu’un très grand nombre de groupes de supporters fanatiques, particulièrement ceux des grands clubs du pays (et c’est là un bon signe), ont été infiltrés (autant dire renforcés) par des fans sages, instruits et financièrement aisés. Ces derniers, qui étaient, dans leur presque totalité, d’anciens habitués des virages des stades (chasse gardée des casseurs), ont pu rallier les groupes pourtant fermés des «Ultras», en allant les côtoyer chez eux dans les quartiers populaires. Là où, le verbe facile et la capacité d’influence aidant, ils ont réussi à les faire revenir progressivement à de meilleurs sentiments. «Ce ne fut pas chose aisée» reconnaît Rchid Lahmaidi, médecin généraliste de son état et désormais nouveau patron du redoutable groupe des fans clubistes « Dodgers». Ce doc âgé de 42 ans se souvient encore de ses premiers pas. «Quand tu as affaire, indique-t-il, à des jeunes marginalisés et, pour plusieurs d’entre eux des repris de justice, il faut absolument user d’intelligence et surtout de patience pour que la mayonnaise prenne. Dieu merci, j’ai relevé ce défi et aujourd’hui je suis heureux pour eux. Ils m’écoutent et répondent présent aux préparatifs de nos “dakhlas” que je finance bénévolement». Et d’ajouter : «Je leur ai fait comprendre, à titre d’appât, qu’à l’heure des réseaux sociaux et de l’IA, on peut faire de belles choses qui pourraient, via la Toile, se répandre comme une traînée de poudre dans le monde. Et c’est encore moi qui crée les messages et choisis les thèmes, et c’est à eux de faire vibrer les gradins».
Des exemples concrets
Fayçal, 22 ans, est un des centaines de disciples de notre interlocuteur qui ont adopté sa trouvaille pour s’assagir. «J’ai fini, avoue cet habitant de la chaude cité de Kabbaria, par quitter mon groupe des Winners. Et je n’ai pas à regretter mon passage aux Dodgers, parce que j’ai été impressionné par sa vision humaniste qui est en mesure de m’éloigner des champs minés de la délinquance et du banditisme qui m’ont valu deux peines de prison».
Dans le même contexte, nous avons constaté que de plus en plus de responsables de clubs ont adhéré à cette nouvelle vision, non seulement par un soutien moral, mais également par la contribution à l’effort de financement de chaque dakhla qui nécessite, il est vrai, outre des moyens de transport, d’importants fonds pour financer l’achat des drapeaux, bâches, banderoles, bois et produits de quincaillerie et de peinture. Des frais que cette communauté de tifosis, généralement issus de familles nécessiteuses, est incapable de payer, si massif soit le recours à la cotisation.
Aidons-les !
Comme l’appétit vient en mangeant, l’idéal serait de voir cette mutation inespérée d’une attitude brutale et chaotique à un comportement sage et responsable faire tache d’huile dans toutes les associations sportives pour que les stades et salles omnisports recouvrent leur vocation naturelle, comme lieux de compétitions sportives, de joie, de spectacle et de saine émulation. En est-on capables ? «Pourquoi pas», réagit Ghosn El Mersni, docteur en sociologie spécialisé en psychosociologie. «Le défi, estime-t-il, n’est pas insurmontable. En effet, un bad boy est fondamentalement récupérable. Il ne faut pas le traiter par la force et la répression. Bien au contraire, au lieu du rejet et de la stigmatisation, il faut aller vers lui, l’écouter attentivement, avant de passer à l’épreuve de la sensibilisation et de la conscientisation. Et, à l’instar d’une personne victime d’addiction à la drogue qui a impérieusement besoin d’un process de sevrage, suivie d’une récupération physique et psychique, les petits diables des stades méritent qu’on leur témoigne attention et amour pour les aider à se “dehooliganiser” et, in fine, à réintégrer la société. Sauvons-les. Il suffirait d’y croire !»