M. Nabil Ammar, ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, a été chargé par Son Excellence Monsieur le Président de la République, Kaïs Saïed, de représenter la Tunisie à la cérémonie internationale de commémoration du 80e anniversaire du débarquement allié en Provence, qui se déroulera le 15 août à Toulon en présence du Président de la République Française, de personnalités et de dignitaires des pays invités.
A cet effet, un retour sur l’histoire de ces héros tunisiens oubliés, frères d’armes des soldats français, anglais et américains qui ont défendu la forteresse Europe contre le fascisme et le nazisme et ont participé à l’épopée de la libération de la France et de l’Italie et ont même franchis le Rhin pour défendre les valeurs du monde libre.
En effet, quand la guerre de 14-18 se déclencha, le conflit réclama un nombre important d’hommes en France comme en Tunisie alors sous protectorat. Et comme les Tunisiens possèdent depuis longtemps une solide tradition militaire et ont fait preuve de pugnacité au combat dans les guerres livrées par la Sublime Porte, empire dont relevait la Régence du XVIe au XIXe siècle, la mobilisation indigène a été fortement sollicitée pour fournir des régiments de marche créés pour être en gagés sur le front. Le recrutement appliqué en Tunisie au sein des populations se faisait par voie d’appel selon une loi beylicale de 1.857, révisée le 7 février 1860, qui constitue le premier document établissant un service militaire obligatoire en Tunisie. Il instaurait une période active de 3 ans et une période de 7 ans dans la réserve pour tous les Tunisiens de confession musulmane à l’exception des jeunes gens titulaires du certificat de taleb délivré par la Djamaa Zitouna.
Les conscrits à l’incorporation sont désignés par tirage au sort. La durée du service est de 8 ans. Les couches rurales et modestes représentaient l’essentiel des recrutés. Les classes aisées des milieux urbains sont épargnées et plus particulièrement les habitants de Tunis, de Sousse, de Sfax et de Nefta. Les diplômés qui exercent des fonctions juridiques et les instituteurs sont exemptés. Quelques privilégiés pouvaient également se racheter en payant une certaine somme ou en se faisant remplacer par un ami ou un parent.
Au 1er décembre 1917, soit un peu plus de 3 ans après le début du conflit de la Première Guerre mondiale, la Tunisie avait fourni 71.000 hommes se répartissant ainsi : 12.000 étaient sous les drapeaux à la déclaration de guerre, 14.100 rappelés, 3.900 engagés, 18.500 appelés pour les classes 14, 15, 16 et 17 auxquels il faut ajouter 10.300 travailleurs coloniaux et 12.000 ouvriers agricoles qui constituaient les ajournés de 1917. Le nombre total des Tunisiens ayant participé à ce conflit s’éleva à 80.339 hommes. 38.251 furent envoyés sur le front français formant 21 régiments mixtes de marche, 8.000 firent partie du corps expéditionnaire d’Orient. Les pertes s’élevèrent à 35.900 tués pour une population totale de 1.800.000 habitants, y compris 60.000 Israélites.
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’armée d’Afrique, constituée de Tunisiens, d’Algériens et de Marocains, a fourni un apport considérable d’hommes pour l’effort de guerre français. Les pertes sont importantes : 22.000 Européens et 36.000 Maghrébins tombent au «champ d’honneur». La Tunisie a envoyé 62.461 soldats pendant le conflit et 24.442 travailleurs coloniaux, soit un total de 86.903 hommes. Le nombre de Tunisiens tombés au « champ d’honneur » s’élève à 16.509 hommes selon le ministère de la Guerre français, soit 26,4% de la population combattante.
Le ventre vide et sans repos
Mais qui se souviens encore de ces turcos à la calotte rouge, véritable et interminable champ de coquelicots, qui, le regard enflammé, scrutaient à travers le créneau de la tranchée les gestes de l’ennemi?
Qui se souvient de ces vaillants combattants bondissant par-dessus le parapet, semblables à des lions et sautant chez l’ennemi pour l’anéantir?
Journellement au contact de l’ennemi, accomplissant de pénibles étapes, souvent le ventre vide et sans un instant de repos, les tirailleurs tunisiens trouvent encore l’énergie de tenir tête à l’adversaire et de lui infliger des pertes sérieuses, oubliant fatigues et privations, heureux de courir sus à l’ennemi, et reprenant l’offensive quelles que soient les conditions.
On les revoit, ces tirailleurs tunisiens qui ont été sur les lignes de feu, tombant à mi-chemin, encourageant dans leur agonie, lente ou rapide, les camarades des autres vagues qui poursuivaient le même but et tombaient à leur tour.
En bataillons serrés, coude à coude avec leurs vaillants frères français, ils s’élançaient dans des luttes homériques. Fauchés par la mitraille, ils avançaient quand même; aveuglés par les gaz délétères, ils marchaient sans souci du danger; broyés par les marmites, ils couraient à la victoire, bousculant l’ennemi et lui faisant mordre la poussière, atteignant enfin l’adversaire et le taillant en pièces.
Eux ce sont des Tunisiens qui ont combattu non pas pour libérer la France, mais pour libérer le Monde.
On évoque rarement leur héroïsme. On ne connaît pas les noms de ces héros qui, d’une façon obscure, sont morts pour un idéal.
Est-ce que le fait qu’ils aient servi le drapeau tricolore, alors que la France occupait nos sols, nous donne le droit de les ignorer ? Il faut reconnaître que le trépas de ces magnifiques soldats, consenti pour une cause juste, n’était pas un sacrifice inutile.
Force serait de reconnaître que la France pleure toujours leur mort au même titre que celle de ses propres enfants. Il n’empêche, ils demeurent, malgré leurs hauts faits, encore non reconnus en Tunisie.
Il serait impossible de retracer tous les traits d’héroïsme qui foisonnent dans l’histoire de ces tirailleurs, mais il est possible de se souvenir de leur bravoure et de raconter les atrocités vécues pendant les deux guerres.
La participation de Nabil Ammar, ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisien à l’étranger, à cette cérémonie illustre l’attachement de notre pays à la glorification de ses fils qui sont tombés sur le champs d’honneur non seulement pour libérer la France mais aussi le Monde. Rendre hommage aux soldats des pays ayant pris part au débarquement de Provence en 1944, parmi lesquels de nombreux tirailleurs tunisiens, devrait rappeler aussi à la France que notre socle d’amitié est aussi formé d’un lien de sang qui exige désormais respect, non-ingérence et un traitement d’égal à égal.
«C’est nous les Africains», l’hymne oublié
Rares sont ceux qui se rappellent encore l’hymne de cette armée d’Afrique composée entre autres de régiments tunisiens, «C’est nous les Africains», scandé par ces soldats au pas de charge.
En effet, composé d’un seul refrain et de trois couplets, ce chant ne retentit plus depuis la libération de la France. Pourtant, ces paroles d’un auteur inconnu, imbibées de courage, teintées de bravoure, sont à classer au rang des hymnes les plus patriotiques. :
«C’est nous les Africains, qui revenons de loin
Nous venons des colonies
Pour défendre le pays
Nous avons laissé là-bas
Nos parents, nos amis
Et nous avons au cœur
Une invincible ardeur
Car nous voulons porter haut et fier
Le beau drapeau de notre France entière
Et si quelqu’un venait à y toucher
Nous serions là pour mourir à ses pieds
Battez tambours, à nos amours
Pour le pays, pour la patrie
Mourir au loin
C’est nous les Africains»
Chemins de mémoire : Pour un parcours du combattant
Il est ahurissant de constater qu’un pays comme la Tunisie, qui a connu plusieurs guerres, conquêtes, invasions et occupations, ne développe aucun produit touristique de mémoire.
Ce segment est une niche qui sert donc à faire découvrir un lieu où s’est jouée une partie de l’Histoire nationale. Il fait œuvre de culture et d’éducation. Il répond surtout à une nécessité, celle du souvenir.
Le tourisme de mémoire prend forme autour de différentes attractions et attire une vaste gamme de publics. En donnant une signification aux événements du passé, il marque le paysage, l’identité et l’économie des destinations.
Takrouna, Kasserine, Enfidha, Mareth, ce sont surtout des régions intérieures qui ont été le théâtre de grandes batailles. Lignes de front, villes fortifiées, champs de bataille, cimetières et columbariums constituent autant d’endroits qui reflètent notre Histoire et invitent le public à découvrir ce patrimoine.
Certes, certains sites historiques ne présentent aucun attrait visuel et ne prennent de valeur patrimoniale que parce qu’ils sont associés à un personnage ou un événement particulier, comme Zama, la plaine de Siliana où Hannibal connut sa grande défaite face à Scipion, la ligne de Mareth associée à la défaite de Rommel, les plages du débarquement en Normandie, les camps de concentration allemands, les plaines de Waterloo en Belgique ou les plaines d’Abraham au Québec.
Sites témoins, commémoratifs, informatifs ou pédagogiques , l’intérêt principal de ces lieux emblématiques ne réside pas seulement dans leur esthétique, mais dans les valeurs culturelles, civiques et même éthiques que l’Histoire leur a conférées. Le tourisme de mémoire se caractérise par sa finalité explicative de périodes de conflits, ainsi que par sa clientèle à la recherche d’un enrichissement culturel, historique et personnel.
A cet effet, on dénombre quatre objectifs au tourisme de mémoire, à savoir témoigner et préserver les traces historiques, expliquer en favorisant une compréhension globale des événements, permettre la réflexion des générations présentes et futures et faciliter le développement économique de régions parfois peu pourvues en attraits touristiques.
A cet effet, une mise en valeur des sites, de la documentation scientifique, des outils pédagogiques et un label fédérant les différents projets mis sur pied autour de cette thématique, tels qu’un «parcours du combattant», sont nécessaires. Pour appréhender l’ampleur touristique de cette niche, il faut noter qu’en France, les lieux de mémoire accueillent vingt millions de visiteurs, dont plus de six millions pour les sites payants.