Mohamed Essadek Bey:  La révolte d’Ali Ben Ghedhahem

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Un grand soulèvement avait secoué le règne de Mohamed Essadek Bey (1859-1882). Il s’agissait de la révolte de Ali Ben Ghedhahem, un homme qui se prétendait lettré —issu d’une famille paysanne intellectuelle— et fils de médecin, et qui avait proféré des menaces à l’encontre de la décision du bey concernant l’augmentation du montant de la «Mejba» (impôt sur les revenus) prélevé auprès des tribus du Centre, du Nord et du Sahel…

Pour faire face à une conjoncture économique défavorable, Mohamed Essadek Pacha Bey avait décidé en 1863 de doubler le montant de la «Mejba» (impôt sur les revenus) dont la collecte se fait d’une façon saisonnière par les oumélas et les caïds (gouverneurs) des différentes régions lors de la campagne des récoltes (El missra).

Le mot d’ordre lancé par Ali Ben Ghedhahem était de répondre par la désobéissance et le refus total de payer l’impôt en question. Ce mot d’ordre a été suivi et entériné par plusieurs chefs de tribus, principalement le nommé Sboui Ben Mohamed Sboui, homme d’influence de la tribu des Jlass et bien d’autres chefs qui se sont tous alignés aux directives de Ali Ben Ghedhahem qui s’est fait attribuer le titre de «Bey des paysans».

Tous ces chefs ont incité, par différents moyens, les campagnards et les agriculteurs d’être fermes, quitte à les contraindre par la force à ne pas payer le nouveau montant de l’impôt.

La réplique était positive car tous les paysans, campagnards et agriculteurs avaient refusé en bloc le doublement du montant de la «Mejba» qui, selon eux, les pénalise énormément.

Des soulèvements ont été observés principalement dans les régions du Centre, du Sahel, du Nord et du Sud.

La première étincelle de cette révolte avait pour théâtre la mosquée d’Abi Zamaâ El Balaoui à Kairouan en avril 1864, où les manifestants avaient éteint et détruit les lanternes de ladite mosquée tout en endommageant portes et fenêtres.

Qui est Ali Ben Ghedhahem ?

Non loin de cette mosquée, plus précisément dans la tribu de Majer, vivait un homme à la fleur de l’âge, qui prétendait être lettré et avoir reçu un enseignement zeytounien et qui se prénommait Ali Ben Ghedhahem. Issu d’une famille intellectuelle et ayant le verbe facile, il a réussi en peu de temps à regrouper autour de lui plusieurs campagnards pour les inciter à la désobéissance face aux nouvelles décisions du bey.

Les aléas d’une révolte

La révolte de Ben Ghedhahem a eu un écho favorable de par sa forme de lutte des classes. En effet, cette révolte était synonyme d’une confrontation entre riches et pauvres, entre faibles et forts, entre subalternes et maîtres, entre gouverneurs et gouvernés… Le caïd de Teboursouk fut mal reçu par les paysans de la région lors de la collecte des impôts. Sa troupe a été prise en otage par les bandes armées de Ali Ben Ghedhahem.

De peur d’être agressé, le caïd s’est réfugié dans sa propre maison où son propre serviteur s’en est pris à lui en le rouant de coups de bâton.

Une véritable guerre civile

Les prémices d’un éventuel conflit armé entre les gouverneurs et les paysans révoltés n’ont pas convaincu le bey de revenir sur sa décision. Au contraire, le maître du royaume avait entériné sa décision en envoyant les oumélas (gouverneurs), guidés par les Mhalla (soldats chevaliers). Les résultats furent catastrophiques; plusieurs confrontations avaient eu lieu entre les insurgés et les troupes militaires beylicales.

La plus importante confrontation avait pour théâtre Kalaâ Kébira où les habitants de Msaken et ceux de Akouda avaient empêché, en employant la force, les agents de la collecte des impôts d’accomplir leur devoir; les troupes militaires chargées d’assister les agents des impôts pour l’accomplissement de leur mission étaient intervenues. L’opération s’était soldée par plus de deux cents morts.

De même, le 29 août 1864, le bey avait envoyé une autre troupe militaire dans la région du Sahel, guidée par le vizir Mohamed Aziz Bouattour pour surveiller les lieux et calmer les esprits. La confrontation a été tragique et l’opération s’est soldée par plus de 1.000 morts des deux côtés!

A Tunis, le bey avait reçu l’aide des pays voisins et amis. La France, l’Angleterre et la Turquie n’avaient pas tardé à envoyer des flottes militaires au port de La Goulette, équipées de canons et de différents outils de guerre.

Face à cette situation, le bey s’était trouvé dans l’embarras : d’une part, il voulait mater cette révolte avec le minimum de dégâts matériels et surtout de pertes humaines, chose difficile à accomplir, d’autre part, il se trouvait en contradiction avec sa propre personne; lui, le protecteur de ses sujets, avait, en effet, prêté serment devant Dieu de veiller à l’application du pacte fondamental de 1857 qui stipule, dans sa première règle, qu’il faut assurer la sécurité des habitants de la régence… Malheureusement pour lui, le feu de la révolte s’était vite propagé et plusieurs personnes sont mortes dans les villes du Kef, Sousse, Kalaâ, Monastir, Sfax et même dans celles du Sud.

A Tunis

A Tunis, la situation était plutôt calme, excepté quelques faits saillants qui sortaient de l’ordinaire, des faits symptomatiques de mécontentement, à l’instar du malaise vécu par ce dignitaire de confession juive du nom de Nesseim Bichi qui avait reçu des menaces de mort. Il paraissait, d’après une rumeur persistante, que cet homme proche de la cour beylicale était le premier à avoir recommandé au bey la révision du montant de la Mejba à la hausse.

Ce dernier a été avisé que quelques révoltés voulaient sa peau. Pris de panique et de peur, il s’était rendu au bey pour l’informer de sa situation précaire et solliciter la permission de quitter le pays et partir en France. Le Bey n’avait pas hésité à donner une suite favorable à sa doléance.

Ailleurs, la situation était alarmante. La régence n’avait pas réussi à dissuader les fauteurs de troubles. Rien à faire ! Les paysans n’avaient pas accepté la nouvelle charge des impôts.

En fin de compte, Mohamed Essadek Pacha bey fut obligé de revenir sur sa décision et de ramener le montant de la Mejba à sa valeur initiale.

Ali Ben Ghedhahem fut incarcéré et emprisonné le 1er mars 1866 au Bardo avant d’être transféré par la suite à la prison d’El Karaka à La Goulette.

Source :

«Athafl ahl zemène»

Œuvre historique de Ahmed Ibn Abi Dhiaf

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