Dans un monde en pleine évolution, les mutations économiques et technologiques redéfinissent en profondeur le paysage de l’emploi. Les entreprises, les travailleurs et les décideurs politiques sont confrontés à des défis croissants, amplifiés par des facteurs mondiaux tels que l’incertitude économique, les progrès technologiques rapides et la transition énergétique.
Dans ce contexte, il devient essentiel d’anticiper les changements à venir pour naviguer avec succès dans l’avenir du travail. Le rapport Future of Jobs produit chaque année par le Forum Économique Mondial (FEM) s’efforce de fournir des perspectives concrètes sur l’évolution du marché de l’emploi, des compétences requises et des stratégies à adopter. Cette année, pour la première fois, la Tunisie a été incluse dans cette enquête mondiale, mettant en lumière les enjeux spécifiques du pays.
Ce qui modèle le marché du travail
Selon une note publiée par l’Institut arabe des chefs d’entreprise, Iace, depuis 2015, le rapport Future of Jobs du Forum Économique Mondial suit de près l’évolution du marché du travail en analysant les grandes tendances mondiales qui façonnent les emplois de demain. En s’appuyant sur des données provenant de milliers d’entreprises représentant des millions de travailleurs dans 50 pays, ce rapport met en exergue les principales transformations attendues d’ici 2030.
Selon l’enquête de 2025, environ 22 % des emplois à l’échelle mondiale devraient être profondément transformés d’ici 2030, soit environ 170 millions de nouveaux emplois créés, mais aussi 92 millions d’emplois supprimés. L’impact des nouvelles technologies, notamment l’Intelligence Artificielle (IA), la cybersécurité, le Big Data, ainsi que les avancées dans la robotisation et l’automatisation, façonneront les dynamiques de l’emploi.
Le rapport identifie plusieurs facteurs macroéconomiques et technologiques influençant cette évolution. L’une des principales tendances est l’adoption croissante des technologies numériques, avec l’IA et le Big Data en tête des compétences recherchées par les entreprises. Ces technologies devraient générer une croissance nette de l’emploi, mais elles entraîneront également des pertes d’emplois dans des secteurs plus traditionnels, en particulier ceux soumis à l’automatisation. Le ralentissement de la croissance économique, les pénuries d’approvisionnement et l’inflation sont également des risques majeurs qui pourraient limiter la création d’emplois, notamment dans les pays en développement.
D’autres éléments importants de cette transformation incluent les préoccupations environnementales et les politiques de transition énergétique. Les entreprises et les gouvernements se retrouvent de plus en plus contraints d’intégrer des pratiques plus durables, ce qui aura également un impact sur le type d’emplois demandés et les compétences nécessaires.
Une Tunisie face à des défis spécifiques
Le cas de la Tunisie, pour la première fois analysé dans ce rapport, illustre les défis spécifiques auxquels le pays est confronté. Bien que les tendances mondiales affectent la Tunisie de manière similaire, les résultats de l’enquête montrent que le pays est encore à un stade précoce de l’adaptation aux changements du marché du travail. À l’échelle mondiale, la proportion d’emplois en mutation est estimée à 22 %, tandis qu’en Tunisie, ce chiffre est légèrement inférieur, avec 20 % des emplois devant être modifiés d’ici 2030. Toutefois, la transition reste substantielle et pose des défis complexes pour l’économie tunisienne.
Une question majeure identifiée par les entreprises tunisiennes concerne les déficits de compétences, perçus comme le principal obstacle à la transformation du pays. En effet, 80 % des entreprises tunisiennes interrogées déclarent que la pénurie de compétences qualifiées est un frein majeur à leur croissance. Cette situation s’explique par plusieurs facteurs : le manque de formation adaptée aux nouvelles technologies, l’absence de programmes de reconversion efficaces et le faible niveau de spécialisation dans certains secteurs clés.
Pour répondre à ces enjeux, 86 % des entreprises tunisiennes prévoient d’investir dans la formation de leur main-d’œuvre pour répondre aux besoins croissants liés aux nouvelles tendances économiques, notamment l’IA, la cybersécurité et la pensée créative. Toutefois, ces initiatives se heurtent souvent à des contraintes économiques et à la lenteur du système éducatif à s’adapter aux exigences du marché du travail moderne.
L’émergence de nouvelles compétences : L’IA et la cybersécurité en première ligne
L’enquête révèle une forte demande de compétences spécifiques qui deviendront essentielles dans les années à venir. En Tunisie, l’Intelligence Artificielle et l’analyse de données (Big Data) arrivent en tête des compétences recherchées par les employeurs. Ces compétences sont vues comme essentielles pour la compétitivité des entreprises et l’adaptation aux nouvelles réalités économiques.
En parallèle, des compétences humaines telles que le leadership, la pensée créative et l’influence sociale prennent également de l’importance. Ces compétences non techniques sont particulièrement cruciales pour les entreprises tunisiennes qui cherchent à s’adapter à un environnement de plus en plus numérique et globalisé. La cybersécurité est une autre compétence clé qui se distingue, compte tenu de l’augmentation des menaces numériques et de la numérisation des processus dans de nombreux secteurs.
Pour répondre à cette demande croissante, de nombreuses entreprises tunisiennes prévoient d’investir dans des programmes de formation interne. Environ 70 % des entreprises interrogées comptent financer en interne leurs besoins en formation. De plus, près de 40 % des entreprises tunisiennes sont ouvertes à des modèles de cofinancement hybride, impliquant des partenariats public-privé pour garantir l’accès à une formation de qualité.
Les entreprises tunisiennes, tout en anticipant des transformations profondes de leur environnement, adoptent plusieurs stratégies pour naviguer à travers ces changements. L’automatisation des processus et l’amélioration des compétences sur le lieu de travail sont les deux stratégies les plus courantes mentionnées par les employeurs. L’adoption de l’IA et des outils numériques sera un levier majeur pour optimiser les opérations et réduire les coûts.
Les entreprises tunisiennes expriment également un besoin croissant de politiques publiques adaptées. Pour répondre aux défis du marché de l’emploi et aux pénuries de talents, 55 % des entreprises jugent crucial un financement public accru pour la requalification et l’amélioration des compétences de la main-d’œuvre. De plus, 50 % des entreprises souhaitent davantage de flexibilité dans les pratiques d’embauche et de licenciement pour mieux s’adapter aux évolutions économiques et technologiques rapides.
Finalement et non moins important, le financement de l’éducation et la réforme du système éducatif public sont des priorités pour garantir un meilleur alignement entre les compétences formées et celles requises par les entreprises. Une révision des législations sur le travail à distance est également jugée nécessaire pour soutenir la flexibilité et l’adaptabilité du marché du travail.
Les grandes tendances à surveiller pour les entreprises tunisiennes
Les entreprises tunisiennes se préparent à plusieurs transformations majeures dans les années à venir. L’adoption des technologies numériques, en particulier la numérisation des processus, sera l’une des tendances les plus déterminantes. Les employeurs estiment que l’élargissement de l’accès à Internet et l’adoption de nouvelles technologies entraîneront une transformation de leurs organisations, touchant environ 56 % des entreprises interrogées.
Les tendances macroéconomiques, telles que l’augmentation du coût de la vie et la faible croissance économique, sont perçues comme les obstacles majeurs à surmonter pour garantir une transition réussie. En outre, la transition énergétique et les investissements pour lutter contre le changement climatique devraient représenter une priorité pour les entreprises dans les années à venir, bien que cet enjeu ne soit pas encore pleinement intégré dans les stratégies de la majorité des entreprises tunisiennes.
Pour conclure, l’étude indique que la Tunisie, comme de nombreux pays, doit faire face à un avenir du travail incertain, façonné par des tendances mondiales telles que l’automatisation, l’intelligence artificielle, la cybersécurité et la transition énergétique. Les entreprises tunisiennes ont un rôle clé à jouer dans l’adaptation aux nouvelles réalités économiques, mais elles doivent également bénéficier de politiques publiques alignées pour renforcer la formation, la reconversion professionnelle et l’accès aux compétences nécessaires.
L’enquête montre aussi que, bien que des défis existent, il existe également des opportunités pour transformer le marché de l’emploi et pour garantir une croissance inclusive et durable. La mise en œuvre de politiques publiques efficaces et la collaboration entre entreprises et pouvoirs publics seront essentielles pour garantir une transition harmonieuse vers un avenir du travail meilleur pour tous, en Tunisie comme ailleurs. Pour les entreprises tunisiennes, il est impératif de prendre des mesures proactives dès maintenant afin de tirer parti des compétences émergentes, tout en gérant les défis socio-économiques et les tensions géopolitiques qui risquent d’entraver cette transition.