A’ la fin, l’artiste surprend agréablement le public avec une magnifique interprétation alternée de son fameux titre « Hashishet albi » et de la célèbre chanson de Hedi Jouini « Hobbek yetbadel yetjaded ». À l’unisson, le public debout et l’artiste ont chanté ce beau dialogue entre ces deux répertoires qui se sont accordés à merveille.
Dans le cadre intimiste du théâtre de plein air de Hammamet, la légèreté de la brise estivale tombant sur des pierres chauffées par une chaude journée de juillet, s’est ajoutée à la beauté des prestations de Tania Saleh et de « Bedouin Burger ». C’était la soirée du 23 juillet, de l’édition en cours du festival international de Hammamet et qui se poursuit jusqu’au 3 août 2024.
Deux concerts pour cette 19e soirée du festival, qui a attiré un public fait d’avertis et autres fans des artistes programmés et d’estivants en quête de divertissement.
Deux concerts, deux temps et différentes sensibilités musicales, celles en première partie de « Bedouin Burger », un duo inspiré et inspirant formé par la chanteuse syrienne Lynn Adib et le musicien et producteur libanais Zeid Hamdan, qui distillent une musique faite de répertoire bédouin et d’héritage musical nomade, de rythmes électroniques avec une touche de jazz et de la poésie arabe.
À 22h tapante, public et artistes étaient sur place. La talentueuse Lynn Adib, belle comme le jour en tunique traditionnelle noire joliment brodée et son complice Zeid Hamdan connu comme le « Pape de l’underground du Moyen-Orient », guitare à la main, devant les outils de son studio portatif où il a suspendu une Keffieh rouge et blanche en hommage à la Palestine.
Ensemble devant un public suspendu à leurs souffles et à leurs mains ils ont dessiné, in situ, au gré des rythmes, des notes et des samples, les contours d’une architecture musicale fine, unique et minimaliste. Celle d’une belle et accueillante bâtisse faite d’humour et d’émotion, de mélodies savantes et de rythmes dansants.
« On se sent chez nous ici en Tunisie. On est content de ne pas être obligés de traduire au public nos paroles », lance Adib entre un titre du répertoire du sud de la Syrie et en chantant « ya man hawa law ken kalbi ma’i ma ikhtartou ghayrakom… ».
Un chez-soi qu’ils chantent d’ailleurs dans leur « Nomad » sorti en mai 2024 et qu’ils ont partagé avec le public de Hammamet. « Cette chanson est dédiée à ceux qui sont à la recherche d’un chez-soi…comme moi et Zeid », lance Adib, à cela Hamdan brandit la keffieh qui symbolise la résistance palestinienne en affirmant « Notre maison est là! ». Une réplique qui a suscité l’émoi des présents et des applaudissements de soutien ont vite retenti.
La voix pure, diaphane et cousue d’émotions de la chanteuse, la maîtrise juste et enjouée de Hamdan en maître des machines et leurs deux belles énergies n’ont pas tardé à entraîner les moins avertis du public dans un territoire accueillant où il fait bon vivre, les fans quant à eux étaient conquis d’avance.
Poésie arabe, chants bédouins se mêlant aux samples électro minimalistes, leur répertoire prend racine de la richesse andalouse, égyptienne, syrienne, libanaise ou encore yéménite. Zeid Hamdan, qui lui-même est d’origine yéménite, n’a pas hésité à faire un clin d’œil à ces racines en rendant hommage à la grandeur de ce pays et son soutien actif à Gaza.
Près d’une heure d’une belle communion entre les artistes et le public et 10 chansons (entre autres « Harir », « Taht el Ward », « Dabke ») admirablement pensées et servies avant de céder la place à l’exceptionnelle Tania Saleh.
Généreuse et authentique
Belle, sobre dans une élégante robe noire, émue l’artiste qui désirait depuis longtemps se produire en Tunisie entre en scène, entourée de musiciens connus comme le Tunisien Ghassen Fendri à la guitare et machines, Mohamed Najem, ney et clarinettes, Edouard Feuvrier (à la batterie) et Christophe Borilla à l’E-Bass.
« Je chante finalement en Tunisie, et quel honneur que ce soit au festival de Hammamet « , s’est-elle adressée au public avec beaucoup d’émotion avant de lui offrir son premier titre: « Chababik Beyrouth ».
Chanteuse, compositrice et artiste visuelle considérée comme l’une des plus célèbres de la scène musicale alternative arabe (même si l’artiste nous a confié ne pas trop aimer le terme « alternatif » et souhaiter que ces formes nouvelles et contemporaines ne soient plus considérées comme de l’alternatif), Tania Saleh a signé son premier single « Ozone » en 1997. Depuis, elle n’a cessé d’expérimenter différentes formes d’expression artistique, principalement musicales, lyriques et visuelles.
Musicalement, elle varie ses thèmes et cherche à conserver l’héritage musical et poétique traditionnel libanais et arabe afin de le rendre accessible au fil des générations et de le transmettre dans un style unique. Les cinéphiles l’ont surtout découverte à travers ses compositions et autres bandes originales de films dont ceux de la cinéaste libanaise Nadine Labaki.
Elle enchaîne avec « Salwa » , « Bassara » qui parle avec beaucoup d’humour des signes astrologiques et sa belle interprétation cool jazz du poème de Mahmoud Darwich « Hia la Touhebouka anta ». Toujours fidèle à elle-même elle ponctue ses interprétations de petites histoires sur ses chansons et autres anecdotes drôles sur les affres de l’amour de quoi créer une ambiance sympathique.
Subtilité, humour, engagement et résistance dans sa polysémie, Tania Saleh figure à travers son art beaucoup de sincérité et d’authenticité, et cela se ressent aussi à travers ses gestes, sa présence sur scène, ses paroles, ses mimiques et les petits sons qu’elle lance de temps à autre pour agrémenter sa prestation.
Elle n’oublie pas de faire un clin d’œil au sud du Liban et à sa résistance à travers la chanson « Aalamia » et d’exprimer son soutien à la cause palestinienne en dénonçant ce qui se passe à Gaza: » La win? Où va-t-on? jusqu’à quand on va continuer à massacrer sans scrupule et dans l’impunité des Palestiniens?…Jusqu’à quand on va scotcher sur nos téléphones en faisant défiler les images de morts au point de s’en habituer…? » lance-t-elle avant de chanter « Fi Bilad al akharin » (Dans le pays des autres).
Ses fameux titres « Mreyte », « Shoo », « Reda », « Maelna chi » et « Yaballah » qu’elle a interprétés avec beaucoup de justesse et d’entrain finissent par conquérir les non initiés à son œuvre. Les fans clamant ici et là quelques titres dont elle avait programmé une grande partie mais était obligée d’en exclure d’autres pour respecter le temps qui lui était accordé.
À la fin l’artiste surprend agréablement le public avec une magnifique interprétation alternée de son fameux titre « Hashishet albi » (tirée de la bande originale du film « Halla la win » (Et maintenant on va où?) de Nadine Labaki), et de la célèbre chanson de Hedi Jouini « Hobbek yetbadel yetjaded ». À l’unisson le public debout et l’artiste ont chanté ce beau dialogue entre ces deux répertoires qui se sont accordés à merveille. Une belle manière de la part de la merveilleuse Tania Saleh de clôturer cette soirée et de bien marquer cette première tunisienne. Merci!