Le métier séculaire de la soie a progressivement été remplacé par des techniques modernes et les tisserands maîtrisant ce savoir-faire ancestral se font de plus en plus rares…
Qui ne se souvient pas de cette fameuse scène où l’on voit le leader de l’indépendance, Habib Bourguiba, dévoiler la tête d’une femme portant le fameux sefsari dans un geste significatif qui symbolise la délivrance de la femme du joug des traditions et des coutumes patriarcales ? Pourtant, le sefsari ne peut ni ne doit être assimilé à la burka et au nikab ainsi que d’autres types de voiles islamiques qui enferment la femme dans le carcan des règles rigoristes dictées par les hommes. Ce vêtement traditionnel purement tunisien a été porté par les femmes pendant des siècles pour cacher leurs attributs féminins au regard des hommes lorsqu’elles sortent de chez elles. Cette pièce d’étoffe, à l’instar d’autres drapés traditionnels, est confectionnée principalement à partir de la soie, une matière qui a fait un long chemin avant d’arriver en Tunisie et plus précisément dans la ville de Mahdia.
Le long voyage de la soie
C’est, en effet, un long voyage qu’a effectué cette matière noble, passant par le Yemen, la Syrie, l’Irak comme le mentionne Alya Hamza dans son livre «Savoir-faire des territoires». Les tisserands se sont posés en Tunisie à partir du Xe siècle, rapportant avec eux un savoir-faire inestimable qui a permis de confectionner les plus beaux costumes et drapés traditionnels pour les hommes et les femmes tunisiennes. Le travail de la soie a connu un véritable essor en Tunisie grâce à des communautés comme celle des Andalous en Tunisie qui ont excellé dans ce savoir-faire contribuant au rayonnement de la réputation des tisserands tunisiens au-delà des frontières du pays. Afin que ce métier de la soie perdure, Kheireddine Pacha a mis en place la culture du mûrier et l’élevage du vers à soie, évitant, ainsi, aux artisans d’être à court de fils de soie. C’est grâce à ces artisans de l’ombre, penchés sur leur métier séculaire dans un silence sépulcral, que les magnifiques vêtements, costumes d’apparats et accessoires traditionnels, tels que la jebba, farmla, bediâa, seroual, sefsari, rda… en soie ont pu voir le jour. La fameuse jebba sakrouta en soie… portée lors des cérémonies religieuses et des grandes occasions, telles que le mariage, la fête de circoncision… s’est fait connaître pour sa classe et son élégance.
Les tisserands se font rares
Dans le Sud, le magnifique rda en soie bariolée et cousu de fils couleur or est porté par les femmes lors des cérémonies qui rythment la vie sociale. «Le rda, pièce de soie unie à la bordure enrichie de fils multicolores, accompagne la femme tout au long de sa vie : elle s’en drape le jour de son mariage, on en voile son lit d’accouchée et il lui servira de linceul le dernier jour de sa vie», dixit Alya Hamza. Dans la ville de Mahdia, le costume d’apparat féminin en soie est un accessoire indispensable du trousseau des jeunes filles en âge de se marier. Elles le portent après le mariage au cours de toutes les cérémonies auxquelles elles prennent part. Aujourd’hui, en dépit des efforts de l’Office national de l’artisanat et de stylistes modélistes privés pour remettre ces vêtements au goût du jour en leur apportant une touche moderne et tendance, les traditions sont en train de se perdre et ces vêtement ne sont plus portés qu’à de rares occasions. Quelques jeunes filles portent le sefsari lorsqu’elles se rendent au hammam avant la cérémonie de mariage et on continue à porter le rda, notamment dans le Sud, uniquement lors des cérémonies traditionnelles. Quant au nombre des tisserands, alors qu’ils étaient une soixantaine en 1960, ils se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une seule main.