Durant la période estivale, la ville de Kasserine s’apprête, comme chaque année, à fêter ses «Zarda». Cette célébration, jadis rattachée à d’anciens marabouts, a évolué en de véritables festivals avec des partenaires locaux et nationaux : concerts, jeux équestres, expositions, compétitions de poésie et même de cuisine...
Les villes de Feriana, Haidra, Bouzguem et bien d’autres accueillent, chaque été, des dizaines de milliers de spectateurs, dont les habitants des villes voisines et un grand nombre de touristes et de participants algériens et libyens. Les «Zarda» ont toutes un point commun : valoriser la formidable richesse et la diversité du patrimoine de la région.
Une fête religieuse à l’origine
La Zarda est à la base un hommage à la mémoire du saint local dit «Wali Salih». D’ailleurs, elle est basée près de son tombeau. La date de la célébration diffère d’une ville à l’autre et la durée est généralement de 3 à 4 jours. Ce rite religieux est conçu pour se rapprocher des saints qui, selon la croyance des fidèles, ont protégé le pays et comblé les hommes de leur bénédiction. La visite aux mausolées se poursuit jusqu’à nos jours avec d’autres actions empreintes de sacralité comme allumer des bougies, réciter du Coran et faire des vœux afin d’obtenir la protection et la bénédiction du marabout. Ce sont les conservateurs du mausolée, en général des descendants du saint, qui accueillent et guident les visiteurs.
Ce grand rassemblement peut s’avérer l’occasion de rencontrer un éventuel prétendant ou une future belle-mère. Les femmes qui sortaient peu auparavant en profitent pour mettre leurs plus beaux habits, achetés spécialement pour cette occasion. Les préparatifs sont complétés par une touche de Henné obligatoire, appliquée la veille aux mains et aux pieds.
Si les détails des rites cultuels et festifs de la Zarda diffèrent selon les régions, le sacrifice d’animaux en fait toujours partie intégrante. Le couscous est alors généreusement distribué avec le tajine. Ils sont offerts aux visiteurs au nom du saint de la région dans des tentes traditionnelles ou même en installant des tables devant les maisons.
Des cercles sont organisés dans les tentes pour les chants soufis «dheker» et la poésie orale qui porte des leçons, des contes et des légendes citant les ancêtres.
Un souk se tient en parallèle. On y trouve des produits de terroir, des ustensiles de cuisine, des vêtements traditionnels ou modernes, des jouets pour enfants ou même des produits de contrebande. Un aliment phare proposé est la halwa colorée au pin d’Alep, appelée communément «Halwet Zarda». Armés d’un marteau ou une petite hache, les vendeurs coupent en morceaux ces sucreries de texture très solide qui se vendent pour quelques pièces et une rage de dents garantie.
La musique bédouine locale est toujours présente par les instruments traditionnels comme la Zokra. Elle accompagne généralement les spectacles équestres qui se tiennent les après-midi. Les cavaliers, dont certains sont originaires de Kasserine et d’autres venus spécialement de l’Algérie et de la Libye, maîtrisent ce savoir-faire depuis des générations. Habillés en tenue spéciale traditionnelle, ils font des courses de chevaux et des manœuvres avec leurs fusils, au grand bonheur du public qui se compte par milliers. À travers des spectacles captivants et des rencontres culturelles uniques, chaque Zarda offre une expérience immersive qui célèbre l’authenticité de la communauté organisatrice.
De la Zarda au festival : le concept évolue
Selon la chercheure Omezzine Hajji, spécialiste du patrimoine culturel originaire de Kasserine, l’importance de la Zarda réside dans le fait de réunir divers aspects de l’héritage culturel en une seule célébration. En plus du divertissement, elle contribue à créer une véritable dynamique culturelle et touristique.
«La Zarda n’est plus perçue au sens religieux avec l’évolution des mentalités. L’ambition de cette cérémonie est claire : permettre à tous les publics— habitants ou touristes —de découvrir ou redécouvrir sous des angles nouveaux les particularités culturelles de notre région», nous indique la chercheure. «La Zarda de Sidi Tlil à Feriana est organisée chaque année au même emplacement depuis plus de deux siècles», ajoute-t-elle. «Depuis sa création, elle s’est imposée comme un événement incontournable pour mettre en lumière notre identité et notre originalité, allant des habits traditionnels à la cuisine, en passant par la poésie et la musique. Aujourd’hui, on vient pour le grand marché très animé et les spectacles équestres plus que pour le mausolée».
En effet, les Kasserinois continuent à attendre les Zarda et à s’y préparer, quels que soient l’âge et le niveau d’instruction. Des familles prévoient encore un budget pour les festivités et cuisinent le couscous au tajine qu’ils distribuent même au travail. Les jours de fête rythment leurs congés et leurs déplacements, surtout pour ceux qui n’habitent plus à Kasserine et qui ne peuvent pas se permettre de rater cet événement.
Afin de préserver cette tradition, elle a été remise au goût du jour en devenant progressivement un festival qui allie la richesse du patrimoine local à la performance des artistes régionaux, nationaux et internationaux. «Il est impératif de s’occuper de cet héritage immatériel pour que les jeunes générations l’adoptent et le découvrent. Pour cette raison, il faut valoriser, enrichir et renouveler en permanence le paysage culturel et artistique de la Zarda tout en gardant les spécificités de la région», souligne la chercheure Omezzine Hajji, à propos de ces festivals.
Cette année coïncide avec la 50e édition du Festival maghrébin Sidi Tlil à Feriana qui porte le nom du saint soufi et marabout notable du 18e siècle. De nombreux partenaires se sont mobilisés. Le Festival multiplie désormais les propositions artistiques et propose une programmation riche qui en fait un rendez-vous incontournable pour les curieux, amateurs et amoureux du patrimoine et de la culture.
L’édition 2024 a rassemblé plus de 10.000 visiteurs en un après-midi. D’autres Zarda invitent à la découverte de la région, de sa diversité et de son histoire avec des idées innovantes : foire de produits d’artisanat, compétitions culinaires ou même des caravanes de santé pour la sensibilisation et le dépistage des maladies chroniques.
En somme, chacun est invité à explorer les Zarda de Kasserine de façon festive et inédite.