Après nos virées régionales, on met le cap, dans ce dernier voyage, sur le Grand Tunis, région la plus nantie du pays, mais où le risque environnemental est considérable et le transport public mis à rude épreuve. En effet, le rythme effréné de l’urbanisation du Grand Tunis conduit à des mutations profondes et préoccupantes. De nombreuses études attestent de la vulnérabilité des côtes menacées de submersion, en cas d’élévation du niveau de la mer engendrée notamment par le changement climatique.
Le Grand Tunis est constitué de quatre gouvernorats qui sont la capitale, Tunis, principal pôle politique et économique du pays, Ariana, ville des roses, Ben Arous qui porte le nom du Saint Sidi Ben Arous et enfin celui de La Manouba qui fut très prisé par les beys de Tunis.
Cette agglomération fait partie de l’un des plus importants ensembles géographiques et économiques du pays avec une superficie de 2.600km² et une population qui s’élève à 2.912.818 habitants selon les toutes récentes estimations de l’Institut national de la statistique (INS, janvier 2024) contre 2.643.964 habitants en 2014. Tunis occupe la première place avec 1.080.248 habitants, suivi de Ben Arous (725.867), Ariana (678.119) et La Manouba (428.585). Au niveau des municipalités du gouvernorat de Tunis, celle de Tunis arrive en tête avec 595.768 habitants, suivie de Sidi Hassine (132.189) et de La Marsa (102.407). Au gouvernorat de l’Ariana, la municipalité de La Soukra se positionne en tête avec 154.221 habitants suivie de Raoued (139.659) alors que la municipalité d’El-Mourouj occupe la première place pour le gouvernorat de Ben Arous (121.408). A La Manouba, Douar Hicher vient en tête (93.706), suivie de Oued Ellil (79.591).Notons que la population tunisienne s’élève à 11 millions 887 mille habitants.
Prolifération de l’habitat informel et menaces sérieuses sur le littoral
Depuis des décennies, le Grand Tunis connaît une urbanisation sans précédent, marquée par l’expansion de l’habitat, l’industrialisation, les déséquilibres régionaux et une immigration massive. Selon l’Agence d’urbanisme du Grand Tunis (Augt), ce processus progressif a profondément modifié l’occupation des sols dans la capitale. De nouveaux quartiers résidentiels et périurbains ont émergé, mais selon une structure où la ségrégation sociale est devenue particulièrement visible, notamment à Ettadhamen et Séjoumi. Ce qui est encore plus grave, c’est l’expansion urbaine qui s’est poursuivie selon les mêmes tendances d’étalement, sous forme de quartiers périurbains souvent non réglementaires. Aussi, a-t-on assisté après 2011 au développement des phénomènes de l’habitat informel, spéculations et de ségrégation auxquels s’ajoutent des problèmes dus au chômage et à la pauvreté, de manque d’équipements et de moyens de transport accentuant les dysfonctionnements et déséquilibres urbains de la capitale, souligne dans un rapport l’Augt.
Fortement urbanisé, le littoral du Grand Tunis subit des problèmes environnementaux importants caractérisés en particulier par la pollution de l’air, des mers, des oueds, l’érosion, l’ensablement et même l’inondation. En septembre 2021, plus de trois mille personnes avaient manifesté, le long des plages les plus polluées de la banlieue sud de Tunis, appelant à l’arrêt du rejet des eaux usées non conformes dans la mer. Ce segment côtier dont la dégradation est remarquable selon les experts, regroupe d’importantes implantations humaines (La Marsa, Sidi Bou Said, Carthage, la zone du Lac Nord, Radès, Ezzahra, Hammam-Lif et Hammam Chatt) et de grosses infrastructures (Port commercial de Radès, port de voyageurs de La Goulette, port de plaisance de Sidi Bou Saïd et centrale électrique de Radès…). De nombreuses études établies sur le littoral attestent comme on l’a précédemment cité de la vulnérabilité de ces côtes menacées de submersion en cas d’élévation du niveau de la mer engendrée notamment par le changement climatique.
Disparités zonales et déficiences des services publics
Au niveau de la répartition des équipements socio-collectifs, on observe dans le Grand Tunis des disparités d’une commune à l’autre avec une nette domination de Tunis qui concentre 38,31% de ces services publics dont les hôpitaux, les établissements d’enseignement et de culture. A l’inverse, de petites communes, telles de Sidi Thabet, Kalâat El Andalous, Khélidia, El Battane, Borj Amri et El Mornaguia regroupent chacune moins de 1% du total de ces équipements. Ce déséquilibre dans la distribution des équipements publics trouve son explication dans plusieurs causes dont on peut citer la faible coordination entre programmation sectorielle (départements ministériels) et planification urbaine (PAU), les problèmes fonciers et l’absence de plans d’équipement.
A ce propos, les experts soulignent aussi que le secteur des services publics (équipements collectifs et infrastructures) affiche des lacunes et des disparités zonales persistantes (zones rurales et villes périphériques) en matière d’assainissement, de protection contre les inondations, de transports et d’équipements collectifs sanitaires et culturels. En outre, des insuffisances sont signalées en matière d’eau potable pour quelques zones rurales et au niveau de l’assainissement des communes de Mornag, Borj El Amri et Sidi Thabet et de quelques quartiers périurbains.
Pour ce qui est des moyens de transport en commun, ils sont incapables aujourd’hui de satisfaire la demande. C’est un calvaire au quotidien pour une population urbaine en augmentation. Le Chef de l’Etat a donné ses instructions, en avril dernier, pour mettre à la disposition des citoyens un plus grand nombre de moyens de transport publics, en vue de mettre fin à leur calvaire quotidien. Il a même exprimé sa préoccupation face à la détérioration du transport en commun. Signalons à ce propos que le nombre de bus dans la région de Tunis a chuté de 1.157 à 350 en dix ans et que la ligne TGM est aujourd’hui presque à l’arrêt à cause des travaux de réfection d’un pont métallique sur cette ligne. Le transfert modal vers la voiture particulière et vers d’autres modes de transport s’accentue, entraînant une congestion au quotidien et aggravant les problèmes de pollution de l’air et d’insécurité routière, rendant les déplacements de plus en plus difficiles dans les grandes agglomérations.
Notons que le Grand Tunis a été la région ayant présenté la plus forte concentration de trois polluants atmosphériques, au cours du mois de novembre 2022, selon un rapport mensuel sur la concentration des polluants environnementaux au niveau du sol en Tunisie, publié par l’Institut national de la météorologie
Le Grand Tunis présente cependant le taux de pauvreté le plus faible et un faible pourcentage de zones classées comme rurales. Ils représentent la région la plus prospère de la Tunisie dans laquelle le taux de pauvreté moyen au niveau des délégations est de 6,1% et ne dépasse pas 15,2 %. Les délégations les plus pauvres sont Tebourba (15,2 %), El Battane (14,5 %), et Kalaat El Andalous (12,5 %). Les délégations El Menzah (0,2 %), La Goulette (1,1 %), et L’Ariana Ville (1,3 %) sont celles qui ont les taux de pauvreté les plus bas de la région, selon l’INS. En outre, Le Grand Tunis affiche les dépenses moyennes par tête et par an les plus élevées, respectivement à 6.874 et 6.130 dinars. Toutefois, les inégalités, en termes de dépenses, y sont plus prononcées, selon l’INS.
Mégaprojets en stand-by et transport en perte de vitesse
De grands projets susceptibles de booster l’économie dans le Grand Tunis sont toujours reportés aux calendes grecques. Ils sont annoncés le plus souvent en grande pompe par les décideurs, et puis plus rien. Parmi ces mégaprojets, celui de Sama Dubai annoncé depuis 2007 et qui aurait dû voir le jour depuis des années. Ce projet qui englobe aussi la zone du port de Tunis ne fait que repousser l’intégration de la zone côtière au cœur de l’agglomération, soulignent certains rapports d’experts. Dans ce même contexte, il y a lieu de souligner aussi les retards accusés au niveau des travaux relatifs au pôle financier de Raoued, au projet d’extension de l’aéroport de Tunis-Carthage toujours renvoyée aux calendes grecques et à la mise en valeur et l’aménagement de Sebkhat Sejoumi.
Cette situation nécessite, selon les recommandations issues du «livre blanc» de l’aménagement territorial et urbain du Grand-Tunis, la prise de mesures d’anticipation, dont particulièrement la mise en place d’un schéma directeur d’aménagement du Grand Tunis, d’une nouvelle stratégie régionale d’habitation, une nouvelle politique de transport urbain et le développement des liaisons portuaires et aéroportuaires.
Il va sans dire qu’on s’est limité dans ce dernier reportage aux grands problèmes engendrés en général par l’urbanisation accrue dans le Grand Tunis, car il constitue un défi majeur sur lequel les décideurs doivent se pencher davantage et dans les plus brefs délais. Ce phénomène a occasionné trop de dégâts sur tous les plans et risque de plonger non seulement l’agglomération tunisoise, mais les grandes villes du pays, dans le chaos urbanistique, si ce n’est pas déjà fait.