Le pays fait face à un défi d’une ampleur inédite, la fuite massive de ses talents, notamment médicaux. Ce phénomène, qui s’accélère à un rythme effréné, menace non seulement l’équilibre du système de santé national, mais également l’avenir de la Tunisie.
La Presse — Alors que de nombreux pays déploient des stratégies ambitieuses pour attirer les talents étrangers, allant de salaires attractifs à des conditions de travail exemplaires, sans oublier l’accès facilité à la nationalité, au bout de quelques années, la Tunisie semble suivre une trajectoire inverse. L’exode de ses compétences, universitaires, pilotes de ligne, ingénieurs et médecins, s’accélère à un rythme inquiétant.
Un chiffre qui en dit long ; rien qu’en 2023 plus de 1 300 jeunes médecins ont quitté le pays, poursuivant une tendance qui s’est aggravée depuis 2011. Si cette hémorragie de talents se poursuit, le pays risque de manquer, dans un avenir proche, d’ingénieurs pour bâtir ses infrastructures et de médecins spécialistes pour soigner ses malades.
À première vue, l’exode semble être un choix personnel motivé par des opportunités économiques et professionnelles. Mais en réalité, il s’agit d’un cri de désespoir face à un système poussé au bout de ses limites et dans l’incapacité de répondre aux attentes. Les praticiens tunisiens, formés avec excellence et rigueur dans des institutions reconnues, se heurtent à des conditions de travail souvent qualifiées d’indignes. Des infrastructures vétustes, surcharge de travail et pénuries chroniques d’équipements médicaux et de médicaments.
Restaurer la confiance, une priorité nationale
À cela s’ajoute un environnement de travail de plus en plus violent, marqué par des agressions récurrentes verbales et physiques, notamment dans les établissements publics.
Pour la communauté nationale, les conséquences de cette fuite des cerveaux sont dramatiques. Le système de santé, déjà fragilisé par des années de désinvestissement et d’instabilité, se retrouve réellement diminué. Dans les zones rurales où les besoins en médecins spécialistes sont criants, l’exode complique davantage l’accès aux soins pour les populations locales. Au-delà du secteur médical, l’impact de cette fuite se fait ressentir également dans d’autres domaines stratégiques, tels que l’ingénierie, l’éducation et la recherche. Pour un pays qui a investi historiquement dans le savoir, risquer ainsi de perdre le principal moteur de développement, son capital humain, c’est un véritable gâchis.
Face à cette situation, les discours volontaristes formulés ces derniers jours doivent se traduire par des actions concrètes et audacieuses. Le ministre de la Santé, Mustapha Ferjani, a annoncé un plan ambitieux en 2025, visant à inciter les médecins tunisiens expatriés à traverser la Méditerranée en sens inverse, puisque la plupart se sont installés en France et en Allemagne.
Parmi les mesures phares, se trouvent en bonne place la modernisation des infrastructures hospitalières, la simplification des démarches administratives et la mise à disposition d’équipements modernes. Outre ces initiatives prometteuses, un dialogue constant devra s’établir avec les professionnels concernés. Les expatriés sont donc prêts à revenir, chiffres à l’appui. Un sondage récent révèle que 75 % d’entre eux envisagent un retour au pays. Une lueur d’espoir à condition que ces changements soient réellement mis en œuvre.
L’attractivité plutôt que la contrainte
Pendant ce temps, certaines voix s’élèvent pour proposer des mesures coercitives, telles que l’obligation de travailler plusieurs années en Tunisie après l’obtention du diplôme ou le remboursement d’une partie des frais de formation en cas de départ. Une approche punitive qui risque d’aggraver le problème, en renforçant le ressentiment des jeunes diplômés. À l’inverse, une politique basée sur la reconnaissance et la valorisation des compétences semble être la clé. Offrir des conditions de travail dignes, un salaire à la hauteur des qualifications ainsi que des perspectives de carrière motivantes, voilà qui pourrait freiner l’exode de l’élite.
Le départ massif des talents n’est pas, in fine, une fatalité, il peut même être transformé en levier de développement. Les Tunisiens expatriés représentent, singulièrement, un pont précieux vers le reste du monde. En valorisant leur expérience internationale et en les impliquant dans des programmes nationaux, le pays pourrait convertir cette fuite en une dynamique de croissance. Pour ce faire, la Tunisie doit se doter d’une stratégie ambitieuse et durable pour retenir ses talents et leur offrir des conditions à la hauteur de leurs ambitions. Tout en proposant un environnement propice à ceux qui sont partis et souhaitent rentrer. Le défi est colossal mais pas insurmontable.