Naguib Mahfouz (1911-2006) est certainement le plus célèbre des auteurs contemporains de langue arabe. On lui doit plus de cinquante romans et recueils de nouvelles, dont certains grands succès adaptés sur les grand et petit écrans, comme «Le Voleur et les chiens», proposé à la collection de La bibliothèque de La Presse. Les quartiers et les habitants du Caire sont au cœur de son œuvre. Il était à l’écoute de son peuple, de ses préoccupations comme de son histoire, ce qui lui a valu le prix Nobel de littérature en 1988.
Si ce prestigieux prix international a représenté un tournant indéniable dans l’histoire de la littérature arabe moderne, la vie personnelle du grand écrivain égyptien n’en semble pas affectée. Simple, modeste et avec un sens de l’humour et de l’ironie, on vous propose de découvrir son interview avec l’écrivain et journaliste Mohamed Salmawy en mars 2006, soit 5 mois avant son décès. Cet entretien figure sur le site officiel de l’Académie suédoise.
Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez su que vous aviez remporté le prix Nobel de littérature ?
J’ai ressenti un bonheur extrême ainsi qu’un grand étonnement. Je ne m’attendais pas à gagner le prix. À mon époque, le prix Nobel a été décerné à des écrivains du plus haut calibre comme Anatole France, Bernard Shaw, Ernest Hemingway et William Faulkner. Il y avait aussi Jean-Paul Sartre et Albert Camus. J’avais entendu dire qu’un écrivain arabe pourrait un jour remporter le prix Nobel, mais j’en doutais fort.
Mais l’écrivain Abbas Mahmoud El-Aqqad ne vous a-t-il pas proposé le prix 20 ans avant que vous ne le remportiez?
C’était lors d’une interview télévisée dans laquelle il a dit qu’il croyait que vous méritiez le prix Nobel.
El-Aqqad a toujours été courageux dans sa pensée.
Le fait d’avoir remporté le prix Nobel a-t-il influencé votre vie et vos travaux ultérieurs?
Oui, cela m’a encouragé à continuer à écrire. Mais je l’ai reçu à un stade ultérieur de ma carrière d’écrivain, malheureusement. La seule chose que j’ai écrite par la suite, c’est «Échos d’une autobiographie». Je suis en train d’écrire «Rêves de convalescence». Même le roman «Qushtumur», qui a été publié sous forme de feuilleton dans Al-Ahram, a été écrit avant le prix. Il est paru sous forme de livre par la suite.
Sur le plan personnel, gagner le prix Nobel m’a imposé un style de vie auquel je ne suis pas habitué et que je n’aurais pas préféré. J’ai accepté les interviews et les rencontres qu’il fallait faire avec les médias, mais j’aurais préféré travailler en paix.
Qu’est-ce qui vous a poussé à devenir écrivain et qui a inspiré votre carrière ?
J’ai commencé à écrire pendant mes études sur des cahiers. J’ai été inspiré par des écrivains arabes contemporains comme El-Manfalouti, Taha Hussein et El-Aqqad. Ils ont fait naître en moi la passion d’écrire, si bien que je suis passé de la section sciences à la section littérature quand j’étais au lycée.
Quels ont été les événements les plus importants de votre vie depuis le prix Nobel ?
Ceci, le passage à tabac que j’ai reçu en 1994 (en référence à la tentative d’assassinat sur sa vie lorsqu’un jeune a essayé de lui enfoncer un poignard dans le cou. La main droite de Mahfouz a été paralysée pendant longtemps par la suite). Mais j’ai aussi été très honoré par l’etat et le peuple d’une manière qui m’a profondément ému.
Quel a été l’impact de vos œuvres sur la littérature égyptienne depuis que vous avez remporté le prix Nobel?
La réponse à cette question doit être laissée aux critiques.
Ils sont les seuls à pouvoir dire si mes écrits ont influencé la littérature arabe ou non. L’un des effets que le prix Nobel semble avoir eu est que davantage d’œuvres littéraires arabes ont été traduites dans d’autres langues. C’est ce que j’ai entendu de la part de visiteurs russes, ainsi que d’Allemands qui sont venus en Égypte pour nous inviter à la Foire internationale du livre de Francfort qu’ils préparaient à l’époque.