Accueil Société Trois questions au Dr Raoudha Gafrej: «La priorité doit être accordée à la réhabilitation du réseau de la Sonede» 

Trois questions au Dr Raoudha Gafrej: «La priorité doit être accordée à la réhabilitation du réseau de la Sonede» 

Experte en eau et changement climatique, Dr Raoudha Gafrej a bien voulu nous éclairer sur ce point ; évoquant également la question de l’accès difficile à l’eau potable dans les zones d’habitation reculées et le recours à la technologie innovante de l’ensemencement des nuages pour contrer l’évaporation dans les barrages et préserver les réserves en eau dans ces ouvrages


Selon une note de l’Onagri datant de 2021, le taux moyen d’envasement des barrages s’élève à 23%. Celui de trois barrages (Siliana, Rmil, Mellègue) dépasse même 50%. D’après les prévisions, ces derniers seront totalement envasés d’ici dix à vingt ans. Est-il possible d’endiguer ce phénomène naturel?

L’envasement du barrage est un phénomène naturel et d’ailleurs le dimensionnement du barrage et de sa retenue tient compte du taux d’érosion sur le bassin versant.

On peut réduire l’envasement des barrages par la protection des sols de son bassin versant en plantant des arbres, en mettant en place des diguettes, etc. La protection prend en compte aussi le reboisement en cas d’incendies et de perte des forêts protégeant les bassins versants. Malheureusement, les investissements pour la protection contre l’érosion des retenues des barrages doivent être intégrés dans le coût de production  de l’eau de surface, sinon la protection sera faible et inefficace.

Un autre problème important  concerne les fortes pluies qui arrivent après de longues périodes de sécheresse. Elles vont charger les premières couches du sol vers les retenues, c’est pourquoi il faudrait profiter des périodes de sécheresse pour faire le nettoyage et le dragage des cours d’eau et de certaines retenues si cela est possible.

Certaines zones rurales du Nord qui se trouvent à proximité des grands barrages ont soit difficilement ou pas du tout accès à l’eau potable. Comment expliquez-vous cela?      

Ces zones sont situées en hauteur. Il faut, par conséquent, mettre en place un système de pompage de l’eau. Dans ces zones reculées, les habitations sont très éloignées et il n’y a même pas de routes  pour pouvoir y accéder et leur fournir de l’eau potable à partir des eaux des barrages qu’il faudra,  au préalable, traiter dans une station de traitement de l’eau. Même si ces zones se trouvent à côtés des barrages, elles ne disposent pas de l’infrastructure nécessaire qui leur permettrait d’accéder à l’eau potable. Aucun bailleur de fonds ne donnera son accord de prêt pour aménager l’infrastructure et mettre en place les équipements qui permettraient à ces zones d’habitation reculées d’avoir accès au réseau, vu la faible rentabilité économique et financière d’un tel projet qui est, par ailleurs, non seulement difficile à réaliser mais qui est, d’ailleurs, coûteux. Ces habitations doivent être alimentées en eau individuelle par des citernes approvisionnées, une fois par semaine, par des camions citernes à titre d’exemple.

Face aux épisodes répétés de sécheresse au cours des cinq dernières années qui n’ont fait qu’aggraver la situation de stress hydrique, une nouvelle option, qui a donné de bons résultats en Indonésie, se profile à l’horizon. Il s’agit de recourir à l’ensemencement des nuages afin de provoquer une pluie artificielle au-dessus notamment des barrages. Quels sont, selon vous, les avantages et les inconvénients d’une telle technique?

L’ensemencement des nuages est une technique qui existe depuis plus de 40 ans. Elle est utilisée maintenant par plus de 40 pays pour des objectifs différents: provoquer la pluie, réduire la taille de la grêle pour ne pas abîmer les cultures, etc.

En Tunisie, il est bien sûr possible d’étudier notre contexte en profondeur afin de pouvoir, par la suite, démarrer une expérience pilote. Mais dans le contexte actuel, il vaudrait mieux orienter nos investissements vers la réhabilitation et la rénovation des réseaux au niveau de la Sonede, des GDA et de l’agriculture afin de réduire les pertes d’eau.

Pour moi, c’est une priorité absolue.

Il est important d’indiquer que la production artificielle de la pluie provient de l’ensemencement des nuages, lesquels nuages proviennent de l’évaporation de l’eau des océans, des retenues des barrages mais la plus grande quantité proviendrait de l’évapotranspiration de la végétation et des arbres. Donc, si la végétation manque d’eau, l’évapotranspiration sera plus faible et il y aura donc moins de nuages. Aussi il ne faut pas oublier que les nuages se déplacent et que la pluie artificielle pourra tomber loin de l’objectif ciblé, à savoir les barrages.     

Vu le coût exorbitant de cette technologie et son rendement qui est faible (10 à 15% de pluie), il serait préférable de ne pas aller au-delà de l’expérience pilote et de se concentrer plutôt sur une nouvelle forme de gouvernance de l’eau en renforçant les ressources financières de la Sonede afin qu’elle puisse renouveler l’infrastructure et le réseau qui sont vétustes et  qui sont fragilisés par le rationnement d’eau qui ne cesse de provoquer des changements de pression et donc des ruptures des réseaux fréquentes.

Envisager cette technologie de l’ensemencement des nuages comme une alternative prometteuse pour lutter contre l’évaporation de l’eau est une mauvaise idée. L’évaporation est l’élément fondamental du cycle  naturel de l’eau et donc de la formation des nuages.

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