Les mosquées ibadites multiséculaires de Djerba ont joué un rôle crucial dans le système défensif de l’île. Leur nombre important, leur architecture typique et leur emplacement stratégique pour certaines renseignent sur la place centrale qu’elles occupaient dans la vie communautaire insulaire. Se trouvant pour certaines d’elles dans un état de dégradation avancé, elles vont pouvoir, grâce à la collecte de fonds auprès des habitants, faire l’objet de travaux de sauvegarde et d’entretien qui seront conduits par l’Institut national du patrimoine.
Lieux de prière, d’apprentissage et de sociabilité, les mosquées ibadites djerbiennes représentent une composante principale du cachet identitaire et de l’histoire militaire et guerrière de l’île. Du XIe jusqu’au XIXe siècle, l’île, de par sa position stratégique, a suscité, à maintes reprises, la convoitise des Byzantins, des chrétiens, des pirates de mer… faisant l’objet d’attaques surprises violentes.
Décor épuré et minimaliste
Afin de protéger l’île, les Ibadites ont alors réfléchi au moyen de tromper la vigilance des assaillants. Ils ont eu l’idée ingénieuse d’édifier sur tout le littoral des mosquées discrètes qui n’attirent pas l’attention des ennemis mais derrière les murs desquels ils pouvaient surveiller la venue de ces derniers et donner l’alerte aux habitants. Les spécificités et les caractéristiques architecturales particulières et uniques de ces dernières vont, en effet, répondre principalement aux soucis de la discrétion et de la fonctionnalité. Ces mosquées que l’on appelle, d’ailleurs, mosquées refuge, mosquées observatoires, mosquées guet et dont les plus connues sont Sidi Jmour, qui se trouve à l’ouest de l’île, et Sidi El Yati, située au sud, combinent à la fois un style architectural religieux austère (salle de prière, mirhab…) et militaire. Ces édifices religieux au décor épuré et minimaliste, qui sont toutes construites sur la base du même modèle, sont dotées d’une petite salle de prière carrée qui se trouve à l’extérieur, dans la cour, et d’annexes qui comportent une salle pour les ablutions alimentée par un puits ainsi que d’autres pièces qui servent à entreposer les produits alimentaires et héberger les visiteurs qui peuvent y passer la nuit. Il existe également une salle où ont lieu des séances de cours et d’apprentissage religieux.
Mosquées fortifiées et système de surveillance
Quant au caractère défensif de ces mosquées, notamment de celles qui se trouvent sur la côte, il se reflète dans les contreforts imposants et les meurtrières qui percent l’enceinte du monument, à l’instar des mosquées Midrâjin et Tâlakîn (Ghizen) ainsi que par la présence d’un mâchicoulis et d’un minaret escalier de forme carrée et trapue, doté d’un lanternon et qui servait de tour vigie. Construite au Xe siècle dans la cité de Fatou (houmet Fatou), la mosquée Tâjdit est un exemple type de mosquée refuge fortifiée servant à la défense de l’île. Les fidèles priaient au cours de la journée tout en surveillant constamment les parages. En cas d’attaque, ils donnaient l’alerte aux habitants en envoyant, au cours de la journée, des signaux sous forme de fumée et allumaient les torches la nuit. Ils pouvaient également s’y réfugier en cas d’attaque et accéder à un balcon construit au sommet de la mosquée et percé de petites ouvertures (mâchicoulis) d’où ils pouvaient verser du liquide bouillant sur les assaillants.
Monuments historiques et religieux: actions de sauvegarde et d’entretien
Aujourd’hui, sur une quarantaine de mosquées ibadites, vieilles de plusieurs siècles, certaines ont été soit modérément soit fortement endommagées sous l’effet des aléas climatiques. Celles qui se trouvent près de la mer ont subi une dégradation due à l’humidité et au sel qui a rongé les pierres du bâti. D’autres ont été profanées par les salafistes et les chasseurs de trésors et partiellement ou totalement défigurées. Une équipe composée de représentants de l’Institut national du patrimoine (INP), du commissariat régional à la culture, des deux délégués de Djerba et de Médenine ainsi que d’un élu local s’est déplacée récemment pour effectuer la visite des deux belles mosquées de guet côtière Sidi Jmour et Zayd, afin de relever les dommages qu’ont subis ces édifices et définir la mise en œuvre d’actions de sauvegarde et d’entretien de ces monuments. «Nous allons, dans une première étape, collecter les fonds nécessaires auprès des habitants et de la société civile par l’intermédiaire de l’Association pour la Sauvegarde de l’île de Djerba, afin de pouvoir financer les actions de sauvegarde et d’entretien des monuments de l’île de Djerba, classés sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco, note Jamel Bettahar, directeur de recherche à l’INP. Puis, dans une seconde étape, nous allons procéder pour chaque monument, à une étude technique détaillée et établir pour chacun une fiche d’intervention ainsi que les actions à entreprendre à moyen et à long termes et définir le budget nécessaire pour chaque monument. S’agissant des mosquées Sidi Jmour et Sidi Zayd, nous avons observé une dégradation de l’enduit et une remontée capillaire dues à l’humidité et à la forte salinité de la nappe qui a entraîné une érosion et une dégradation des pierres du bâti. La collecte de fonds nous permettra de procéder aux travaux d’entretien nécessaires».
Source
Patrimoine architectural de Djerba en péril : enquête sur la dégradation des mosquées ibadites (2002-2016) Virginie Prevost