Dame nature finit toujours par reprendre ses droits. Certes, l’action de l’homme qu’elle subit de plus en plus fortement ne finit pas de la malmener, sinon menacer grandement, mais elle sait comment se défendre et obliger son pire ennemi à plier l’échine et à lui faire entendre raison.
Aussi le retour à la nature, à la tradition, au biologique est-il en train de tarauder les esprits et pousser les corps à se protéger de la dépendance de pratiques artificielles tant néfastes, notamment pour sa santé.
A ce propos, entre autres exemples des plus frappants, le recours de plus en plus affiché aux plantes aromatiques et médicinales (PAM) qui se taillent une place de choix dans le système de santé mondiale. Les remèdes de grands-mères, la médecine traditionnelle, la phytothérapie… on y recourt aujourd’hui dans plusieurs contrées, partout, ici et ailleurs. Et ce qui est frappant, c’est la désaffection de plus en plus prononcée pour nombre de médicaments de la médecine allopathique, fabriqués à grande échelle à partir de substances actives d’origine chimique.
Un peu d’histoire
Dès le début du siècle dernier, la recherche scientifique a confirmé les vertus empiriques des PAM, en identifiant de multiples substances biologiquement actives qui constituent le support des activités thérapeutiques des médicaments chimiques actifs grâce à une seule molécule telle que la digitaline, la morphine, la quinine…Face aux graves effets secondaires de certaines molécules chimiques, la recherche clinique inspirée des recettes de la médecine traditionnelle a été à l’origine du développement de la phytothérapie. Cette dernière proposant, comme produits thérapeutiques, des phyto-médicaments et des préparations standardisées à base de PAM contenant plus d’une molécule de la partie utilisée de la plante. C’est à ce titre qu’on trouve partout dans le monde les PAM disponibles sur le marché, soit à l’état brut, comme les plantes sèches pour tisanes, soit sous forme d’extraits purifiés de plusieurs molécules qui constituent le totem actif.
491 plantes médicinales et 1.000 recettes
Et c’est ainsi que la science a confirmé les pratiques ancestrales et les recettes de la médecine traditionnelle et a donné naissance à la phytothérapie, devenue une composante sans cesse croissante de l’arsenal thérapeutique mondial.
Chez nous, et comme le précise le Pr Rachid Chemli, président de l’Association tunisienne des plantes médicinales (Atpm), depuis la création de la faculté de pharmacie de Monastir en 1975, dont il était un des piliers, un intérêt particulier a été accordé à la connaissance des vertus thérapeutiques des PAM, notamment celles utilisées traditionnellement en milieu populaire.
Dans ce contexte et conformément à une recommandation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), un projet de recherche mené de 1966 à 1990 a permis de faire l’inventaire des PAM et des recettes populaires de notre pays. Une importante équipe multidisciplinaire composée entre autres de professeurs de la faculté de Pharmacie, de médecins, de pharmaciens et de techniciens a parcouru tous les gouvernorats et a identifié 491 plantes et plus de 1.000 recettes. Le résultat de cet inventaire a constitué un patrimoine de taille que l’équipe de recherche a réparti en 10 catégories dont particulièrement les plantes à cultiver pour la production d’extraits de phyto-médicaments et de compléments alimentaires, celles utilisées pour la production des huiles essentielles, des huiles fixes d’usage cosmétique et de bien- être, ainsi que les plantes prioritaires pour la recherche.
Naissance de l’Atpm
L’insertion de la phytothérapie dans les systèmes de santé mondiale a été renforcée et officialisée dans notre pays par la promulgation du cadre réglementant la production et la commercialisation, et la mise en place d’enseignements post-universitaires (EPU), depuis environ 60 ans, organisés par des facultés de pharmacie en collaboration avec des Sociétés savantes. Pour nous, c’était la Société française de phytothérapie et d’aromathérapie (Sfpa), actuelle Société française d’endobiogénie médicale (Sfem) présidée par le Dr Christian Duraffourd (1943-2017), qui a été invité à Monastir en 1988 pour mettre en place l’EPU de physiothérapie destiné aux médecins et aux pharmaciens.
Et pour consolider cette démarche, une société savante basée à la faculté de Pharmacie a été créée en 1989, à savoir l’Atpm. Tenant compte des importants résultats obtenus par des médecins disposant d’une compétence professionnelle reconnue par le Conseil de l’ordre et ayant suivi et validé l’EPU de physiothérapie, la faculté a décidé en 2022 de transformer ce dernier en un Certificat d’études complémentaires (CEC) qui se déroule sur deux années. La réussite de la première promotion 2022-2024, constituée de 60 médecins et pharmaciens, a été proclamée le 12 juillet dernier après la soutenance des mémoires portant sur le conseil et le traitement par la phytothérapie. Un tel événement, unique en Afrique et dans le monde arabe, affirme encore le Pr Chemli, sera marqué par une cérémonie de remise des attestations de réussite le 19 octobre 2024 à Monastir, en présence des représentants des ministères de la Santé, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, du Commerce et du Développement des exportations et de la Formation professionnelle et de l’Emploi, de l’OMS, de l’Union des pharmaciens arabes (UPA) et M. Hayel Fahoum, ambassadeur de la Palestine en Tunisie.
En effet, cette première promotion a été baptisée «Promotion Gaza» en hommage à la résistance du peuple palestinien face à l’armée d’occupation sioniste. Par ailleurs, il relève encore qu’outre l’enseignement des PAM dans le cursus des études pharmaceutiques, «les facultés de Pharmacies se distinguent aussi par la disponibilité de jardins botaniques pédagogiques où sont cultivées les PAM en vue de la conservation ex-situ, la connaissance et la recherche». Le succès grandiose de la phytothérapie en Tunisie, précise-t-il, «est le résultat d’un travail acharné, d’une volonté à toute épreuve» et un défi relevé par des professeurs, des médecins, des pharmaciens, des chercheurs… de son équipe depuis 1988.
Aujourd’hui, la phytothérapie est là, reconnue officiellement. A nos décideurs donc, comme il le souhaite, de « donner plus d’importance à ce secteur en vue d’insérer progressivement la pratique d’une phytothérapie de qualité dans l’arsenal thérapeutique du pays».
M.Marrouki