Le textile-habillement est en difficulté et risque même de disparaître, comme le prédisent certains observateurs. Et la responsabilité revient certainement aux premiers acteurs du secteur, qui, inconscients des enjeux et surtout insouciants, continuent leur navigation à vue en se contentant des solutions de facilité ou encore des dispositions provisoires. Une approche pénalisante car, comme l’a rappelé, mercredi dernier le Chef de l’Etat, lors d’un conseil des ministres, «les mesures partielles ou les ajustements temporaires n’ont aucune utilité. La solution doit être radicale», et ce, quel qu’en soit le domaine.
La Presse — Depuis longtemps, et notamment depuis les débuts des années 2000, tous les observateurs n’ont cessé de rappeler, à chaque fois que le contexte l’exige, le besoin stratégique du textile-habillement tunisien de se libérer de la sous-traitance et de passer, même progressivement au produit fini. On avait dit également que la sous-traitance n’a aucun avenir, c’est plutôt une solution provisoire. Certes, il y a eu quelques progrès, surtout vers la co-production, mais elle a été plutôt timide. La sous-traitance reste la composante dominante de notre industrie phare. Une telle physionomie, associée à la complexité administrative et à la lourdeur des charges financières, a rendu le secteur très vulnérable face aux chocs et surtout incapable non seulement d’élargir ses parts de marché, mais de préserver même ce qui a été déjà réalisé.
Une question de gouvernance
Plus grave, la délicatesse de notre environnement textile a contraint un grand nombre d’entreprises à l’abandon. D’ailleurs, l’annonce de Benetton de la fermeture prochaine de ses usines, après plus de 20 ans d’implantation, atteste de cette nouvelle réalité. Un coup dur pour l’industrie tunisienne, surtout que le groupe international assure 3.500 emplois directs et beaucoup plus en postes indirects.
«Il est clair donc que la situation de cette industrie, et comme on l’a déjà souligné, le 3 décembre 2024, est en difficulté. Elle risque même de disparaître ». Car elle est « passée d’une activité phare à une industrie précaire ». Et cela s’est justifié par une baisse spectaculaire en nombre d’entreprises ou en postes d’emploi. Sans parler d’un apport de plus en plus insignifiant en économie nationale.
Et il faut reconnaître que le problème majeur du secteur est, avant tout, une question de gouvernance. Une gouvernance qui repose sur une navigation à vue qui favorise la facilité et le provisoire. Or, comme l’a réaffirmé le Chef de l’Etat, jeudi dernier, lors d’un conseil des ministres, les mesures « partielles ou les ajustements temporaires n’ont aucune utilité. La solution doit être radicale ». Comprendre que le textile tunisien a besoin de remèdes et non pas de calmants. Il est clair que la situation actuelle désole profondément, surtout qu’au début des années 2000, ce secteur était, et de loin, le premier exportateur et employeur de toutes les industries manufacturières.
Une gestion défaillante
Mais ce qui désole encore plus, c’est la passivité des premiers décideurs du secteur, toujours en état de contemplation, malgré toutes les incitations mises à leur disposition. Une passivité reposant sur des conflits d’intérêts bien évidents. Justement, depuis plus de 20 ans, ce sont les mêmes dirigeants, ou presque, qui imposent une mainmise totale sur la destinée de notre textile. Un cercle bien fermé dans lequel on se réfugie souvent sous les casquettes d’experts, de spécialistes ou, dans la majorité des cas, comme des « textiliens » incontournables, pour continuer à tirer les profits et les bénéfices. Sans se soucier de l’avenir du secteur qui multiplie les contreperformances et s’enfonce de plus en plus dans les difficultés.Cette insouciance de ces soi-disant experts, généralement éparpillés dans les différentes structures d’appui ou dans des bureaux d’études et de conseils spécialisés, est en train de pénaliser sérieusement le secteur en termes de planification, d’encadrement, de veille et de réactivité. Ainsi, les professionnels et les entreprises, notamment les grands groupes, se sont retrouvés isolés, sans repères. Toutefois, et pour rester positif, l’on estime que malgré cette situation peu confortable, le textile- habillement, grâce à l’expérience acquise et surtout le potentiel dont il dispose, est en mesure de remonter la pente et prétendre à un nouvel envol, pour peu, que les premiers acteurs font montre de plus d’implication et d’engagement. Et à quelque chose malheur est bon, l’épisode de Benetton pourrait être l’élément déclencheur qui pousserait nos décideurs à réagir pour entreprendre, d’abord, les corrections urgentes, et entamer, ensuite, une refonte profonde de cette activité pour qu’elle retrouve, du moins à moyen terme, son statut naturel.
Garantir le bon redémarrage de la stratégie de redressement
Cela suppose toutefois la mise en place, avant tout, d’une nouvelle génération d’acteurs capables de garantir le bon redémarrage de la stratégie de redressement de ce secteur. Une ambition tout à fait légitime, surtout que le potentiel reste toujours important et les possibilités de sa revalorisation le sont encore plus. On se rappelle certainement comment le textile-habillement marocain, alors totalement sinistré, a réagi pour se relancer et prendre, du coup, un envol spectaculaire, à la faveur d’une stratégie de délocalisation et également de réorientation de l’offre qui a tenu compte de la nouvelle distribution des chaînes de production mondiales. Ce retour en force du textile marocain a été facilité par l’émergence d’une génération d’entreprises proactives misant totalement sur les principes de la personnalisation de la production, de la rapidité d’exécution et de la flexibilité.
Selon une note récente, « le secteur du textile-habillement marocain est aujourd’hui assez représentatif de l’économie marocaine. Il sert à ce titre de baromètre précurseur de changement significatif dans certaines pratiques managériales ». Et ce n’est pas tout. La même source retient que « le secteur contribue à la création de 7 % de la valeur ajoutée industrielle du pays avec environ 500 entreprises qui assurent environ la moitié des exportations des industries manufacturières ».
Et dire que 20 ans auparavant, le secteur tunisien assurait les mêmes performances et même mieux. Ce qui force les interrogations sur les raisons réelles de cette baisse de régime spectaculaire.