Accueil Economie Mourad Hattab, spécialiste en risques financiers à La Presse: « Un cadre institutionnel favorisant une concurrence efficace est aujourd’hui nécessaire »

Mourad Hattab, spécialiste en risques financiers à La Presse: « Un cadre institutionnel favorisant une concurrence efficace est aujourd’hui nécessaire »

Avec cette fin d’année, l’heure est au bilan. Retour sur les performances, les défis et les leçons économiques de 2024. Mourad Hattab, spécialiste en risques financiers, livre son décryptage. 

La Presse — L’année 2024 a été marquée par un ralentissement de la croissance économique. Quelles en sont les causes ?

L’année 2024 a été mitigée pour l’économie tunisienne, avec une croissance limitée à 1,6 %, bien inférieure aux prévisions initiales (2,1 %). Cette croissance a été principalement soutenue par la progression du secteur agricole, le renforcement de l’activité touristique (notamment au troisième trimestre 2024) et l’amélioration de l’activité économique des principaux partenaires commerciaux de la Tunisie.  En revanche, en 2025, la hausse prévue des impôts appliqués aux sociétés pourrait entraîner un ralentissement de la croissance, qui risque de ne pas dépasser 2 %, alors que le gouvernement table sur une progression de 3,1 %. Les principales causes de la faible croissance enregistrée en 2024 demeurent liées aux pressions inflationnistes, qui sont encore loin d’être jugulées. Avec un taux d’inflation avoisinant 7 % en glissement annuel, cette dernière constitue l’un des principaux facteurs de fragilité de la situation macro-financière du pays, freinant la dynamique de l’investissement.

Cependant, les autorités pourraient inverser la tendance en réformant la réglementation des changes et en restructurant le système des autorisations. Il est aussi impératif d’adopter un cadre institutionnel favorisant une concurrence moderne et efficace, pour limiter à la fois les effets de l’économie de rente et l’exclusion financière de larges franges de la population. Aussi, l’entrée en vigueur de la nouvelle loi sur les chèques, prévue en 2025, pourrait affecter défavorablement la consommation, qui représente près de 94 % du PIB.

Comment évaluez-vous la réponse de la BCT face à l’évolution de l’inflation en 2024 ?

S’il y a un seul mot à retenir pour résumer l’année 2024, d’un point de vue économique, ce serait : l’inflation. L’année a été marquée par une hausse généralisée et persistante des prix. À fin novembre, l’Institut national de la statistique annonçait une progression de 6,6 % de l’indice des prix à la consommation. Les prix des produits alimentaires sont au plus haut depuis des mois (8,5 %), tandis que le taux d’inflation sous-jacente (hors produits alimentaires et énergie) est resté stable à 6,3 %. Malgré les efforts des autorités, notamment en matière de subventions et de transferts monétaires en faveur des populations vulnérables, les ménages continuent de subir la hausse des prix sans percevoir un retour à la normale. Dans ce contexte, les autorités monétaires n’ont pas réussi, au cours de ces dernières années, à mettre en œuvre une feuille de route de ciblage de l’inflation via des ajustements du taux directeur.  

Le ciblage de l’inflation est un mécanisme monétaire qui consiste à fixer un taux d’inflation au début de chaque exercice budgétaire et à déployer tous les instruments disponibles pour le maintenir à ce niveau-là. Cependant, cette démarche s’est heurtée à de multiples obstacles, présentant ainsi des inconvénients. En effet, dans le contexte actuel, les tensions entre objectifs monétaires et contraintes budgétaires rendent complexe la stabilisation des prix tout en atteignant les objectifs visés.

En conséquence, le ciblage de l’inflation n’a pas permis à la Banque centrale de maintenir l’augmentation des prix à un niveau bas, stable et prévisible — une donne essentielle au bon fonctionnement de l’économie. Aussi, les impacts de la spirale inflationniste, combinés à une gestion difficile du risque de taux, ont pesé lourdement sur les perspectives de croissance de la Tunisie.

Depuis la pandémie de Covid-19 et les conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, le pays fait face à une succession de crises, marquées par une baisse de la demande suivie d’un choc d’offre, à l’origine de l’inflation. Néanmoins, certains indicateurs sont encourageants : les crédits à la consommation ont atteint 29 milliards de dinars à fin septembre, et les transferts des Tunisiens résidant à l’étranger se sont élevés à 7,9 milliards de dinars. De plus, les investissements étrangers ont progressé de 14,4 % à fin septembre, par rapport à la même période de l’année précédente.

Quels sont les secteurs ayant rencontré le plus de difficultés ?

L’économie tunisienne a montré des signes de ralentissement en 2024. Le secteur des services a enregistré une croissance modeste de 1,4 % en glissement annuel, portée principalement par les activités de restauration et d’hôtellerie. Le secteur agricole, quant à lui, a connu une reprise notable de 10,6 %. Cependant, d’autres secteurs affichent des performances faibles. Le secteur de l’énergie et des mines a subi une baisse significative de sa valeur ajoutée (-10,4 %), tandis que le secteur industriel a reculé de 1,5 % et celui de la construction de 1,2 %.  Les échanges extérieurs de biens et services ont aussi pesé sur la croissance, avec une contribution négative de 2,5 %. Bien que la croissance globale soit positive, le PIB reste inférieur à son niveau d’avant la pandémie de Covid-19. Les responsables économiques doivent relever de nombreux défis pour revitaliser l’économie, notamment en soutenant les secteurs en difficulté.

Quelles sont les perspectives économiques pour l’année 2025 ?

Dans un contexte de faible croissance, l’économie tunisienne doit relever des défis majeurs à court et moyen terme. Trois défis majeurs se présentent aujourd’hui : la lutte contre le chômage, en particulier celui des diplômés, la réduction des inégalités en matière de développement régional, et la révision du cadre réglementaire régissant l’investissement.

Les réformes initiées par le gouvernement envoient un signal positif aux investisseurs nationaux et étrangers. Aussi, pour stimuler l’économie, il est urgent de renforcer la compétitivité, qui repose à la fois sur la maîtrise des coûts et sur un environnement des affaires attractif. Des réformes visant ces deux axes sont aujourd’hui indispensables. Il est également crucial d’améliorer la gouvernance des entreprises publiques, y compris celles du secteur financier.

Aussi, la Tunisie doit diversifier son économie et renforcer sa sécurité énergétique pour garantir un approvisionnement stable et à moindre coût. Cela passe par le développement des énergies renouvelables, une alternative sérieuse aux sources d’énergie conventionnelles, et par des programmes ambitieux d’efficacité énergétique visant une gestion optimale de la consommation.

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