Dynastie beylicale — L’histoire des husseïnites: Dépassements et moult rebondissements

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Au cours du XVIIIe siècle, le décret-loi énoncé par le père fondateur de la dynastie husseïnite n’a pas été dûment respecté.Des dépassements pour non-respect de ce décret ont été enregistrés au cours de l’intronisation de Ali Pacha et celle de Hammouda Pacha en 1777 et en 1782…


Dans son œuvre intitulée «L’héritage du trône chez les Husseïnites», l’historien analyste Mohamed Salah Mzali a décrit les péripéties de ces dépassements, ce qui explique bien la révolte de Ali Pacha contre son oncle Houssine Ben Ali (révolte déclenchée en 1728) pour prendre le pouvoir, et, par la suite, le rapprochement de Ali Bey de son fils Hammouda en vue de le remplacer au trône en 1777 au détriment de son neveu Mahmoud, l’aîné de la famille.

Ces dépassements continuent de plus belle au début du XIXe siècle lors de l’intronisation de Othmène Bey en tant que 6e bey de la dynastie en septembre 1814, juste après la mort subite de Hammouda Pacha. En effet, ce dernier avait connu une fin pour le moins énigmatique —mort subite— alors qu’il veillait tranquillement dans le salon du palais de Bardo en compagnie de ses proches en train de déguster son café (voir La Presse du 28/06/2024).

Qui allait prendre la relève de Hammouda Pacha ?

Au lendemain du décès du bey, Youssef Saheb Ettabaâ, le grand vizir, invita urgemment les membres de la famille husseïnite au palais beylical afin de désigner un bey parmi les siens.

A remarquer que, par cette proposition, Saheb Ettabaâ avait démontré ses intentions de ne pas respecter la règle de la priorité de l’âge dans la succession au trône. Mahmoud Bey intervenait solennellement en s’adressant à l’assistance : «Les choses sont claires et c’est à vous de décider».

Par ces termes, Mahmoud voulait insinuer que le choix du futur souverain est tributaire de l’application du décret-loi successoral décrété par leur grand-père Houssine Ben Ali Ettorki, le fondateur de la dynastie. Seulement, il fut surpris par la réaction spontanée du grand vizir Saheb Ettabaâ qui déclara à l’assistance : «Celui qui devrait hériter le bey disparu, c’est uniquement son frère». Il se présenta à Othmène, le frère cadet de Hammouda (âgé de six ans de moins que Mahmoud!) pour lui prêter le serment d’allégeance et de reconnaissance (El Biaa). Tous les membres présents s’étaient alignés sur la démarche du grand vizir pour prêter à leur tour le serment d’allégeance à Othmène Bey au grand étonnement du malheureux Mahmoud qui se faisait, une seconde fois, humilier, piétiner voire défavoriser au droit au trône.Lui qui avait démontré une certaine noblesse de caractère vis-à-vis de son cousin Hammouda lorsqu’il fut proclamé Bey à sa place 37 ans auparavant !

Cette fois-ci les enjeux différaient, il s’était senti profondément blessé, d’autant plus que c’était lui, d’une part, le plus âgé de la famille et c’était lui qui s’était rapproché le plus du bey Hammouda. C’était lui aussi le fin connaisseur de la gouvernance du royaume… Pour lui, Othmène ne remplissait ni la condition d’âge ni les compétences d’un futur souverain.

Que faire ?

Devait-il se taire une seconde fois? La question qui se posait d’une façon énigmatique dans de telles circonstances était la suivante : pourquoi cette tendance de préférer Othmène à Mahmoud? Seuls le grand vizir Saheb Ettabaâ et ses collaborateurs connaissaient le secret : c’est que l’incompétence, l’ignorance et le manque de savoir-faire de Othmène pour la gouvernance de la régence étaient autant de motifs qui permettaient au grand Vizir de jouir  de plus de pouvoir au beylicat. Avec Othmène, Saheb Ettabaâ aura les mains libres et serait l’homme fort dans les grandes situations.

L’envie de vengeance

La hargne de Mahmoud vira subitement à l’envie de vengeance le jour où il apprit que Salah, le fils de  Othmène, s’apprêtait à remplacer son père du trône suite à une grave maladie qui rongeait depuis des jours son paternel; celui-ci était alité. En effet, Othmène Bey était tombé gravement malade environ deux mois après son intronisation…

… Pour Mahmoud, le même scénario s’était passé trente- sept ans auparavant lorsque Hammouda avait dû remplacer au trône son père Ali, affaibli par la maladie. Cette fois-ci, le vieux prince devait réagir pour sauver l’honneur bafoué et éviter l’intolérable.

La vengeance

Décidé à aller jusqu’au bout de ses intentions afin de faire prévaloir un droit légitime, notre prince s’arma d’une épée et pénétra dans la chambre de son cousin Othmène et l’acheva dans son lit sans crier gare. Ce fut le 20 décembre 1814 au soir. Ne dit-on pas que la vengeance est un plat qui se mange froid?

Rebondissements

Durant la même nuit, ont été exécutés un des esclaves de Hammouda Pacha et son médecin traitant qui ont été inculpés d’avoir empoisonné le bey Hammouda, décédé trois mois auparavant et c’était le prince Salah, le fils de Othmène, qui était derrière ce coup.

Etait-ce l’effet du hasard si ces drames et exécutions s’étaient succédé durant la même nuit ?

Pourquoi a-t-on exécuté les supposés tueurs de Hammouda Pacha le soir même de l’acte de vengeance de Mahmoud à l’encontre de son cousin Othmène ?

Etait-il question d’assouplir la teneur de la mort de Othmène?… Plusieurs questions demeurent posées.

L’exécution des fils de Othmène

Le soir même, le prince Houssine, le fils aîné de Mahmoud, soutenu par quelques partisans et chevaliers de la cour, s’était chargé de la poursuite et de l’exécution des deux fils de Othmène, Salah et Ali qui avaient pris la fuite vers La Goulette dans l’espoir d’un éventuel embarquement. Et c’est à La Goulette même qu’ils se sont fait épingler et exécuter par le prince Houssine.

Serment d’allégeance

Le lendemain, le grand vizir Youssef Saheb Ettabaâ invita les membres de la famille husseïnite, les dignitaires, les notables de la cour et les tribus afin de prêter le serment d’allégeance à Mahmoud qui fut intronisé septième bey de la dynastie…Ainsi, le siège de souveraineté lui revenait de droit après moult dépassements… Rappelons que ce bey  a été victime à deux reprises (en l’intervalle de 37 ans) de la non-application de la règle successorale régissant l’héritage du trône.

Pour le respect de la règle de priorité

Et c’est pour cette raison que la femme de ce souverain appela ses deux fils Houssine et Mustapha pour prêter serment sur le Coran (le livre saint) afin de veiller dans le futur au respect absolu de la règle successorale stipulant la priorité du trône au plus âgé des descendants (soulala) de Houssine Ben Ali quel que soit le degré de lien de parenté du successeur avec le bey régnant.

La règle devrait être claire et applicable, ne portant plus d’ambiguïté… Le bey du trône aura toujours son successeur immédiat appelé communément bey de camp (bey Lamhal).D’après l’historien Mzali, depuis la fameuse date du 20 décembre 1814 au cours de laquelle a eu lieu la fin du règne de Othmène et l’intronisation de Mahmoud Pacha Bey, aucun dépassement n’a eu lieu concernant l’application de la règle de priorité, et ce, jusqu’à l’abolition de la dynastie en juillet 1957.

Source : L’héritage du trône chez les husseinites de Med Salah Mzali

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