Au milieu du XIXe siècle, la situation économique et financière de la Tunisie sous la régence beylicale était catastrophique. Le pays aborde des épreuves difficiles. La sécheresse et les maladies épidermiques telles que la typhoïde et le choléra responsables de milliers morts, d’une part, et les dettes qui s’accumulent, d’autre part, affaiblissent le pays au point que l’Etat ne pouvait plus rembourser ses créances.
Au bord du gouffre au milieu du XIXe siècle, la Tunisie croule sous les dettes. Les créanciers européens se pressent à ses portes. Les consuls français et anglais avaient convenu, avec le bey, la création d’une commission financière composée par des membres représentant les pays créanciers, principalement la France, et présidée par un Tunisien, en la personne du clairvoyant et réformateur Kheireddine Pacha.
Le siège de cette commission financière a été installé dans une rue à Tunis qui porte actuellement son nom : rue de la commission. Cette commission mixte avait pour tâche principale de veiller sur la bonne gestion des affaires du royaume, assurer une meilleure répartition des tâches afin de pouvoir juguler les insuffisances et régler les dettes des créanciers.
Cette commission mixte créée en septembre 1869 était une véritable mainmise de la France sur l’économie tunisienne.
Conjoncture défavorable
La révolte de Ali Ben Ghdehem (voir La Presse du 02/08/2024) avait secoué le pays qui, depuis 1864, traverse une période de vaches maigres tant sur le plan politique que socio-économique.
En dépit de l’instauration de la commission financière depuis 1869 et les réformes introduites par le valeureux Kheireddine, le royaume était au bord de la banqueroute.
Profitant de cette conjoncture défavorable, qui menaçait la stabilité du pays, la France, en la personne de son consul Théodore Roustan, et le général Breart, avait proposé et recommandé au bey de signer un traité de protectorat afin de sortir le pays du marasme.
Cette proposition du consul avait mis Mohamed Essadek Bey dans l’embarras : ou bien il refusait et assumait ses responsabilités ou bien il donnait un tournant sinistre au sort difficile dans lequel se trouvait le pays.
Le 12 mai 1881, date butoir
Sentant la confusion du bey et craignant qu’il refuse de signer une telle convention, le consul Roustan et le général Breart s’étaient mis d’accord avec Mohamed Taieb, le frère benjamin de Mohamed Essadek Bey, de l’aider à récupérer le trône dans le cas où le bey se désiste et refuse de signer. L’Emir Mohamed Taieb était ainsi fin prêt pour «s’approprier» le trône.
Apprenant la nouvelle, le bey Mohamed Essadek Bey s’était, en fin de compte, résigné à signer.
Il déclara à ses ministres qu’il était contraint de signer le traité de protectorat parce qu’il ne pouvait pas faire autrement et qu’il n’avait pas les moyens de s’opposer ni de résister aux forces françaises. Le traité du protectorat fut signé au Bardo le 12 mai 1881.
Etaient présents lors de cette signature : Mohamed Bacouche, directeur des affaires générales, Arbi Zarrouk, président du conseil municipal de Tunis, Aziz Bouattour, ministre des Finances, Mustafa Ben Ismaïl, grand vizir — c’est lui qui avait pris la place du valeureux Kheireddine Pacha — Mohamed Khaznadar, ministre conseiller, le général Elyess Moussaly, interprète principal, le consul de France Théodore Roustan, le général Breart, le général Mourad, le général Amard, interprète et Taher Belhassen, général de la Garde.
Cette réunion était présidée évidemment par Mohamed Essadek Pacha Bey.
Les à-côtés du traité
Un fait saillant mérite d’être énoncé en date du 12 mai 1881 : avant la signature du fameux traité, le bey avait réuni son entourage pour les informer de la situation précaire et écouter leurs avis.
Arbi Zarrouk était le seul à recommander au bey de refuser la signature du traité et de s’allier aux combattants tunisiens pour former une bonne résistance et faire face à cette démarche française qui, selon ses dires, est considérée comme une ingérence dans les affaires internes du pays et une atteinte à l’identité nationale. Cet avis n’avait pas plu au bey qui se voyait dans l’impossibilité de s’opposer à la France.
Le ton monta brusquement entre ces deux hommes, surtout lorsque Arbi Zarrouk s’adressa au bey en ces termes : «Vous devez résister quitte à mourir au service de la nation et sauver deux millions de Tunisiens».
Pris de colère, le bey intima l’ordre à Arbi Zarrouk de quitter les lieux et appela urgemment le consul Roustan et le général Breart pour signer le fameux traité.
L’au-delà du traité
Le traité de Bardo signalé auparavant, et signé conjointement par Med Essadek Bey et le consul français Roustan le 12 mai 1881 comporte le fameux article 4 qui stipule que la France est représentée en Tunisie par un résident général, qui représente les intérêts de la France et qui veille à ce que «les relations soient bonnes entre les deux pays».
De même, l’article 5 dudit traité stipule que la politique extérieure du royaume tunisien est du ressort des différents ambassadeurs français à l’étranger.
Ce qui revient à conclure qu’ à partir du 12/05/1881, le pouvoir du bey allait se rétrécir comme peau de chagrin.
Dorénavant deux hommes vont gouverner le pays : sa majesté le bey et le résident général français qui se place, d’une part, comme le principal protecteur du bey des différents aléas pouvant nuire à son trône, et, d’autre part, comme le fondé de pouvoir de toutes les affaires reliant le royaume de Tunisie avec le monde extérieur.
Sources
«Histoire de Tunisie» de Hassen Hosni Abdelwaheb
«L’héritage du trône chez les Husseïnites» de Mohamed Salah Mzali