Accueil Economie Supplément Economique Mohamed Salah Glaied, Ingénieur dans le secteur de l’eau et activiste au sein de plusieurs associations nationales et internationales à La Presse: «Si la pénurie d’eau persiste, il est souhaitable d’instaurer un état d’alerte»

Mohamed Salah Glaied, Ingénieur dans le secteur de l’eau et activiste au sein de plusieurs associations nationales et internationales à La Presse: «Si la pénurie d’eau persiste, il est souhaitable d’instaurer un état d’alerte»

Actuellement, la Tunisie se trouve confrontée à une crise de pénurie d’eau aggravée par des années successives de sécheresse. Certainement, cette situation critique a des répercussions sur l’approvisionnement en eau, affectant la vie quotidienne des citoyens, notamment dans certaines régions du pays. En effet, l’avenir de l’eau en Tunisie dépend d’une gestion optimisée des ressources, d’un changement de comportement collectif et d’une action concertée entre tous les acteurs. Les experts affirment aujourd’hui que la situation hydrique actuelle en Tunisie est critique pour ne pas dire catastrophique. Nos ressources de surfaces avoisinent 550 millions de m3 d’eau  avec un taux de remplissage des grands barrages de 24%, tandis que les eaux souterraines dont le potentiel est au-dessous de deux milliards de m3 sont exploitées à plus de 150% en moyenne, s’alarme  Mohamed Salah Glaied, ingénieur dans le secteur de l’eau, qui nous fait le point sur la situation hydrique dans le pays. Entretien.

Comment se présente la situation hydrique actuelle en Tunisie en terme de disponibilité? A combien s’élèvent nos besoins par an en eau ?

En ce début du mois de septembre 2024, les experts affirment que la situation hydrique actuelle en Tunisie est critique pour ne pas dire catastrophique.

Nos ressources de surfaces avoisinent 550 millions de m3 d’eau  avec un taux de remplissage des grands barrages de 24%, tandis que les eaux souterraines dont le potentiel est au-dessous de deux milliards de m3 sont exploitées à plus de 150% en moyenne, sans oublier la disponibilité de 300 millions de m3 d’eau épurées produites par les stations de l’Onas  de qualité variable.

Et si on revient aux statistiques des cinq dernières années et après l’année hydrologique 2018-2019, nous remarquons que les apports aux barrages ont été importants avec des volumes stockés qui se situaient entre 1.800 et 2.000 millions de m3, (au mois d’avril 2019 les volumes étaient de 1825 millions de m3 avec un taux de remplissage de 81%), et un taux de remplissage franchissant 80%.

Parlons de nos besoins en eaux durant une année ordinaire, nous constatons qu’ils peuvent dépasser 3.500 millions de m3 soutirés des nappes phréatiques et profondes ainsi que des barrages, allouées pour l’eau potable et l’irrigation.

Selon les statistiques de 2021, 3.548 millions de m3 utilisés et soutirés des barrages et des aquifères sont repartis comme suit : 2.780 millions de m3 utilisés en agriculture irriguée, 822 millions de m3 pour l’eau potable urbain et rural et 46 millions de m3 seulement utilisés par les industriels et les hôteliers.

Quelle évaluation peut-on faire aujourd’hui sur ce qui a pu être réalisé ou non pour améliorer la situation?

Vu la succession des années sèches, la rareté des eaux de surface et le recours aux eaux souterraines, qui sont de nature surexploitées ou même épuisées en partie dans plusieurs zones ou régions entières, des projets de grande importance devaient être réalisés depuis plusieurs années ou même une décennie, dont le projet d’infrastructure et de sécurisation de desserte d’eau potable des grandes villes comme Tunis, le Cap Bon et le Sahel, Sfax, les projets  d’aménagement des barrages de Saida à Mannouba et de Kalaâ Kébira à Sousse, qui sont en cours de réalisation, et les conduites de transfert y afférents, outre la réalisation des stations de dessalement d’eau de mer.

Quelles sont, d’après vous, les pistes qu’il faut baliser au moment où la pénurie d’eau devient alarmante?

Si la pénurie d’eau persiste suite au retard des précipitations d’automne ou par l’épuisement total des réserves d’eau des barrages et le rabattement de plusieurs aquifères, il est souhaitable d’instaurer un état d’alerte et veiller à une desserte d’eau équitable et sévère par quotas très réduits.

Plusieurs chantiers ont été mis en place pour assurer l’approvisionnement de nombre de régions en eau potable, comme la construction de stations de dessalement. Celles-ci sont-elles suffisantes pour répondre aux besoins ?

Comme je l’ai toujours dit et annoncé dans plusieurs médias, le dessalement d’eau de mer ou des eaux profondes saumâtres n’est pas la seule solution mais l’une des solutions stratégiques.

En effet, diversifier nos ressources d’eau est bien souhaitable mais aussi sensibiliser les citoyens sur le risque de la rareté de ces ressources, sur la bonne gouvernance et l’utilisation rationnelle de l’eau est fondamentale.

On sait très bien que le coût d’un m3 d’eau de mer dessalée avoisine trois dinars actuellement et pourra être réduit à la moitié si on opte pour l’utilisation des énergies renouvelables dans les prochaines années, car l’énergie représente plus de 40% du coût total de dessalement d’un m3 d’eau.

De ce fait, nous devons accélérer l’achèvement des stations de dessalement en cours de réalisation et concevoir et réaliser d’autres stations surtout dans les régions du Grand Tunis et du Cap Bon.

Quelle part représente actuellement le dessalement dans la couverture des besoins nationaux en eau, et quels objectifs faudrait-il atteindre et sur quelles échéances pour garantir une disponibilité suffisante en ce domaine ?

Actuellement, on dispose de deux stations de dessalement d’eau (station de Djerba et Zarâat) qui fonctionnent en plein régime ayant résolu en partie les problèmes de desserte en eau potable ainsi que le problème de qualité dans les villes et les régions du Sud-Est à partir du gouvernorat de Gabès.

La station de Sfax, qui a commencé à produire 25.000 m3/ jour en juillet, va atteindre prochainement son régime maximum de 100.000 m3/jour, où elle pourra résoudre en partie les problèmes de desserte de la ville de Sfax et ses environs.

Chaque citoyen doit prendre pleinement conscience de la situation, comment peut-on convaincre les citoyens des risques graves de diminution des réserves d’eau douce pour l’amener à utiliser plus rationnellement cette ressource ?

Maîtriser l’utilisation des ressources en eaux est l’un des grands défis du secteur. En effet, l’ère du citoyen gâté et de l’agriculteur utilisant l’eau d’irrigation à sa guise devra prendre fin pour pouvoir préserver cette source vitale pour nous et  pour les générations futures.

A l’instar de tous les pays du monde, l’Afrique du Nord est menacée par les  effets des changements climatiques : l’augmentation des températures et la périodicité des saisons de sécheresse, le manque de précipitations…, ce ne sont que des débuts. Il faut impérativement s’adapter et changer de comportement par rapport à cette source vitale et précieuse.

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