Le trafic de migrants et la traite d’êtres humains, ainsi que l’exercice d’une activité en dehors du cadre réglementaire dont les paris sportifs en ligne, constituent les principaux crimes sous-jacents liés à des soupçons de blanchiment d’argent ayant fait l’objet d’une transmission au procureur de la République au cours de 2023.
La Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf), qui constitue le principal dispositif national de lutte contre la criminalité financière en tous genres et dispose d’un accès direct à plusieurs bases de données des administrations et autorités publiques, veille au grain pour s’assurer de l’application des textes de loi contre le blanchiment d’argent, les crimes associés et le financement du terrorisme. Son récent rapport d’activité a passé par ailleurs au peigne fin les déclarations de soupçon pour l’année 2023.
D’importants efforts ont été déployés pour la digitalisation et la modernisation du dispositif national de lutte contre le blanchiment d’argent le financement du terrorisme, modifiant de manière irréversible les méthodes et les approches de travail de la cellule de renseignement financier pour les années à venir, souligne Fethi Zouhair, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie et président de la Commission tunisienne des analyses financières, dans la présentation de ce rapport.
Traite d’êtres humains : le nombre de déclarations en hausse
D’emblée, le rapport annonce que le nombre de déclarations de soupçon (DS) reçues en 2023 s’est établi à 804 contre 529 en 2022, soit une hausse de 51,9% qui s’explique principalement par la réception d’un nombre important de déclarations de soupçon ayant pour objet des cas de traite de personnes et de trafic de migrants. En 2020, il s’est établi à 246, et en 2021 à 418.
L’effort déclaratif en 2023 a continué de reposer sur les banques et l’Office national de la Poste, avec 93,28% du total des DS reçues. Les statistiques présentées révèlent un accroissement des DS reçues de la part des établissements de leasing, des compagnies d’assurances, des intermédiaires en bourse et des établissements de paiement, confirmant la même tendance déjà observée en 2021- 2022.
On souligne de notre côté que le montant des transferts de fonds reçus par les migrants subsahariens en situation irrégulière a atteint trois milliards de dinars au cours du premier semestre de l’année 2023.
La ventilation des DS reçues montre qu’à l’image des années précédentes, la majorité des déclarations en 2023 concerne le blanchiment d’argent, soit 96,22% des déclarations, alors que seulement 3,78% des déclarations se rapportent au financement du terrorisme. Cette proportion concorde avec la tendance baissière du phénomène terroriste sur le terrain.
Décision de gel
En 2023, la Ctaf a pris des décisions de gel pour 2.228.997 TND, contre 15.877.681 TND, une année auparavant. Ces décisions ont porté, à hauteur de 76,71%, sur des montants en dinars et 23,29% sur des montants en devises. En retenant l’optique du crime pour lequel la décision de gel a été prise, 83% des décisions de gel sont associées à des soupçons de blanchiment d’argent et 17% se rapportent à des soupçons de financement du terrorisme.
Au cours de l’année 2023, la Ctaf a émis 31 signalements à destination des établissements bancaires et financiers ayant pour objet l’application des décisions de justice, des individus soupçonnés d’être en relation avec des cas de traite de personnes et de trafic de migrants, des juridictions désignées à haut risque par le Groupe d’action financière (Gafi) et faisant l’objet d’un appel à l’action, le mode opératoire relatif aux activités des jeux et paris en ligne en dehors du cadre prévu par la loi, et enfin les financements étrangers des associations.
Les principaux crimes sous-jacents se présentent comme suit : le trafic de migrants et la traite d’êtres humains (58%) et l’exercice d’une activité en dehors du cadre réglementaire dont les paris sportifs en ligne (16%) constituent les principaux crimes sous-jacents liés à des soupçons de blanchiment d’argent ayant fait l’objet d’une transmission au procureur de la République au cours de 2023.
Instruments utilisés
L’argent liquide, les virements, les chèques, les transferts ainsi que les délivrances de fonds et mandats ont été, par ordre de récurrence dans les rapports transmis, les instruments les plus utilisés par les suspects pour réaliser des opérations de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme en 2023. Ces instruments ont été utilisés à la fois, totalement ou partiellement, dans le cadre d’un seul et même dossier.
On rappelle à ce titre que le volume des billets et monnaies en circulation a atteint un niveau record dans notre pays atteignant 12,081 milliards de dinars quelques jours avant l’Aïd selon les données de la Banque centrale de Tunisie. Parmi les causes exposées par les experts, l’explosion du secteur informel et le manque de modernisation des moyens de paiement.
La Ctaf a produit 287 rapports d’investigations parallèles à destination des autorités judiciaires et des autorités chargées de l’application de la loi dans le cadre d’enquêtes menées au sujet de personnes soupçonnées d’être impliquées dans des opérations de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Ces rapports ont porté sur 4 154 informations de soupçon liées à des comptes bancaires détenus par 935 personnes physiques et 193 personnes morales et libellés à hauteur de 82% en dinars tunisiens et 18% en devises.
En 2023, la Ctaf a reçu 36 demandes de coopération émanant des autorités de contrôle et de tutelle, en augmentation de 36,76%, par rapport à l’année 2022 (58 demandes), alors que le ministère de l’Intérieur demeure au titre de l’année 2023, le premier destinataire des demandes d’informations émises, avec 57% du total, contre 51% en 2022.
Se mettre au diapason des normes internationales
Sur le plan international, la Ctaf a poursuivi activement sa collaboration avec ses partenaires étrangers, émettant 100 requêtes de coopération internationale et recevant 31 demandes de coopération internationale.
«Outre ces aspects opérationnels, la Ctaf continue de développer le volet stratégique de son activité, avec la finalisation d’une étude portant sur les billets de banque étrangers dont elle a présenté les principaux enseignements auprès des assujettis du secteur bancaire», fait savoir le président de la Ctaf, tout en mettant l’accent sur la poursuite de la collaboration avec ses partenaires nationaux, le suivi de l’exécution du plan d’action de la mise à jour de l’Évaluation nationale des risques de 2022.
L’ensemble de ces activités s’inscrit dans le cadre des préparatifs de la République Tunisienne aux prochaines échéances et notamment la prochaine évaluation mutuelle de la part du Groupe d’action financière pour la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord (Gafimoan). Cette évaluation devra débuter au cours du mois d’août 2025. Dans le but de réussir cette échéance, la Ctaf s’engage pleinement à renforcer son action et ses capacités afin d’être pleinement conforme aux normes internationales, conclut-il.