Accueil Actualités Vingt-neuvième rapport de l’Instance supérieure de contrôle administratif et financier : « La récurrence des irrégularités constitue une problématique structurelle »

Vingt-neuvième rapport de l’Instance supérieure de contrôle administratif et financier : « La récurrence des irrégularités constitue une problématique structurelle »

L’instance espère que les recommandations figurant dans ses différents rapports annuels serviront de point de départ et de support pour la réalisation de réformes fondamentales et profondes.

La Presse — Le Chef de l’Etat a reçu mardi 28 janvier au Palais de Carthage le président de l’Instance supérieure de contrôle administratif et financier (Iscaf), Imed Hazgui, qui lui a remis le vingt-neuvième rapport annuel de cette instance. A cette occasion, le Président de la République a souligné « la nécessité de concrétiser les recommandations contenues dans ce rapport dans les plus brefs délais ». Il a aussi souligné « l’importance d’œuvrer à l’élaboration de nouvelles conceptions, afin que les missions de contrôle et d’audit soient plus efficaces dans la préservation des fonds publics ». En effet, à quoi servent de tels rapports s’ils sont jetés aux oubliettes après leur publication et à quoi servent certaines instances si elles échouent dans leurs missions et se contentent, au mieux, d’un rôle de figurant sur la scène nationale.

Le locataire de Carthage est bien conscient que certaines « instances constitutionnelles indépendantes » sont le plus souvent cantonnées à un simple rôle de contrôle et de proposition et souffrent d’un manque de pouvoir exécutif. Par conséquent, leurs recommandations ne sont pas, dans la plupart des cas, suivies de mesures concrètes. Indubitablement, la faute n’incombe pas à ces instances, mais plutôt à certains principes conceptuels qui ne peuvent être appliqués en raison de difficultés pratiques. C’est d’ailleurs pour cette raison que les directives de Kaïs Saïed ont porté principalement sur deux volets, à savoir la concrétisation des recommandations et  l’élaboration de nouvelles conceptions. En quelques mots, le Président de la République a mis le doigt sur la plaie. Point n’est besoin donc d’élaborer des rapports chaque année, s’ils n’ont aucun effet et ne peuvent changer le cours des choses et mettre un terme aux manquements et violations enregistrés.

Mieux légiférer pour développer le système de contrôle

Consciente des lacunes qui subsistent à certains niveaux , le président de l’Iscaf, le juge Imed  Hazgui,  a de son côté souligné dans le préambule de ce 29e  rapport, que son instance travaille actuellement, sur instruction du Président de la République, sur une nouvelle loi visant à développer le système de contrôle, d’inspection, d’audit et de suivi dans le secteur public en vue de  «  remédier aux lacunes actuelles de ce système » et de « renforcer la coordination et l’intégration entre les différents niveaux de contrôle ». 

En effet, ce n’est que par le biais d’une nouvelle loi que le système de contrôle, d’inspection, d’audit et de suivi dans le secteur public pourrait gagner en matière d’efficacité. Derrière les différents rapports annuels élaborés par l’instance en question ces dernières années, un travail de fourmi qui demande beaucoup de patience, mais qui, le plus souvent,  n’est pas pris en compte ou suivi de mesures concrètes. Il est grand temps donc que de tels rapports aient les effets escomptés en matière de redevabilité. Les responsables doivent affronter les lacunes et sanctionner les violations et les abus sans faux-fuyants.

A ce propos, Imed Hazgui dévoile dans le préambule de ce rapport volumineux (600 pages)  que l’Iscaf a constaté, à travers la réalisation de ses travaux de suivi, que la majorité des structures publiques ne s’engagent pas spontanément dans un processus de réforme dès qu’elles reçoivent les conclusions des rapports de contrôle. Au contraire, elles attendent l’intervention de l’Instance pour commencer à corriger les lacunes relevées dans les rapports, mettre en œuvre les réformes nécessaires, ou initier les procédures administratives et judiciaires concernant les erreurs de gestion ou les infractions à caractère pénal signalées. Cette attitude, soulignons-le de notre côté, est diamétralement opposée aux recommandations du Président de la République qui n’a cessé d’appeler les responsables à assumer pleinement leurs responsabilités à tous les niveaux.    

Récurrence des erreurs de gestion et dégradation des équilibres financiers

Les résultats des travaux de suivi réalisés par l’instance au cours de l’année 2023 ont conduit à la correction de 1.866 irrégularités relevées sur l’ensemble des irrégularités suivies, soit un taux global de 59%. Le nombre total des défaillances et irrégularités suivies par l’instance durant cette période a atteint 3.173, couvrant divers aspects de la gestion publique. Cela inclut les carences relevées au niveau des outils réglementaires assurant le bon fonctionnement des structures publiques, le manque d’interconnexion entre les systèmes informatiques, jusqu’aux dysfonctionnements constatés en matière de gestion administrative et financière, de gestion des achats, de préparation, de passation et de suivi de l’exécution des marchés publics, ainsi que la gestion du parc automobile administratif, des biens immobiliers et des caisses sociales. Sans oublier les lacunes enregistrées au niveau de la mise en œuvre des programmes et politiques publiques.

Les travaux de suivi ont concerné 72 structures publiques, dont des services administratifs centraux et régionaux, des établissements publics administratifs et des établissements publics n’ayant pas de caractère administratif, des sociétés anonymes publiques, des universités sportives, des groupements professionnels et des coopératives.

Le premier chapitre du rapport présente une synthèse des principales données statistiques concernant l’étude et l’exploitation des résultats des rapports de contrôle, d’évaluation et d’inspection soumis à l’instance. Il examine également le suivi du degré de conformité des structures auditées quant à la correction des insuffisances et des dysfonctionnements relevés dans ces rapports.  A ce propos, les données statistiques montrent que l’instance a assuré, pendant la période concernée par le rapport, 58 opérations de suivi, portant sur l’étude et l’exploitation de 56 rapports de contrôle.

Quant au deuxième chapitre du rapport annuel de l’instance, il présente une description détaillée des différents rapports de contrôle, d’inspection et d’évaluation ayant fait l’objet de suivi par l’instance, que ce soit dans le cadre de suivis initiaux ou de suivis ultérieurs. Il comprend une synthèse des principales lacunes et irrégularités relevées dans ces rapports, ainsi qu’un exposé des efforts de correction entrepris par les structures concernées et des principales recommandations formulées par l’instance.

Imed Hazgui souligne dans le préambule que la publication de ce rapport coïncide avec une phase délicate que traverse notre pays. Une phase marquée par de grands défis et des difficultés majeures en matière de gestion publique. Ces difficultés se manifestent notamment par la récurrence des erreurs de gestion, la dégradation des équilibres financiers de nombreuses institutions et entreprises publiques, l’accumulation de leurs pertes, la réduction de leur rôle économique et social, ainsi que l’incapacité de certaines d’entre elles à entreprendre les réformes nécessaires, faute de moyens financiers et de compétences humaines adéquates.

Les dons étrangers passés au crible pour la première fois

Par ailleurs, il indique  que ce rapport annuel inclut, pour la première fois, une étude portant sur un échantillon de rapports d’audit financier réalisé par le Comité de contrôle général des finances (CGF) concernant certains projets financés par des prêts ou des dons étrangers. Cette étude expose les objectifs de ces projets, leurs composantes, leur mode de financement, ainsi que les principales conclusions des rapports d’audit les concernant.

Le développement des méthodes et du mode de gestion et l’amélioration de la performance des structures publiques nécessitent des réformes urgentes et profondes touchant tous les aspects de la gestion publique. Cela commence par la révision et le développement des outils réglementaires nécessaires pour assurer le bon fonctionnement du travail, le renforcement des systèmes de contrôle interne des structures publiques et la promotion des valeurs et de la culture. De telles réformes doivent également inclure la généralisation de la digitalisation, le développement des systèmes d’information et leur interconnexion, ainsi que l’établissement de mécanismes de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences et une gestion optimale, selon le président de cette instance, Imed Hazgui.

Dans ce même contexte, il explique dans son  rapport  que l’Iscaf a accordé une importance primordiale à la mise en œuvre du projet de numérisation du système de contrôle, d’inspection et d’audit dans le secteur public. Ce projet vise à interconnecter les structures de contrôle, d’inspection, d’audit et de suivi à travers un système d’information national intégré permettant l’échange d’informations à différents niveaux de contrôle, l’établissement de mécanismes de coordination et de complémentarité, ainsi que la création d’une base de données regroupant l’ensemble des rapports de contrôle, des données statistiques et leur traitement. Cela est en mesure de dresser une cartographie des risques au niveau national, de rationaliser les missions de contrôle et de réduire le délai de leur réalisation.

Il faut souligner que plusieurs institutions et entreprises publiques ont été épinglées  par  l’instance. Le rapport regorge de cas et d’exemples d’infractions enregistrées en tous genres à l’Institut tunisien des études stratégiques, la Société nationale immobilière de Tunisie, la Société des services nationaux et des résidences, la télévision tunisienne, la CTN, la Steg, l’Office tunisien de commerce, La Régie nationale des tabac et des allumettes, la BNA, la BH, Tunisie Autoroutes, le Groupe chimique tunisien, l’Agence de mise en valeur du patrimoine et de promotion culturelle, la Pharmacie centrale, l’Entreprise tunisienne d’activités pétrolières, la Fédération tunisienne d’athlétisme, la Mutuelle des personnels de la police et de la Sûreté nationales et des prisons et de la rééducation, et la liste est encore bien longue.

Une kyrielle de recommandations

Les résultats du suivi des rapports de contrôle et des rapports d’inspection ont mis en évidence que de nombreuses déficiences et irrégularités liées aux différents aspects de la gestion publique persistent au niveau de la plupart des structures publiques. Cela demeure le cas en dépit des avertissements émis par les organes de contrôle,  ainsi que par l’instance à plusieurs reprises, que ce soit lors de la publication et de la présentation des résultats de ses rapports annuels s’instaurant dans le cadre de diverses sessions de formation, ou lors de sa participation à de nombreux ateliers et conférences nationales sur la gestion publique et les moyens de rationaliser la gouvernance, indique l’instance dans son rapport.

L’Iscaf considère que la persistance et la répétition des irrégularités représentent désormais une problématique structurelle nécessitant une intervention approfondie et transversale pour en traiter les causes réelles. Il devient également indispensable de réviser certains textes législatifs et réglementaires qui ne sont plus en phase avec la réalité de la gestion publique.

Compte tenu de l’importance de ces irrégularités et de leurs effets négatifs sur le processus de gouvernance et la bonne gestion des ressources publiques, l’instance a présenté une série de recommandations, dont certaines sont générales et applicables à l’ensemble des domaines de la gestion publique, tandis que d’autres sont spécifiques et concernent les dossiers suivis au cours de la période couverte. L’instance a par ailleurs souligné que les efforts de réforme ne doivent pas se limiter uniquement aux structures ayant fait l’objet d’audit ou de suivi, mais doivent s’étendre à toutes les structures publiques ou semi-publiques, à la lumière des insuffisances et irrégularités qui les concernent, sans attendre les missions de contrôle et d’audit.

L’instance espère également que les recommandations figurant dans ses différents rapports annuels serviront de point de départ et de support pour la réalisation de réformes fondamentales et profondes.

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