Première Conférence panafricaine à Tunis : Combattre les flux financiers illicites, une responsabilité partagée

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Ces fléaux qui rongent et qui dérangent. La lutte, à entendre les experts internationaux présents et les responsables gouvernementaux africains et autres représentants des partenaires de l’UA, devrait être menée via une multitude d’actions dont celles à élaborer sur le plan législatif, certaines pour une coordination optimale entre les pays africains, notamment en matière de communication des données fiscales et autres, ainsi que des actions pour le tracking des réseaux criminels et des transferts illégaux. La restitution des biens spoliés nécessite quant à elle une coordination internationale et une volonté et un courage politiques de la part d’autres pays, en l’occurrence ceux du Vieux Continent…

Organisée par l’Union africaine à Tunis les 26, 27, et 28 juin, la première Conférence panafricaine sur les flux financiers illicites (FFI) a été ouverte hier par le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, en présence d’éminentes personnalités et de hauts responsables nationaux, africains et internationaux dont des représentants de différentes structures africaines relevant notamment de l’Union africaine, ainsi que de l’Union européenne. Les travaux de cette première conférence du genre à un tel haut niveau s’inscrivent dans la perspective de formuler une réforme structurelle africaine afin de lutter contre les différentes formes de flux financiers illicites tout en s’alignant sur les efforts de développement durable conformément aux dispositifs de l’Agenda de développement pour l’Afrique 2063; agenda qui reflète le panafricanisme et la renaissance africaine.

En ouverture, le ministre des Affaires étrangères, Nabil Ammar, a prononcé son discours devant une audience représentant tous les pays africains et maintes institutions africaines notamment l’UA, et à leur tête S.E. l’ambassadeur Albert M. Muchanga, commissaire au développement économique, au commerce, au tourisme, à l’industrie et aux minéraux, ainsi que la représentante de l’Equipe Europe, Mme Brigit Pickel, directrice générale pour l’Afrique au ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement. Ammar a souligné le devoir d’agir avec courage face à ce phénomène de flux financiers illicites qui pèsent très lourd sur l’économie des pays africains et en voie de développement. En effet, cet appel s’inscrit dans la perspective de cette première conférence du genre en Afrique et dont la Tunisie a eu l’honneur de l’organiser sur le thème : «Agenda fiscal africain dans la lutte contre les flux financiers illicites : des paroles aux actes». Et l’Union africaine semble bien déterminée, tout comme ses pays membres, à s’attaquer à ce grand chantier parmi d’autres de l’heure, notamment le développement économique et social sur le continent…

Renforcer les lois et les institutions

Relatant le défaut d’une notion commune à l’échelle internationale de ces flux à cause de la complexité des causes, réseaux, et finalités de ces FFI, Nabil Ammar a confirmé que ces derniers charrient d’énormes montants d’argent utilisés dans des circuits criminels, et qui auraient pu servir au développement économique et social. Il s’est appuyé sur les statistiques de Transparency International, selon lesquels les pays en voie de développement perdent un trillion de dollars américains annuellement à cause des flux financiers illicites. «Un chiffre, commente Ammar, qui est égal à la somme de toutes les aides financières au développement que ces pays reçoivent en une année ! Cette même étude de Transparency international confirme que la Tunisie enregistre une perte qui dépasse 1,2 milliard de dollars américains par an à cause des même flux illicites à travers la contrebande, l’évasion fiscale, les réseaux criminels organisés, le terrorisme, la traite des personnes, le transfert illégal des fonds et le blanchiment d’argent. Cela nécessite, en urgence, l’instauration de politiques et de mécanismes plus efficients sur le plan civil et judiciaire, afin de lutter efficacement contre ces fléaux en Afrique et ainsi reprendre les capitaux en relation avec la corruption, lutter contre le blanchiment d’argent via le renforcement des lois et des institutions en charge de ces tâches, et l’adoption de politiques plus transparentes quant aux équilibres financiers des pays africains».

La Tunisie s’est alignée sur les normes internationales

Nabil Ammar a dans son discours souligné l’importance accordée par la Tunisie, hôte de cet événement majeur, à la lutte contre la corruption financière, le blanchiment d’argent, l’évasion fiscale, et autres transferts illégaux de fonds à l’étranger. Il a rappelé que la Tunisie avait en 2003 promulgué une loi pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, en s’alignant sur les normes internationales en la matière et ce à travers la création d’institutions adéquates dotées des moyens nécessaires pour traquer les flux financiers illégaux. Par la suite et en 2015, une nouvelle loi a été promulguée en la matière en parfaite concordance avec les recommandations du groupe de travail financier et avec les décisions du Conseil de sécurité relevants des Nations unies. Ammar n’a pas manqué de noter que la Tunisie est signataire des conventions internationales et régionales de lutte contre les FFI, et de mentionner l’importance des efforts de réformes législatives nationales en cette matière, outre sa coordination avec les organisations et institutions internationales dans la lutte contre ces fléaux illégaux et criminels. Pour conclure avec un nouvel appel à entamer une réforme du système financier mondial à travers ses différentes institutions et leurs méthodes de procéder afin de rendre plus efficace cette lutte contre les FFI, ainsi que le gel des fonds spoliés et leur restitution aux pays d’origine. D’ailleurs, un panel principal de cette conférence traite de l’architecture financière mondiale et de sa possible réforme.

Rappelons qu’en mai 2022, les ministres africains des Finances, de la Planification et du Développement économique ont adopté une résolution appelant l’ONU à entamer des négociations en vue d’une convention internationale sur les questions fiscales sous les auspices de l’ONU. Cette initiative a pris de l’ampleur en novembre 2022, lorsque le Groupe africain, dirigé par le Nigeria, a proposé une résolution révisée aux Nations unies axée sur la «Promotion d’une coopération fiscale internationale inclusive et efficace aux Nations unies». Le 30 décembre 2022, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 77/244, plaidant avec insistance en faveur de l’avancement d’une coopération inclusive et efficace en matière fiscale. Puis en novembre 2023, une résolution révisée présentée par le Nigeria au nom du Groupe africain a été soumise à un vote, au cours duquel 125 pays ont approuvé la résolution, 48 pays ont voté contre et 9 pays se sont abstenus. Depuis lors, le processus de rédaction des termes de référence de la Convention fiscale des Nations unies a commencé par l’intermédiaire d’un comité intergouvernemental ad hoc dont le bureau est actuellement présidé par l’Égypte. On peut noter la dynamique et le leadership de l’Afrique en faveur des réformes, mais il reste encore beaucoup à faire au niveau national, régional et international pour mobiliser les pays africains afin de promouvoir des positions de réforme communes qui protégeront les assiettes fiscales de l’Afrique et contribueront à freiner les flux financiers illicites. Ce rendez-vous de Tunis semble être une bonne occasion pour une relance dans cette perspective.

La question épineuse des financements du développement

Pour sa part, le commissaire Albert M. Muchanga a souligné, lors de son discours, qu’une grande partie de l’argent qui circule en Afrique n’est pas auditée, et que l’écosystème de lutte contre les flux financiers illicites dans le continent n’est pas à son top. Muchanga a relaté les défis et les étapes à franchir dans la perspective de réforme des différents volets inclus dans cette lutte contre les FFI dont le législatif, l’institutionnel et la coopération au niveau de tout le continent. Il na pas hésité à affirmer la volonté de l’équipe dirigeante de l’UA et de ses pays membres à avancer dans le chemin de la réforme de cet écosystème pour contrer ces différentes facettes de criminalité financière qui représente un obstacle majeur au développement du continent.

Les différents intervenants africains ont mentionné la nécessité de voir les partenaires de l’Afrique soutenir ses efforts en la matière pour lutter contre les FFI et la restitution des fonds spoliés, rejoignant ainsi l’appel du ministre tunisien des Affaires étrangères, Nabil Ammar. Pour sa part, Brigit Pickel, représentante de l’Equipe Europe, a relaté l’expérience allemande en la matière qui s’articule sur le suivi des flux financiers illégaux et qui a donné des résultats importants, selon elle. Pickel a indiqué que l’Union européenne est active avec 12 pays africains dans le domaine de la coopération dans la lutte contre les FFI et le blanchiment d’argent. Elle a rappelé que sur le plan législatif international, le G7 avait en 2022 instauré toute une panoplie de divisions additionnelles d’audit et de transparence des flux financiers internationaux, outre les task forces installées pour lutter contre les différentes formes de FFI et autres formes de criminalité. Pickel a rappelé que la lutte contre les FFI n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’augmenter les chances de développement durable et de garder le maximum de chances d’avoir une vie digne, et un gage de démocratie soutenant les efforts de croissance mutuelle et soutenable.

La conférence s’étale, par ailleurs, sur deux autres journées, aujourd’hui et demain, avec plusieurs panels et le recouvrement des avoirs, la corrélation FFI et dettes, les intersections FFI et commerce, et bien d’autres sujets sont au menu. En conclusion, des recommandations seront retenues et pourront faire le projet d’un plan d’action panafricain en la matière. La conférence de Tunis pourrait redonner du souffle à cette perspective de lutte contre les flux financiers illégaux à un moment important où la majorité des pays africains sont à la recherche de financements de leurs programmes de développement…

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