Home Culture Entretien avec Malek Lakhoua, fondateur du label JAZZ’IT: «Nous proposons du nouveau, du frais, de l’inattendu»

Entretien avec Malek Lakhoua, fondateur du label JAZZ’IT: «Nous proposons du nouveau, du frais, de l’inattendu»

Médecin de formation, musicien jazz autodidacte, il a créé son label pour encore plus de liberté… Malek Lakhoua est un être hors normes…


Avec ses hybridations esthétiques de plus en plus abouties, Malek Lakhoua, figure majeure du jazz en Tunisie, fait souffler un vent nouveau sur ce genre musical. A travers son label JAZZ’IT, fondé pour dynamiser, structurer et promouvoir la scène jazz tunisienne, il collabore avec de grands maîtres du genre à l’échelle internationale. Actuellement, en tant que JAZZ’IT, il est producteur du projet du pianiste californien tombé amoureux de la musique tunisienne, Kyle Schafer. C’est en compagnie de Andreas Waelti à la basse et le saxophoniste italien Pietro Vaiana qu’il entame une tournée exclusive «Tunisian Vibes Tour» pour l’enregistrement du volume 2 de l’album «Tunisian Vibes» qui a eu un très bel accueil par le public tunisien.

Après un premier concert en Tunisie, le 9 novembre au Cinémadart Carthage à Tunis, le quartet s’apprêtera à s’envoler vers Paris et Bruxelles où les sons du patrimoine tunisien, revisités avec des arrangements uniques et une touche internationale, feront le bonheur des auditeurs. Nous avons voulu en savoir davantage sur l’artiste derrière le label JAZZ’IT qui fait dialoguer les musiques de façon si féconde.

Première surprise, Malek Lakhoua est médecin de formation, ayant travaillé au domaine humanitaire et organisationnel. Il a décidé par la suite de consacrer totalement à la musique. «Je suis batteur autodidacte», nous explique-t-il. «J’ai commencé ma carrière de musicien en lançant des soirées live dans des clubs à Tunis dans les années 2000. C’était le Blue Note Project à l’époque. Il y avait Mohamed Ali Kammoun qui faisait partie du band. De nombreux musiciens sont passés par ce projet et par ces jam sessions légendaires. C’était «the place to be», comme on dit. Richard Bona, Moncef Genoud, James Cammack, le contrebassiste de Ahmad Jamal, les musiciens belges dans le cadre du projet de l’Ecole de jazz à Ennejma Ezzahra…  Je gérais aussi en parallèle mes études en médecine».

Pendant la période du Covid, le batteur chevronné a sorti un premier album avec le pianiste Wajdi Riahi et Wassim Benrhouma à la contrebasse. «C’était ma carte d’entrée dans ce monde et j’étais fier de l’enregistrer avec des musiciens et des techniciens tunisiens. Le disque est sorti sur le label français légendaire Black & Blue et il a eu de très bonnes critiques sur France musique, Jazz magazine en France et par le public tunisien. La revue de presse à l’étranger était fortement encourageante».

Après le succès du premier album, Malek Lakhoua a donné de nombreux spectacles en Tunisie et à l’étranger. Il a monté avec succès son projet musical «Majazz». Au menu, vibraphone, contrebasse, batterie, trompette et… deux ouds pour enrichir sa musique au renouvellement permanent.

Comment l’idée de JAZZ’IT a-t-elle vu le jour ? «Je suis fondateur du label et musicien du projet à la fois», nous répond-il. «J’ai vécu deux ans au Singapour. J’ai alors réfléchi sur comment structurer mon travail en Tunisie avec le soutien de mes mentors, le batteur Mourad Benhammou et le pianiste Moncef Genoud. C’est comme ça que l’idée du label a émergé. Les deux grands projets de ma vie sont le jazz et la production de l’huile d’olive. En mélangeant les deux, cela a donné JAZZ’IT. C’est Moncef Genoud, musicien suisse, qui a signé le premier disque sur le label».

Le jazz serait-il une musique élitiste ?

«Non, et les contre-exemples sont nombreux», observe Malek Lakhoua. «Si nous remontons aux origines de ce genre musical, le jazz est avant tout la musique des ouvriers dans les champs de coton. Parlant des goûts, les Tunisiens aiment le jazz, tout comme ils aiment la musique orientale, le rap, les chansons françaises à texte.. Pour les jeunes, c’est principalement une question d’accessibilité. Il y a beaucoup de passionnés de jazz, des artistes émergents et même des musiciens confirmés qui sont issus de quartiers populaires. Je soutiens aussi, à travers mon label, un collectif de jeunes musiciens qui représentent pour moi le nouveau sang du jazz en Tunisie. En contrepartie, le jazz n’est malheureusement pas un axe prioritaire pour les décideurs dans le domaine de la culture. Si l’on donne plus de moyens aux musiciens de jazz pour jouer dans les écoles, faire plus de concerts, ça va ouvrir de nouveaux horizons».

En posant la question si ce problème d’accessibilité s’applique également sur les grands évènements dédiés au jazz qui se déroulent en dehors de la capitale, Malek Lakhoua nous a répondu :  «Aujourd’hui, qui dit jazz dit Tabarka, le festival de Carthage dans les années 60 programmait des concerts de jazz de très haut niveau. Dizzy Gillespie, Art Blakey, Mc Coy Tyner.. Tous les grands sont passés par la Tunisie. Ces évènements prouvent que le jazz a des bases solides chez nous. S’il y a un problème, c’est principalement au niveau du marketing. On met en avant un certain genre de musique plus lié à des objectifs commerciaux et non culturels».

Finalement, sur le plan rentabilité, un concert de jazz peut-il concurrencer les autres musiques en vogue ?

«Quand on est musicien de jazz, on ne remplit pas des stades», nous a indiqué Malek Lakhoua. «Mais, ce que nous sollicitons auprès des autorités, en dehors de l’appui financier, c’est de nous faciliter le volet organisationnel. C’est très compliqué d’inviter des musiciens étrangers, alors que nous contribuons à valoriser l’image du pays à travers ces collaborations internationales. Pietro Vaiana, musicien belge d’origine italienne, évoque constamment ses excellents souvenirs en Tunisie. On a aussi un partenariat avec le label belge IGLOO pour l’exportation des projets de JAZZ’IT à l’étranger. De plus, on fait travailler des techniciens et des designers tunisiens».

Revenant à la collaboration avec Kyle Schafer pour le «Tunisian Vibes Tour», nous avons demandé si le trio joue du jazz dans sa forme classique ou s’il envisage d’y apporter des modifications.

«L’idée de Kyle Schafer a été d’intégrer le patrimoine tunisien dans les compostions de jazz», nous a indiqué Malek Lakhoua. «Nous avons pris la configuration classique comme base, c’est-à-dire basse, contre-basse, batterie et piano et un saxophoniste en soliste, puis nous avons arrangé de belles mélodies tunisiennes de Hédi Jouini,  Salah Farzit, un morceau de Yuma et même des airs algériens comme Ye Zina».

Pour les prochains projets de JAZZ’IT, Malek Lakhoua nous a indiqué :  «Cette tournée internationale est en elle-même un challenge». Ils comptent, après, enregistrer le deuxième volume de l’album qui va sortir en CD et sera le premier vinyle jazz produit par un label tunisien. «Nous tenons encore aux supports physiques en parallèle avec la sortie digitale. Nous donnons beaucoup d’importance à cet aspect d’objet d’art touchable».

Le défi majeur rencontré par les producteurs de jazz, selon Malek Lakhoua, serait la diffusion médiatique. «J’estime qu’on devrait diffuser dans les radios plus de productions de musiciens de jazz tunisiens. On ne les passe pas assez sur les ondes et on invite rarement les artistes de jazz à la télé.

Savez-vous, par exemple, que la musique de Kyle Schafer «Tunisian Vibes» a été utilisée pour un reportage sur ARTE ?»

En effet, les jazzmen sont actifs au niveau de la production. Il faut leur donner plus de visibilité pour pallier le manque de connaissance de ce genre musical auprès du public tunisien. «C’est une musique basée sur l’émotion, le rythme et la mélodie et elle se marie parfaitement avec les standards de variété tunisienne qui comportent ces ingrédients», poursuit Malek Lakhoua. «Nous proposons du nouveau, du frais, de l’inattendu», conclut-il.

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