Le bonheur, cette quête universelle, est devenu un marché florissant pour les coachs en développement personnel, qui promettent des recettes toutes faites pour l’atteindre.
Cependant, des spécialistes en psychologie et sociologie tirent la sonnette d’alarme: derrière les slogans accrocheurs et les promesses de transformation se cachent souvent des idées erronées, voire dangereuses pour l’équilibre psychologique!
Dangers des coachs en développement personnel
C’était un samedi matin ordinaire, le 4 mai 2024, mais pour les experts réunis lors de la conférence de la Société tunisienne de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent (Stpea), l’enjeu était de taille. Sur le thème du « confort psychologique », ils se sont retrouvés dans une salle animée de discussions passionnées. Parmi eux, des psychologues et sociologues ont pris la parole, non pas pour partager des solutions miracles, mais pour lancer une mise en garde. Ils avaient observé, avec une inquiétude croissante, la montée en popularité des coachs en développement personnel, ces figures charismatiques qui promettent le bonheur à portée de main. Cependant, derrière leurs discours séduisants, les experts percevaient un danger. Ils ont dénoncé avec force les idées trompeuses propagées sur les réseaux sociaux, avertissant que ces promesses de bonheur facile étaient, en réalité, des illusions. Pour ces spécialistes, le vrai bonheur ne se trouve pas dans des formules simplistes, mais dans une compréhension plus profonde et nuancée de la condition humaine.
Simplification extrême du bonheur
Lors de cette conférence, Meryam Salami, sociologue et anthropologue de renom, prit la parole avec une gravité palpable. D’une voix posée mais déterminée, elle a expliqué comment ces coachs, avec leurs promesses séduisantes, réduisent la complexité de l’être humain à une simple équation. Pour eux, l’individu n’est qu’une machine à succès, capable de surmonter toutes les difficultés par la seule force de la volonté. Salami s’est attardée sur ce point, soulignant que ces discours mettent en avant la maximisation du potentiel et la valorisation des réussites, tout en occultant les faiblesses et les échecs, qui sont pourtant le lot de tout un chacun. C’est précisément cette approche réductrice qui, selon elle, pouvait conduire à de profondes déceptions, voire à des troubles psychologiques graves, lorsque les personnes échouent à atteindre ces objectifs inaccessibles. Pour Salami, il ne s’agissait pas simplement d’une critique académique, mais d’un appel urgent à reconnaître la richesse et la complexité de la condition humaine.
Propagation des idées trompeuses
Les réseaux sociaux sont aujourd’hui inondés de contenus suggérant diverses méthodes pour atteindre le bien-être. Cependant, Salami fustige certaines de ces méthodes qui sont basées sur des idées erronées. Pour elle, les gens sont incités à valoriser uniquement leurs réussites et à maximiser leur potentiel, en oubliant que l’être humain est un mélange complexe de forces et de faiblesses, de grandeurs et de fragilités . Cette vision simpliste de l’humain omet la complexité de la nature humaine et peut mener à une quête du bonheur fondée sur des bases fragiles.
Illusion de la positivité à tout prix
Une autre idée controversée largement véhiculée par ces coachs est l’exclusion des personnes perçues comme « négatives ». Pour certains, se protéger des « ondes négatives » des autres serait un moyen d’atteindre un état de pur bonheur. Toutefois, Salami met en garde contre cette vision. Selon elle, l’encouragement à s’entourer uniquement de personnes positives et à couper les liens avec les autres est une forme de fuite en avant. C’est un déni de la réalité sociale qui ne peut mener qu’à l’isolement et à la perte de la solidarité, fondement d’un bien-être collectif durable.
Cette tendance à la positivité à tout prix ignore les nuances et la complexité des relations humaines. Elle valorise une forme d’individualisme extrême, où le bonheur est réduit à une quête personnelle, déconnectée des dynamiques sociales et du soutien communautaire.
La mémoire et l’oubli: un paradoxe du bonheur
Lors de la conférence, parmi les voix qui se sont élevées pour critiquer les méthodes de développement personnel, celle de Youssef Seddik, philosophe réputé, se fit particulièrement entendre. Il a questionné les fondements philosophiques des méthodes de développement personnel. Selon lui, ces pratiques valorisent excessivement la mémoire, perçue comme un moyen d’acquérir des connaissances et de progresser sur le plan personnel et professionnel.
Pourtant, Seddik défend l’idée paradoxale que l’oubli pourrait être tout aussi, sinon plus, essentiel pour le bonheur. Selon lui, l’oubli est une forme de libération car il permet de se défaire des fardeaux du passé, des traumatismes et des échecs, et de vivre pleinement le moment présent. En s’accrochant à la mémoire, on risque de se piéger dans une boucle de répétition, rendant le bonheur inatteignable.
Cette perspective invite à repenser le rôle de la mémoire et de l’oubli dans nos vies, et à envisager le bonheur non comme une accumulation de souvenirs glorieux, mais comme une capacité à lâcher prise.
Nouvelle voie pour le bien-être: la muséothérapie
Face aux dérives du développement personnel, des approches alternatives émergent pour répondre aux besoins psychologiques de manière plus nuancée. La psychiatre Raja Labbène a présenté lors de la conférence une méthode innovante développée en Grande-Bretagne: la muséothérapie.
Cette approche innovante de traitement psychologique consiste à utiliser les musées et leurs collections comme outils thérapeutiques pour améliorer le bien-être mental et physique.
Pour elle, le musée devient un espace de guérison, où l’art joue un rôle central dans le rétablissement et l’équilibre psychologique.
Elle a également encouragé les structures éducatives tunisiennes à intégrer l’art sous toutes ses formes dans l’éducation, en raison de son importance pour l’équilibre psychologique des enfants. Ceci pourrait offrir aux jeunes un moyen d’expression et de développement personnel plus authentique, en harmonie avec la complexité de leur vécu.
Appel à la vigilance
En conclusion, cette conférence a permis de soulever des questions cruciales sur les approches contemporaines du bonheur et du bien-être, tout en rappelant l’importance d’une réflexion critique face aux solutions simplistes proposées sur les réseaux sociaux.
Les spécialistes présents à la conférence ont appelé à une vigilance accrue face aux discours séduisants mais trompeurs des coachs en développement personnel. Ils insistent sur la nécessité de promouvoir des approches basées sur une compréhension approfondie de la psychologie humaine, respectueuse de sa complexité.
Le bonheur ne se résume pas à des recettes toutes faites, il s’agit d’un équilibre fragile, qui doit être nourri par des interactions humaines sincères, une introspection lucide de soi-même, et une ouverture aux autres et au monde.