Le compositeur et arrangeur tunisien Ouanès Khligène a tiré sa révérence hier après un long combat contre la maladie. Avec sa disparition, la scène musicale et artistique tunisienne perd un compositeur talentueux à la démarche indépendante et à la personnalité singulière. Un artiste qui avait des qualités exceptionnelles dans tous les domaines : musique, arts plastiques, théâtre et cinéma.
Né le 30 mai 1958 à Bizerte, le défunt était professeur de musique à l’Institut supérieur de musique (ISM) de Tunis. Après un diplôme de fin d’études universitaires à l’ISM-Tunis en 1986, il obtient en 1996 son diplôme de classe de composition à l’université Paris VIII au moment de sa résidence (1994-1996) à la Cité internationale des arts à Paris. En 1988, il reçoit le Prix de la meilleure musique de scène au Festival de Korba.
Khligène, qui se présente comme «un arbre fruitier et que les gens doivent goûter et se délecter de ses fruits», est né pour donner. «Je n’ai jamais eu la phobie de tarir un jour. Je me recharge continuellement», confie-t-il. C’est pourquoi il n’a jamais donné de l’importance à l’argent car il est «l’ami du bonheur», disait-il.
Présenter son art est vital pour lui. «Je dois m’exprimer continuellement. La réaction des gens et leurs avis m’aident à éclairer mon chemin. Ils font partie de mon miroir interne», assurait-il.
Pour ceux qui déplorent la précarité des compositions des œuvres de chants lyriques dans l’œuvre générale de la musique arabe, le compositeur Khligène a légué un répertoire dense pour chants lyriques d’une grande richesse rythmique, mélodique, harmonique, dynamique et expressive. En perpétuelle quête de nouvelles sonorités et de nouveaux espaces d’expression. Il nous laisse un héritage composé des œuvres écrites pour des musiciens et interprètes d’une génération de chanteurs tunisiens lyriques virtuoses et érudits à même d’assurer les bonnes interprétations de telles œuvres.
Ame sensible, Ouanès Khligène avait un penchant particulier pour la poésie de Gibran Khalil Gibran, de Maârouf Errassafi, de Youssef Rzouga ou encore de Mawlay Jalel Eddine Erroumi traduit par Bechir El Kahouaji, qui traitent du thème de l’amour, de la beauté, de la réconciliation de l’homme avec soi-même, de la patience et de l’endurance dans la vie. L’originalité de Khligène provient aussi du fait de la rareté d’écriture pour la musique de chambre. Les œuvres qui sont écrites par Ouanès Khligène s’inscrivent dans un langage polyphonique bien recherché dans le but d’instaurer une cohérence intrinsèque qui détermine les spécificités basiques du langage de la musique modale orientale en corrélation avec le langage tonal.
Parmi ses concerts, «Chants d’amour» (pour violon et piano) en 1994, «Ya layém» (pour chant, oûd, qanoun, nay, piano, contrebasse, piano et percussions) en 2016. Il a également composé pour l’Orchestre symphonique tunisien, l’Orchestre de chambre de Tunis, l’Ensemble de musique méditerranéenne et l’Ensemble orchestral de Tunisie.
Outre ses compositions instrumentales et ses contributions à la radio et à la télévision, il a composé pour le théâtre des pièces pour piano solo dont « El mandra» ( Théâtre de Monastir 1986 ), «L’été de Carmen» (Centre d’art dramatique du Kef 1990), «Les feuilles mortes (Théâtre organique de Tunis 1998) etc.
«Bakat» (Elle a pleuré) est l’œuvre de Ouanès Khligène, qui restitue la fragilité et la sensibilité de cet artiste consciencieux dans son travail, passionné et qui était d’un niveau culturel très élevé. Jovial, courtois, serviable et social, il savait créer une atmosphère conviviale, propice au travail en équipe. Il prenait la vie du bon côté et la banalisait souvent. Il aura marqué son époque et plusieurs générations de musiciens. Il part mais laisse un précieux héritage fait de sacrifices et de dévouement pendant de longues années, faisant de lui un symbole de dévotion au service de l’art et du beau.
Avec sa disparition, une page glorieuse de mémorables hauts faits vont gagner en valeur, auprès de ses amis et de ses collègues. Ils se rappelleront tous son éducation, sa grande culture, son altruisme, sa bonté, son courage et son patriotisme qui ne lui permettaient pas d’agir autrement que selon ce que lui commandaient ces valeurs intrinsèques qu’il véhiculait depuis sa prime jeunesse. Chantre de l’art sous toutes ses formes d’expression, il aspirait à la liberté, à la dignité et semait à tout vent la graine de l’espoir et nourrissait l’esprit de la résistance et la foi en sa cause, en toutes circonstances et épreuves. Que Dieu le Tout-Puissant accueille le défunt dans Son immense Paradis et apporte patience et réconfort à sa famille.