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Tunisie – Dynastie husseïnite, Mohamed El Moncef Pacha Bey (suite et fin) : Le bey martyr et populaire

«La neutralité», l’expectative et la prudence… telles étaient les lignes de conduite observées par Mohamed El Moncef Pacha Bey… Une attitude saine traduisant son souhait de ménager les tunisiens des affres de la guerre.


Entre novembre et décembre 1942, plusieurs avions planeurs de diverses nationalités atterrissaient au sol d’El Aouina.
La Tunisie est devenue une terre de bataille où des troupes de l’axe (Allemagne et Italie) et celle des alliés (France, Amérique, Angleterre) se livraient à un rude combat. Hammam-Lif, lieu de résidence de Mohamed El Moncef El Pacha Bey venait d’être déclarée zone neutre ouverte. Des dizaines de milliers de Tunisiens affluèrent pour y trouver refuge fuyant les bombardements de Tunis.

Mohamed El Moncef se démarque

Dans le but de donner un coup d’éclat à son gouvernement, le bey Mohamed El Moncef nomma M’hamed Chenik, Premier ministre, en remplacement du vieux Hédi Lakhoua.
Chenik n’avait pas tardé de constituer un cabinet de tendance nationaliste. Par ces nominations, Mohamed El Moncef venait incontestablement de gagner une manche importante considérée comme atypique par la colonie française. En effet, c’était la première fois que des ministres étaient nommés sans l’accord préalable de l’autorité coloniale.
Par ces nominations, le peuple tunisien avait senti une grande fierté, surtout les fonctionnaires, car, en mars 1943, M’hamed Chenik, sur l’instruction de Moncef Bey avait réussi à établir la parité entre fonctionnaires français et tunisiens de même grade : à travail égal, salaire égal.
De même, profitant de l’occupation de la Tunisie par les troupes de l’axe, Mohamed El Moncef avait adopté une stratégie pouvant entraîner la France protectrice à des réformes. Il avait aussi multiplié les nominations et montré sa ferme volonté d’exercer son pouvoir et d’affirmer sa présence en tant que bey en accordant son patronage à toute organisation nationale qui lui en faisait la demande.

Le piège
Le 12 avril 1943, sur proposition de résidant général, l’Amiral Esteva, Moncef Bey avait remis en personne des décorations à 26 personnalités allemandes et 22 personnalités italiennes civiles et militaires et avait décerné le grand cordon de Nichane El Eftikhar au ministre allemand Rudolf Rum. Malheureusement, cette affaire de décoration était considérée comme une bévue. En effet, il s’agissait d’une affaire embarrassante n’étant pas du tout à l’avantage du souverain qui a fait preuve de peu de discernement en acceptant de jouer le jeu de la politique de coopération de l’Amiral Esteva, alors que les Alliés étaient à deux pas de la victoire. Voulant se rattraper, Moncef Bey s’empressa lors de la cérémonie du sceau du 15 avril 1943, de décerner lui-même à des hautes personnalités françaises les insignes du Grand cordon du Nichane El Eftikhar.

Le mal aimé
Un fait historique tangible : Mohamed El Moncef Pacha Bey, ne plaisait pas aux autorités coloniales. Celles-ci reprochaient à ce bey, ses critiques publiques à l’égard de certains chefs d’administration français. Ses discours à la population tunisienne ne contenaient aucune allusion à la puissance protectrice. En réalité ce qu’on lui reprochait, c’était de refuser d’obéir aux ordres.
C’était plutôt un souverain nationaliste, patriotique, et réformiste et non pas servile, docile et soumis. Contrairement à ces prédécesseurs, ce bey donnait du fil à retordre et posait un problème aux intérêts de colons.
Il fallait profiter de la prochaine et inéluctable défaite des troupes de l’axe pour le destituer.

Le bey qui se déchargeait
Mohamed El Moncef Pacha bey, désagréablement pris dans l’engrenage, se sentait dépassé par les événements. Il se déchargeait complètement sur le représentant officiel de la France en Tunisie, et se contentait de recevoir les doléances de ses sujets, menacés constamment par les bombardements, la cherté de la vie et le problème du rationnement.
Le bey compatissait sincèrement à la misère de son peuple, étourdi par tant de difficultés surtout d’ordre économique qui ne cessaient de s’accroître…

Peyrouton le magouilleur
En cette période (1942/43) Marcel Peyrouton qui était résident général à Tunis de 1933 à 1936, fut nommé gouverneur général à Alger.
Cet homme était connu pour ses hostilités à l’égard des jeunes destouriens lorsqu’il était à la tête de la Résidence générale (voir La Presse du 26/10/2024). Peyrouton le rancunier mit à l’index le souverain Moncef Bey qu’il jugeait hostile à la France et n’avait pas cessé, à partir de Radio-Alger, de mener une campagne de dénigrement contre les Tunisiens et leur souverain.
Pour Beyrouton, « il fallait diaboliser la Tunisie et son monarque auprès des alliés, afin d’avoir les mains libres et exécuter leurs desseins à leur guise ».

La déposition de Moncef Bey
Dès lors, les desseins des colons se retraçaient. Les autorités d’Alger —à leur tête le génial Giraud, le commandant en chef de l’armée à l’échelle nord africaine qui était suffisamment influencé par la campagne de dénigrement menée par Marcel Beyrouton, gouverneur d’Alger— avaient décidé de “décapiter” une fois pour toutes le néo-destour, de déposer Moncef bey et mettre fin à toute forme de revendication nationaliste.
Le général Juin, commandant en chef de l’armée, résident général par intérim à Tunis fut chargé d’effectuer la mission de déposition de Mohamed Lamine, d’accepter le remplacement au trône —étant donné l’intérêt suprême de la dynastie Juin pris, le 12 mai 1943, la décision définitive d’informer le bey Mohamed El Moncef du fait qu’il doit céder le pouvoir.
Le monarque a refusé catégoriquement l’abdication, ce qui obligea le général Giraud à se rendre à Tunis le 13 mai 1943 pour signer le texte de déposition de Moncef bey —exécution accomplie à temps— puisque le 14 mai 1943 trois commandants d’armée se rendirent au palais de La Marsa pour ramener le bey à l’aéroport de Laouina où il fut invité à prendre place à bord d’un avion spécial qui s’envola en direction, de Laghouet dans le sud algérien le lieu de son exil forcé.

La contre-vérité
Ce qu’il fallait retenir de cette magouille pilotée par Marcel Peyrouton, le général Giraud et le général Juin c’est que ces trois hommes n’avaient pas lésé seulement le bey Mohamed El Moncef, ils avaient plutôt porté atteinte à la dignité de la France en lui faisant endosser la violation de l’article 3 du traité du Bardo conclu le 12 mai 1881. Cet article stipulait que «le gouvernement de la République Française prend l’engagement de prêter son appui au bey de Tunis contre tout danger qui menacerait
sa personne, la dynastie de son altesse ou qui compromettrait la tranquillité de l’Etat».

Le sort des magouilleurs
Ainsi donc s’achevait le règne le plus éphémère, mais paradoxalement le plus important et le plus riche en événements de la dynastie husseïnite.
Ce qu’il fallait retenir de cette malencontreuse fin de règne, c’est que tout le peuple tunisien avait été offensé et douloureusement endeuillé par la perte de son roi martyr.
Quant aux autres protagonistes de cet épisode fâcheux de l’histoire de Tunisie, leur sort ne fut pas plus clément. Le maréchal Petain fut condamné à mort en 1945. L’amiral Estéva fut condamné en 1945 aux travaux forcés à perpétuité pour haute trahison.
Quant à Marcel Peyrouton, le principal instigateur de cette déposition il fut à son tour arrêté pour être exilé à Laghouet (ironie du sort!) et installé dans le même hôtel qui avait abrité Moncef Bey : «le transatlantique».

Mohamed El Moncef Bey à Tenes et à Pan
Ce souverain digne et respectueux fut donc obligé de signer le 6 juillet 1943 sa renonciation au trône au profit de son cousin Mohamed Lamine.
Mohamed El Moncef Bey déchu, avait quitté Laghouet le 31 juillet 1943 en direction de Ténès sur la côte algérienne où il avait passé un séjour de deux ans et quatre mois.
Par la suite, il faut transporter le 17 octobre 1945 dans le midi de la France dans la ville de Pan.
Dans cette ville, entouré de sa famille et accompagné de plusieurs «moncéfistes» notre souverain héros retrouva son équilibre et sa verve habituelle.
Faut-il rappeler qu’en cette année (1945) la ville de Pan fût la véritable capitale politique du nationalisme tunisien.
En effet, souvent, de véritables conseils des ministres s’y tenaient pour débattre de la stratégie à suivre pour l’éventuelle réhabilitation du monarque déchu…
Sauf que l’état de santé de Moncef Bey allait de mal en pis depuis début août 1948. Il décéda subitement le 1er septembre 1948 suite à une crise d’urémie.
La veille, Moncef Bey avait exprimé sa volonté que son corps ne repose pas à Torbet El Bey, dernière demeure des souverains husseïnites mais au cimetière du Djellaz à proximité du mausolée de Sidi Belhassen Chedly.

Funérailles grandioses
Effectivement, les vœux de ce souverain aimé par ses sujets furent exaucés à merveille ! Les funérailles au cimetière de Djellaz étaient grandioses. Tout le peuple tunisien tenait à accompagner son défunt souverain à sa dernière demeure.
La journée du 5 septembre 1948 restera une date marquante dans l’histoire des dynasties beylicales en Tunisie. Une des plus importantes dans la mémoire de la génération des Moncéfistes.
Tous les historiens avouent que : « jamais on n’a vu jusqu’alors un rassemblement humain aussi important. Le règne et les funérailles de Mohamed El Moncef Bey resteront un événement historique et aussi un chapitre de notre conscience nationale » (reprise intégrale de la conclusion de Omar Khélifi dans son œuvre «Moncef Bey roi martyr»).

Sources
«Histoire de Tunisie» de Hassen Hosni Abdelwaheb
«Moncef Bey roi martyr» de Omar Khélifi
«La Tunisie dans le tourbillon de la Soncde Guerre mondiale», de Med Noureddine Dhouibi

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