Le volume des indemnisations, en hausse de 3,5% en 2023, continue de constituer le talon d’Achille du secteur. Les professionnels du métier proposent des solutions, les assurés se sentent toujours lésés. Certains expriment parfois leur ras-le-bol. Témoignages
Il fallait s’y attendre : les assureurs se mettent enfin à l’heure de l’IA (intelligence artificielle). Et pour le prouver, ils étaient, l’autre jour, tous là, à l’occasion de leur 17e édition du «Rendez-vous de Carthage de l’assurance et de la réassurance». Organisée récemment à Tunis par la Fédération tunisienne des sociétés d’assurances (Ftusa), en présence d’une kyrielle d’experts tunisiens et étrangers, sur le thème «Le secteur de l’assurance et les enjeux de l’IA», elle a officiellement consacré l’entrée en lice de ce secteur dans l’ère de la digitalisation.
Pour Hatem Amira, directeur général de la fédération, «L’IA reflète la conviction des professionnels quant à l’importance des technologies avancées pour notre secteur. En fait, la digitalisation en assurance est un processus de transformation numérique qui permet aux compagnies d’assurances de se moderniser et de s’adapter aux nouvelles technologies. Et cela implique l’utilisation de logiciels, d’applications mobiles et de chatbots (programme informatique qui simule et traite une conversation humaine écrite ou parlée, pour optimiser le travail et réduire les coûts». II était temps, et mieux vaut tard que jamais, parce que, qu’on le veuille ou pas, tout ne baigne pas dans l’huile dans ce secteur où les rapports avec les clients n’ont presque jamais été au beau fixe.
Grogne et lassitude
«Si vous faites un sondage d’opinion, vous saurez, en conclusion, que deux assurés sur trois sont en fronde continuelle avec les compagnies d’assurances», jure Mokni Lotfi, commerçant, qui évoque «la persistance de points noirs inhérents notamment à la procédure controversée du déclassement d’une catégorie à une autre, la lourdeur dans l’accomplissement des formalités et la lenteur dans le versement des indemnisations. Avouons que c’est trop».
Même son de cloche chez l’instituteur Hichem Belhassen. «Tenez, lâche-t-il, l’indemnisation doit être versée, comme indiqué dans le contrat, dans les trente jours, après que l’assureur a reçu le rapport de l’expertise judiciaire. Hélas, l’opération pourrait durer jusqu’à six mois, comme ce fut mon cas. Cela sans parler des souffrances qu’on endure en cas de résiliation de contrat ou de diagnostic d’un sinistre».
Boutheina Khelifi, banquière, estime que «tout dépend de la réputation de la compagnie d’assurances qu’on choisit, et naturellement il y a la bonne et la moins bonne. Il faut donc se garder de généraliser et de mettre tout le monde dans le même sac».
Réplique de Amen Allah Ben Ammar, chef d’agence d’une compagnie d’assurance qui a pignon sur rue. «Il est vraiment bizarre, se lamente-t-il, de constater que certains s’acharnent à nous diaboliser, alors que nous faisons notre travail en toute transparence, dans les règles de l’art».
Sécurité routière, mon doux souci
Selon les statistiques officielles de 2023, il s’est avéré que, sur le chiffre d’affaires global qui a atteint les 3.389,3 MD, l’assurance automobile a accaparé aussi bien la part la plus élevée avec 1.358 MD, soit en hausse de 4% par rapport à 2022, que la plus grosse part des indemnisations (870 MD contre 804 MD en 2022), alors que sur les trois millions 387 mille contrats souscrits l’année dernière, quelque 888 mille concernaient la branche automobile !
«Cela est dû, explique M. Ben Ammar, a plusieurs facteurs, particulièrement l’augmentation du nombre d’accidents de la circulation, la baisse du taux de change du dinar et la hausse des prix des pièces de rechange». Que faire pour éponger le déficit chronique de cette branche d’activité ? «Je propose deux solutions», répond Amen Allah, qui les spécifie comme suit: primo, nécessité d’augmenter les tarifs d’assurance qui stagnent depuis 2017. Secundo, la réduction du nombre d’accidents de la route, et cela, à mon avis, par l’amélioration de l’infrastructure routière et le durcissement des mesures de lutte contre les contrevenants, les fous du volant en premier lieu, tout en intensifiant les campagnes de sensibilisation et de responsabilisation pour le respect du Code de la route.
C’est d’ailleurs dans ce cadre que la Ftusa ne cesse de conjuguer les efforts de conscientisation à l’adresse des automobilistes. En effet, elle a institué le prix BNS (bonification de non sinistre) qui permet à l’heureux assuré, auteur d’un sans-faute sur l’asphalte, de bénéficier d’une ristourne de 15% lors du renouvellement de son contrat. La même fédération a également mis en jeu «le trophée de la meilleure assurance auto», un concours organisé chaque année en pompe pour honorer ce qu’elle désigne comme «les volants d’or». Récemment encore, s’est tenu à Hammamet «le forum international de la RSE sur la sécurité routière» avec la participation d’une armée d’assureurs et d’assurés représentant la Tunisie, mais aussi des pays arabes et européens.
Agence antifraude
Sur un autre plan, il faut relever que des conflits opposant assureurs et assurés qui n’ont pas été réglés à l’amiable ont parfois pris le chemin des tribunaux, sur fond d’échanges d’accusations. «Il est regrettable, se défend Haythem Blel, gérant d’une agence d’assurances de la place, de voir certains clients qui constituent, heureusement, une minorité, violer des clauses qu’ils ont eux-mêmes entérinées dans leur contrat. Nous, nous ne forçons personne à devenir notre client et nous ne lui dictons rien, car il y a notre offre, et c’est à lui de prendre ou de laisser».
Ne faisant pas mystère de ses bonnes intentions de collaboration et d’entente mutuelles, la Ftusa s’est engagée récemment à créer une agence antifraude, l’objectif étant de conférer davantage de transparence aux relations des 24 compagnies d’assurances du pays avec la clientèle.