Outre la migration, le réchauffement climatique pourrait, à son tour, forcer, d’ici 2050, plus de 216 millions de personnes à fuir leurs pays, ce qui les rend vulnérables à ce fléau, avertit l’ONU.
Nouveau naufrage récemment à Djerba d’une embarcation de fortune transportant 57 migrants (56 Tunisiens et un Marocain) qui s’apprêtaient à mettre le cap sur la rive nord de la Méditerranée.
Si on ne peut que saluer la brigade maritime de la Garde nationale pour avoir secouru 32 harrags menacés de noyade, ce qui constitue, quand même, un score honorable, il y a, cependant, une question importante à poser. Il s’agit de savoir pourquoi l’architecte de cette odyssée court toujours. Car, tenir à identifier ce dernier en vue de son arrestation, c’est tout simplement toucher le fond du problème, dans la mesure où il s’est avéré, depuis des années déjà, que les organisateurs des flux migratoires vers l’Europe représentent une véritable mafia aux ramifications et tentacules internationaux.
Un vieux phénomène
Une mafia qui a investi massivement dans la traite d’êtres humains, faisant de la Méditerranée son champ de manœuvre où accostent clandestinement les barques de la mort qui partent depuis les pays expéditeurs, à savoir ceux de la Corne de l’Afrique, du Moyen-Orient (Égypte, Liban, Syrie..) et du Maghreb. «Justement, pour endiguer ce fléau, il faut l’attaquer à la racine», souligne une source sécuritaire au fait de ce dossier, qui évoque une organisation solidement structurée et fort audacieuse. Pour notre interlocuteur, «pour espérer l’emporter, rien ne vaut le travail anticipatif, et cela en frappant prioritairement le cercle fermé des commanditaires, afin d’étouffer dans l’œuf leurs manœuvres de préparation et, par-là, éviter que les drames de la mer se reproduisent. C’est d’ailleurs là, faut-il le rappeler, le mode opératoire qu’a adopté notre pays avec efficacité, ce qui lui a permis de vaincre le terrorisme».
Historiquement, le trafic des êtres humains existe depuis des siècles. Déjà, un certain 20 août de l’an 1619, on enregistrait l’arrivée des premiers esclaves en Virginie (USA), amenés d’Afrique à bord d’un voilier hollandais. Dans les Amériques, ce commerce, rapportent des historiens, a duré entre 300 et 350 ans, avec entre 15 et 30 millions d’Africains travaillant dans les plantations.
Des Tunisiens portés encore disparus !
Aujourd’hui, on constate deux sortes de trafics d’êtres humains. La première concerne l’étape préliminaire de la migration qui consiste en le ramassage ciblé des candidats dans leurs pays et ailleurs. Mis aux ordres du boss, on les enferme, soi-disant, pour leur sécurité, dans des dépôts aux conditions de séjour généralement inhumaines. Après les avoir dépossédés de leurs biens (argent, portables…), on les jette dans une embarcation pour aller au diable ! Quant aux postulants à l’aventure qui choisissent la solution terrestre, une seule adresse : les camions frigorifiques où ils s’entassent, tel un troupeau de bétail, dans des conditions horribles, au point qu’un grand nombre d’entre eux périssent en cours de route.
L’autre sorte de ce trafic se déroule en mer. Là où le meneur de l’expédition, à la première menace de naufrage, force des passagers à se jeter dans l’eau, à tour de rôle. Faute de quoi, c’est lui en personne qui, dans un accès de colère dont il a seul le secret, s’occupera de ce forfait lâche et sauvage. Sur ce point bien précis, on n’épiloguera jamais assez, tout simplement, parce que des Tunisiens en ont été victimes. «Notre voisin, un jeune de 24 ans, a connu ce triste sort, il y a deux ans », indique Khaoula Dhif, femme au foyer. Elle précise que, «l’horrible scène, telle que décrite par un rescapé tunisien de cette tuerie, s’est produite au large des côtes italiennes. Alors que les parents de la victime n’en ont été informés qu’après trois mois»
D’ailleurs, de nombreuses familles tunisiennes, faut-il le rappeler, n’ont aujourd’hui aucune nouvelle de leurs progénitures qui ont pris la mer depuis des mois. Selon l’Organisation internationale des migrants (OIM), pas moins de 325 mille personnes sont, à ce jour, portées disparues en Méditerranée. Beaucoup d’entre elles sont mortes et d’autres sont sujettes à l’exploitation sexuelle, ou des esclaves de toute autre nature». Combien des nôtres en font partie ? Mystère..
Sonnette d’alarme !
Une autre sonnette d’alarme a été récemment déclenchée par l’Organisation internationale du travail (OIT), estimant que «plus de 152 mille enfants âgés de 5 à 17 ans restent potentiellement exposés au trafic d’êtres humains». En Tunisie, on fait, c’est sûr, de son mieux pour réduire l’acuité de ce phénomène. En effet, de janvier 2024 au 30 septembre dernier, quelque 27 mille migrants de différentes nationalités ont été arrêtés, la veille de leur embarquement à destination du Vieux continent. Soit au total 102 mille arrestations entre 2023 et 2024, révèlent les statistiques officielles. Or, pour voir la moitié vide du verre, on ne peut pas s’empêcher de dire que ce bilan aurait été plus flatteur, s’il comptait à son actif un plus grand nombre d’organisateurs d’expéditions, donc de trafiquants d’êtres humains. Il est vrai que ces derniers, épine dorsale de ce commerce si lucratif (on parle de centaines de millions de dollars comme chiffre d’affaires), ne cessent de soulever des vagues de condamnations un peu partout dans le monde, pour leurs exactions et atrocités commises sur les migrants dont certains rescapés miraculeux en ont donné, via la Toile, des révélations poignantes et horribles. Et ce n’est pas un hasard si le HCR et l’OIM ont plaidé récemment devant le Conseil de sécurité de l’ONU pour une meilleure protection des migrants et des réfugiés.
En réalité, ce qui ajoute une dose supplémentaire d’inquiétude à la dimension ubuesque de ce fléau, c’est le cri d’alarme que vient de lancer l’ONU. Dans une étude basée sur la collecte des données de 141 pays, elle enfonce le clou, en affirmant que « le réchauffement climatique augmente les cas de trafic d’êtres humains, en poussant les habitants des zones affectées à fuir dans l’urgence, les privant de moyens de subsistance et les rendant ainsi plus vulnérables à ce phénomène». La Banque mondiale, elle, est allée encore plus loin dans cette tendance pessimiste en indiquant que «le réchauffement climatique pourrait, d’ici 2050, forcer plus de 216 millions de personnes à migrer». Entretemps, les réseaux transcontinentaux de traite d’êtres humains, dont les plus redoutables mafieux, courent encore.