Un film singulier qui s’attaque à un sujet peu traité dans le cinéma, tout en ayant une portée politique qui a le mérite d’être crédible et de ne pas tomber dans des travers opportunistes.
De temps en temps, nous avons la possibilité de voir des séances exceptionnelles dans différents cinémas en Tunisie. C’est d’ailleurs souvent lié à des accords de distribution. Cela permet de voir des films malheureusement non distribués en Tunisie. C’était le cas dimanche dernier au «CinéMadart» où nous avons eu l’occasion de voir le film «After», premier long-métrage du réalisateur Anthony Lapia, sélectionné à la dernière Berlinale dans la section Panorama. Il se trouve aussi que l’un des acteurs principaux n’est autre que Majd Mastoura.
(«Bidoun», «Hedi, un vent de liberté», «Un divan à Tunis», «Les Filles d’Olfa») attisant potentiellement la curiosité des cinéphiles tunisiens.
L’histoire se déroule dans un club techno à Paris. A mesure que l’on avance dans la soirée, Félicie (Louise Chevillotte) et Saïd (Majd Mastoura) se rencontrent. Ils finissent par décider de continuer la soirée ailleurs en «After».
Au premier abord et surtout si l’on se fie au synopsis, on aurait tendance à se dire qu’il s’agit d’une histoire banale dans un cadre un peu festif. C’est sans compter sur les qualités du film. Que ce soit à l’image, dans la mise en scène ou dans le propos qui prend une tournure politique au milieu de l’insouciance de la soirée. On y trouve une logique dramatique que se tient. Le tout appuyé par un sound design et une bande sonore qui sert le film.
«After» est en partie filmé en pellicule, l’autre en HDV Cam sans pour autant qu’on ressente la différence à l’image. La photographie, assurée par Robin Fresson et Raimon Gaffier, est très réussie. Elle surprend aussi, notamment les plans dans le club (comme on le sait, les clubs ne sont pas des lieux très éclairés) qui permettent d’en voir suffisamment tout en restant dans l’immersion du club. Le parti pris des plans serrés fait très vite sens et procure un sentiment d’immersion quasi instantané (on a rarement vu des films réussissant à capter autant l’essence d’un club techno en dehors de documentaires). La lumière change évidemment lors de la suite dans l’appartement de Félicie, changement d’ambiance oblige. On note aussi le parti pris très intéressant en fin de métrage avec ce contraste surexposé. La surexposition, étant souvent vue comme une faute, devient un élément narratif. Ce qui fonctionne ici indiquant le traitement d’un événement extradiégétique. La bande originale omniprésente est très pertinente dans le contexte du film et articule bien le propos narratif. On sent que le club est un personnage à part entière et la musique n’y est pas étrangère. Musique d’ailleurs composée par «Panzer» et qui cadence les différentes rencontres des personnages qui se croisent que ce soit sur le dancefloor ou dans le fumoir. Sur le plan des dialogues portés par les acteurs c’est aussi réussi. On a vraiment un sentiment de crédibilité qui se dégage des deux acteurs principaux. Il est d’ailleurs expliqué dans le générique de fin que les dialogues ont été écrits conjointement avec les comédiens. Et on sent l’efficacité de ce processus, des figurants aux acteurs principaux. Les situations sont portées par des dialogues qui sont fluides et ne dénotent pas par rapport au contexte des différentes séquences. Ça fait du bien d’autant qu’ils sont simples et pas prétentieux (on voit trop souvent des comédiens avoir des conversations qui sonnent faux ou dire des choses qui ne collent absolument pas à la situation dans laquelle ils évoluent). Le dialogue entre Félicie et Saïd, une fois chez elle, oscille entre l’intime et le politique. Tout l’intérêt repose sur les positions de chacun qui diffèrent et se confrontent sans que ce soit négatif, l’un et l’autre exprimant son opinion et l’argumentant. Le film se termine sur une note à la fois fataliste et remplie d’espoir, un peu comme un écho aux échanges des deux protagonistes. Surtout, le film ne commet pas l’erreur de trop situer le contexte temporel dans lequel l’action se déroule. Certains y verront un manque d’information. Alors qu’on évite le pathos qui, à mon sens, décrédibiliserait les convictions des personnages principaux. «After» est un film singulier qui s’attaque à un sujet peu traité dans le cinéma, tout en ayant une portée politique qui a le mérite d’être crédible et de ne pas tomber dans des travers opportunistes. Objet filmique original grâce à une mise en scène et un montage efficace et ingénieux. C’est une réussite, d’autant qu’il s’agit d’une production indépendante et c’est tout à l’honneur de l’équipe du film.