Nouvelle campagne céréalière 2024-2025 : Quelles sont les attentes des agriculteurs ?

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Il pleuvait à verse. Et il continue à pleuvoir, encore, sur nombre de régions du pays. Ces pluies ne sont, certes, pas généralisées, mais bénéfiques, à plus d’un titre, au point qu’elles suscitent satisfaction auprès de nos agriculteurs. Bon signe pour la saison, mais !…

Et là, tout pointe du doigt les prémices de la nouvelle campagne agricole 2024-2025. L’automne serait-il aussi pluvieux ? Mais pas uniquement cette manne céleste qui puisse nous rassurer sur une bonne saison céréalière. Une hirondelle ne fait pas le printemps, dit-on. Aussi, d’autres facteurs devraient-ils se réunir, à même d’aboutir à une récolte assez bonne. En fait, la préparation de la terre, l’approvisionnement, à temps, des semences, la qualité des variétés utilisées, l’adoption de conduites culturales savantes et le suivi d’un paquet technique judicieux et régulier, voilà ce qui fait la différence. C’est ainsi qu’on doit s’attaquer aux semis et entamer l’emblavage avec succès.

Il y a semence et semence !

Et si l’impact climatique pesait lourd sur toute la campagne agricole, la bonne ou mauvaise moisson serait imputée, ce alors, au choix des semences utilisées. C’est là où l’on peut distinguer ainsi le bon grain de l’ivraie. «Karim», «Maâli», «Dhahbi», ou autres de nos traditionnelles semences ne sont plus, aux dires de certains, productifs comme avant. Elles sont mises à l’épreuve du climat.

Parce qu’il y a semence et semence, «Saragolla» et «Iride» sont les variétés de blé dur les plus sollicitées, car les plus résilientes aux aléas du climat et qui bravent, hardiment, la chaleur caniculaire. Stress hydrique et manque d’eau n’affectent en rien leur phase de croissance et de floraison. D’origine italienne, déjà inscrites, depuis 2010, dans notre catalogue officiel, et dont la fertilité fut parfaitement testée, ces deux variétés ont fait leurs preuves, gagnant, désormais, en qualité et en quantité. Aussi bien en régime pluvial qu’en irrigué, leur rendement et productivité sont largement prouvés. C’est une variété qualifiée d’hyper-prolifique.

Pas plus tard que la semaine écoulée, PSB, leader mondial dans l’innovation et la production de semences de blé dur, très connu en Italie, comme étant pionnier en matière de création variétale et production de semences, était à Tunis. Partenaire dévoué de la Stima (Société tunisienne des intrants et matériels agricoles), il y venait traduire dans les faits ses bonnes intentions d’aide et d’assistance, dans la perspective d’améliorer la production du blé en Tunisie. « Cela nécessite certainement l’utilisation d’un matériel génétique adéquat de semences certifiées de qualité, suivi d’un paquet technologique mieux adapté », fait savoir Walid Hamada, Pr. en biotechnologie végétale et protection des plantes, spécialisé dans le domaine des céréales, principalement le blé, à l’Institut national agronomique de Tunisie (Inat). Dans ce sens, « nous avons bien constaté les résultats obtenus qui ont montré sur terrain l’efficacité de deux variétés qui sont déjà inscrites par la Stima et qui appartiennent à la société PSB, à savoir «Saragolla» et «Iride», adoptées en Tunisie, depuis 2010, mais récemment utilisées de nouveau après le renouvellement de partenariat depuis 2022 », soutient-il. D’aucuns le confirment aussi. Selon eux, la différence fut bel et bien constatée : «Ces  semences italiennes sont dotées de caractères intrinsèques leur permettant de surmonter les problèmes du manque d’eau durant une certaine période critique».   

Cette variété qui bat tous les records

Bien que la récolte céréalière écoulée ait été moins bonne que souhaité, dont la production collectée ne dépassait pas les 6,2 millions de quintaux au total, « Saragolla », à elle seule, avait créé la surprise et pourrait rebattre les cartes des futurs céréaliculteurs. D’ailleurs, dans une petite parcelle de 5 hectares de blé dur, cultivés en régime pluvial dont la semence utilisée était «Saragolla», les résultats ont été remarquablement probants. Récoltant plus de 83 quintaux, avec 304 balles de paille de blé par hectare, soit un total de plus de 415 quintaux de blé dur, Imed Jamazi, agriculteur, membre de l’Utap de Jendouba, issu de Boussalem, a battu tous les records. En présence de PSB, obtenteur italien des variétés, Imed a été dernièrement honoré.

Cela ne serait-ce qu’une expérience réussie réalisée, dans le cadre d’un projet de multiplication de cette variété — devenue alors tunisienne — relancé à l’initiative de son chef Abdelmonôm Khelifi, gérant de la Stima. Avec en toile de fond de soutenir l’effort de l’Etat dans la réalisation de l’autosuffisance en blé dur, à même de parvenir à assurer la sécurité alimentaire nationale. Notons, ici, qu’on en consomme beaucoup plus que l’on produit. Chaque année, on importe l’équivalent de 3 mille milliards de blé de consommation, pour pouvoir couvrir la moitié de nos besoins nationaux. Alors que le blé dur est la principale céréale cultivée dans le pays, avec 10 millions de quintaux en moyenne sur les trois dernières années. La longue période de vaches maigres, vécue en Tunisie, allait inverser la tendance et plonger le secteur céréalier dans une situation de crise.

Pour cette nouvelle campagne 2024- 2025, le gouvernement a fourni aux agriculteurs environ 30. 000 tonnes de semences de céréales sélectionnées et 370. 000 tonnes d’engrais, a-t-on appris d’une source agricole autorisée. Toutefois, il n’est pas évident de faire le plein pour avoir une bonne moisson. En ces temps de caprices climatiques, et au moment où il y a, quasi-régulièrement, un déficit pluviométrique, il n’est pas utile de renouer avec des variétés aussi déficientes qu’improductives, qui ne résistent point contre les aléas climatiques. Face aux effets ravageurs du climat, ce secteur est condamné à réviser ses comptes et faire sa révolution verte. En matière d’huile d’olive, à titre d’exemple, l’amélioration des semences fertiles, introduites de l’Espagne, avait eu sa raison d’être, étant donné que les nouvelles variétés importées — exonérées des taxes douanières — ont déjà fait leurs preuves en termes de production et d’exportations. Elles font, depuis, bonne recette.

Importation du blé, un manque à gagner !

Et par ricochet, peut-on faire la même chose et calquer l’expérience sur les céréales, en introduisant de nouvelles variétés de blé ? L’ultime objectif est de satisfaire nos besoins en blé dur, d’une part, et réduire, autant que faire se peut, nos importations dans le domaine, d’autre part. Cette perte que l’on constate sur un bénéfice envisageable est un vrai manque à gagner qui aurait dû renflouer les caisses de l’Etat. Car, avec, tout au plus, une moyenne de 20 quintaux par hectare, nos variétés locales, comme l’affirment les céréaliculteurs eux-mêmes, ne sauraient atteindre l’autosuffisance, et encore moins la sécurité alimentaire. D’autant plus que le recours à l’importation du blé de consommation n’est guère une ultime solution. C’est pourquoi nos agriculteurs en ont plein le dos.

Aujourd’hui, 15 ans après l’inscription de «Saragolla» et «Iride» comme variétés tunisiennes, il est temps d’élargir le champ de leur multiplication. Ne serait-ce que pour accroître davantage les quantités de semences plantées dans des superficies céréalières reconnues favorisées, à savoir les régions du nord et du nord-ouest en particulier, où un nombre important des agriculteurs voudraient, tout bonnement, s’en approvisionner. Du même avis que Imed, Kamel Beddouihech, céréaliculteur, à Béja-Nord, a, lui aussi, été pris à témoin : «Cette variété est en mesure de fournir de 60 à 80 quintaux de blé dur par hectare, sous un régime pluvial. En irrigué, elle est encore plus prolifique et elle pourrait rapporter jusqu’à 90 quintaux/ha». Son collègue, Mondher Gharbi, agriculteur à Amdoun, en était également très satisfait et impressionné du niveau de rendement de cette variété: «Saragolla est une variété qui gagne en qualité et quantité, comme en témoignent les résultats jusque-là aboutis». Somme toute, répondre à la demande de ces agriculteurs relève de l’intérêt que devrait accorder le ministère de tutelle à ce secteur si vital et stratégique.

Rappel pour l’histoire, le ministère de l’Agriculture avait, en 2009, fait appel aux opérateurs semenciers, dans le cadre d’une stratégie visant à produire 600 mille quintaux de semences sélectionnées et certifiées. Depuis, une société privée de production de semences, dotée d’une chaîne de conditionnement de 8 tonnes par heure, basée à Mateur, a toujours été présente, engagée dans un partenariat public-privé. Elle a mis le paquet pour se donner à fond. Sa directrice générale, Mme Imen Amri Ben Jemï, ingénieure agronome principale, nous a confié que cette société a été créée en réponse à la demande de l’Etat pour contribuer à la concrétisation de la stratégie précitée. «A l’époque, on a commencé avec les variétés de l’Inrat, car leur multiplication nécessite, du moins, cinq générations pour arriver à commercialiser les semences. Et puisque on se dote d’une station de conditionnement de blé, on a établi, avec la Stima, un partenariat gagnant-gagnant pour introduire de nouvelles variétés d’Italie», indique-t-elle.

Notre sécurité alimentaire, une ligne rouge

A l’en croire, l’on peut importer 440 tonnes de semences de blé dur pré- base, soit un quota exonéré de droits douaniers, alors que celles-ci ne pourront être productives qu’après deux ans de multiplication. D’ailleurs, poursuit-elle, «la Stima avait importé, en 2022, des semences mères, généralement produites à partir de semences d’origine. L’année dernière, on eu à produire ces semences de base, tandis que cette année on a produit des semences certifiées à commercialiser. Cette année, l’agriculteur peut acheter les semences (étiquette bleue commercialisable)». Mais il y a un hic : la quantité importée n’est pas suffisante pour répondre à la demande croissante des agriculteurs. « Or, en dehors d’un tel quota autorisé, on est contraint de payer des taxes douanières exorbitantes », explique, en ces termes, Mme Ben Jemï. Cette mesure n’est plus dans l’air du temps, voire contraignante, du moment que l’importation du reste des semences n’exige pas de frais douaniers. Elles en sont totalement exemptées. Ce qui freine le développement du secteur céréalier, sous nos cieux.

Le ministère de tutelle va-t-il agir en conséquence, dans le sens où il est habilité à prendre les choses en main et revoir toutes ses lois? L’idéal est de faire de notre sécurité alimentaire un cheval de bataille. Aujourd’hui, tout se joue dans le camp des lobbies, ceux qui s’emparent, sans vergogne, du pain des Tunisiens. Ceci est une ligne rouge, comme le disait le président Kais Saïd, lors de sa visite, le 22 mai 2023, à l’Office des céréales, à Tunis.

Face à cette conjoncture difficile, Mme Ben Jemï s’est, pourtant, montrée plutôt optimiste pour l’avenir du secteur : «On a bon espoir que les choses vont pour le mieux..». Et de suggérer que le succès éclatant qu’avait réalisé «Saragolla», avec des rendements record enregistrés cette année, soit un fer de lance pour l’amélioration de ces variétés. Du reste, pour elle, le mot clé retenu, au terme de ce conclave tuniso-italien, c’est bien la volonté commune de parvenir à avoir le pedigree de ladite variété italienne, soit la semence initiale. Et c’est ce qui pourrait nous rendre indépendants des diktats de l’importation, sans être soumis aux droits douaniers. «Nous allons convaincre nos partenaires italiens du PSB de nous fournir les premiers épis de « Saragolla » pour en faire la multiplication pendant 4 ou 5 ans», souhaite-t-elle. Ainsi le pays aura le contrôle du schéma de multiplication, en constituant un stock stratégique de ces semences sélectionnées.

A noter que la rencontre tuniso-italienne, qui a eu lieu, à l’initiative de la Stima, sur les beaux rivages de Carthage, dans la banlieue nord de Tunis, a vu la présence des ingénieurs agronomes, coopératives de blé, membres de l’Utap, céréaliculteurs, agriculteurs multiplicateurs de semences. Tous ont été unanimes sur la nécessité d’améliorer et d’introduire de nouvelles variétés plus adéquates qui répondent aux besoins des agriculteurs pour qu’ils trouvent leurs profits et satisfaire la production nationale qui reste très déficitaire en matière de blé dur en particulier.

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