Maintenant, où en est la situation? Apparemment, un sentiment de soulagement commence à se profiler, depuis que l’Etat a pris un train de mesures. Cela s’est traduit concrètement par la constitution d’un stock stratégique de 6,7 millions de quintaux de céréales.
Nouvelle pénurie de lait, ces jours-ci et ça repart pour on ne sait combien de temps. En attendant d’entrevoir une issue de la crise qu’on espère imminente, la grogne des consommateurs n’est pas près de s’essouffler. Au ministère du Commerce, on relativise : «C’est une crise passagère qui tire à sa fin», assure une source de ce département qui impute cela à des contraintes indépendantes de la volonté de l’Etat, qui ont perturbé tant la chaîne de production que les circuits de distribution.
Le tiers des surfaces cultivables au monde se sont dégradées
Considéré comme l’épine dorsale de la sécurité alimentaire, l’élevage bovin est en train de perdre ses lettres de noblesse, alerte la FAO qui rapporte que «le tiers des surfaces cultivables au monde se sont dégradées à cause de la persistance d’une canicule d’une ampleur sans précédent et du réchauffement climatique incontrôlable. Deux facteurs qui ont lourdement impacté la production céréalière et les prix mondiaux des denrées alimentaires qui ont accusé récemment une hausse record, notamment pour les huiles végétales, le sucre et les produits laitiers». Ce vent de panique a d’ailleurs incité beaucoup de pays à adopter la pratique de l’élevage écologique durable basée sur la fabrication d’alternatives aux produits laitiers.
Tout cela revient à dire que la crise de la pénurie du lait que traverse notre pays n’est pas spécifique à la Tunisie où les terres arables ont, du coup, connu une énorme chute de 40%. Autres répercussions de cette crise planétaire : sur les 3640 investissements agricoles déclarés depuis le début de l’année jusqu’au mois de juin dernier, seul 25% (contre 60% en 2023) l’ont été dans l’élevage bovin, indique-t-on à l’Agence de promotion des investissements agricoles (Apia).
Coup dur aussi pour la population du cheptel qui a baissé de 30%, révèle l’Union nationale des agriculteurs tunisiens qui ne cache pas sa crainte de voir ce recul s’aggraver en 2030.
En attendant, certains éleveurs ont dû recourir à la vente de leurs vaches laitières dans le circuit parallèle. Où des contrebandiers profitent de la situation pour acheter à bas prix, avant d’aller l’écouler au prix fort dans un pays voisin. En voici un échantillon : dans une vidéo qui a circulé récemment sur les réseaux sociaux, un jeune agriculteur, visiblement inconsolable, raconte qu’il a lancé, l’année dernière, un projet d’élevage de vaches laitières qu’il dit avoir commandées d’Allemagne. «Au début, se remémore-t-il, chacune d’elles me donnait chaque jour plus de dix litres de lait frais et j’étais au comble du bonheur. Mais, depuis la crise, mes vaches allaient rester jusqu’à trois jours sans nourriture et j’ai fini par jeter l’éponge et les vendre toutes».
Alléger la pression exercée sur les éleveurs
Question lancinante, combien le cheptel national compte de vaches laitières ? Silence radio à l’Office de l’élevage et des pâturages, dont le dernier recensement en 2021 fait état de 410 mille têtes. Ce qui est toutefois certain, c’est que leur nombre a reculé sous l’effet d’une succession de crises. Une diminution qui a également touché l’effectif des éleveurs de vaches laitières, qui passe de 112 mille en 2020 à 86 mille actuellement, indique-t-on dans les coulisses de la médecine vétérinaire qui évoque le chiffre de 320 à 350 mille têtes bovines, contre 600 mille en 2014.
L’on sait par définition que, pour avoir du lait, il faut que la vache se nourrisse bien. Or, c’est à une montagne de problèmes que les éleveurs butent, dès qu’il s’agit d’approvisionnement. En effet, la hausse des prix à l’achat (la Tunisie étant un pays importateur de céréales), et les démarches d’acquisition de cette matière semblent avoir lourdement affecté les charges des agriculteurs. Au point que certains d’entre eux, sans doute inquiets pour la survie de leur bétail, sont souvent obligés de s’approvisionner au marché noir où le double, et parfois même plus, du prix réel est pratiqué. «Il faut absolument alléger la pression exercée sur les éleveurs et imposer la réduction des prix d’achat du fourrage coûteux et non subventionné qu’on leur propose», recommande Anis El Kamel, expert en finances qui souligne que «l’importation abusive est la plus grande des menaces pour la sécurité alimentaire».
La filière du lait, c’est aussi la filière des viandes rouges. Là aussi, on affiche grise mine, puisque la crise de l’élevage bovin a entraîné une nette hausse des prix de vente publics. Consolation : heureusement qu’en Tunisie, la consommation des viandes rouges se chiffre par à peu près 9 kilos par personne par an, soit loin de la moyenne mondiale estimée à 25 kg, selon la Chambre syndicale nationale des bouchers.
Un stock stratégique salutaire
Maintenant, où en est la situation ? Apparemment, un sentiment de soulagement commence à se profiler, depuis justement que l’Etat a pris un train de mesures. Cela s’est traduit concrètement par la constitution d’un stock stratégique de 6,7 millions de quintaux de céréales répartis comme suit : blé dur (5,1 mille quintaux), orge (596 MQ), semences certifiées (383 MQ), blé tendre (228 MQ).
Ces quantités ont été collectées auprès des établissements publics et privés un peu partout dans le pays, particulièrement dans les régions de Beja, Bizerte et Jendouba. D’après Ridha Hsoumi, directeur général de l’Office national des céréales, «cet important stock stratégique tend non seulement à combattre les circuits des spéculateurs, mais aussi à approvisionner, en toute transparence et à des prix abordables, les éleveurs qui bénéficient, via l’Apia, de crédits bancaires auprès de la BTS et de la BNA». Dans la foulée, l’Apia a mis quelque 500 formateurs à la disposition de 1.400 petits agriculteurs dans le but de les orienter et accompagner dans la gestion de leurs projets.