Abdelhai Laraki, réalisateur marocain, à La Presse : «Aujourd’hui, il y a un refus psychologique et idéologique de toutes ces puissances du Nord»

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De notre envoyé spécial à Rabat Salem TRABELSI

Abdelhaï Laraki est connu pour avoir abordé des sujets sensibles dans des œuvres saluées par la critique et acclamées par le public. Il fait partie de la nouvelle vague de cinéastes marocains des années 1990, qui ont émergé avec une nouvelle narration. Un film qu’on espère voir aux JCC. Entretien.

Le cinéma du réalisateur marocain Abdelhaï Laraki traite de la répression politique (Mona Saber 2001), du pouvoir de l’argent (Parfum de mer 2006), de la frustration sexuelle (Love in the Medina 2011 ) qui a été au cœur de débats sur «l’art propre» pendant le printemps arabe. Son dernier long métrage «55» où les femmes sont à nouveau au cœur du récit rend hommage aux femmes et aux hommes qui ont lutté pour l’indépendance du Maroc, il a été projeté au Festival international du film des femmes à Salé. Nous l’avons rencontré après la projection.

Votre dernier long métrage «55» décrit le combat du peuple marocain pour l’indépendance à travers l’histoire d’un enfant à Fez. Est-ce une manière d’exorciser le démon du colonialisme qui sévit encore dans nos contrées ?

Que ce soit dans les pays du Maghreb ou dans d’autres pays en Afrique, nous avons vécu un colonialisme direct ou déguisé sous forme de protectorat.

C’est un sujet que je porte en moi depuis 40 ans, mais l’approche de réaliser ce projet était difficile. Il y a tellement de films réalisés sur cette période. Aujourd’hui, nous assistons au Maghreb et en Afrique  à un éveil qui constitue le refus du diktat du Nord.

Je pense que les consciences se réveillent et aujourd’hui il y a un refus psychologique idéologique et physique de toutes ces puissances du Nord qui ont montré leur véritable visage après ce qui s’est passé à Gaza et leur position en Ukraine. C’est tout simplement de l’hypocrisie. C’est peut-être aussi le moment aujourd’hui d’exorciser cette mainmise. D’ailleurs, les pays d’Afrique noire commencent à se désolidariser de la France…

Comment avez-vous trouvé l’entrée pour résoudre le problème du traitement filmique ? 

Un jour, j’ai rencontré un ancien résistant qui avait 11 ans en 1955. A cette époque, il passait des armes de terrasse en terrasse dans la Médina de Fez et c’était un don très particulier qu’il avait. Pour moi, c’était le déclic et je me suis dit que je vais faire un film à travers les yeux de cet enfant qui tombe amoureux d’une fille, et cette histoire va devenir une histoire de résistance.

Le film est écrit d’une manière qui innove dans le traitement des sujets sur la lutte nationale, c’est un film qui peut s’exporter partout…

C’est très difficile de pouvoir faire un film qui puisse être montré sur le plan international et qui tourne autour d’une cause humaine tout en se maintenant sur le plan esthétique. Le film démarre le 30 juillet 1955, jour de l’Aïd, qui est le deuxième anniversaire de l’exil du sultan Mohamed Ben Youssef. Les nationalistes avaient interdit toute fête et ont fait la grève générale. C’est la pire des choses que d’interdire une fête à un enfant. L’enfant prend conscience de la nécessité de lutter pour l’indépendance.

Au début, j’avais eu un prix à Tessalonik, et au niveau de la France tout le monde me disait qu’au Maroc il n’y a pas eu de lutte contre le protectorat.  Je répondais qu’il y avait des luttes et des morts (pas autant que l’Algérie) mais les Marocains ont payé cette indépendance de leurs vies. Cela a été difficile de trouver des producteurs au début, mais après j’ai pu en avoir parce qu’ils ont vu que c’est un film qui montre une réalité.

Je ne suis pas historien, je suis cinéaste et je voulais trouver le meilleur moyen pour faire vivre les gens cette époque.

Dans tous vos films, vous accordez une place prépondérante aux femmes. Dans «55» vous n’avez pas dérogé à cette règle…

Je suis né en 1949 et j’ai des sœurs aînées qui sortaient manifester dans la rue à l’époque.

J’ai encore cela en tête. En fait, j’ai vécu dans une famille de nationalistes où les femmes se sont battues pour indépendance.

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