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Cela fait plus de cinquante ans que la Tunisie forme des ingénieurs. Le pays peut se vanter d’être « une véritable fabrique d’ingénieurs ». En 2020, le nombre des diplômés des écoles d’ingénieur dépassait les 7.000, dont 43 % spécialisés dans les filières TIC. Cependant, bien que mature, le système actuel de formation nécessite, aujourd’hui, une refonte. Objectif : former des ingénieurs compétents, responsables et éthiques, capables de relever les défis actuels et futurs.
La Presse — La formation universitaire des ingénieurs en Tunisie a fait l’objet d’un débat organisé récemment par l’Association des Tunisiens des Grandes Écoles (Atuge). Lors de cette rencontre, il était question de présenter les travaux du livre blanc, un document volumineux élaboré conjointement par le ministère de l’Enseignement supérieur, l’Atuge, l’Utica, l’Agence française de développement et l’Ordre des ingénieurs tunisiens, en vue de tracer une nouvelle voie réformatrice pour le système de formation des ingénieurs dans le pays. Les intervenants, en l’occurrence Yomna Rebai, directrice générale des études technologiques au ministère de l’Enseignement supérieur, Naceur Ammar, expert international auprès de la CTI, Basma Fayech, maître assistante en informatique à l’Ensit, et Hatem Zenzri, ancien directeur de l’École nationale des ingénieurs de Tunis, ont dressé l’état des lieux de la formation académique des ingénieurs et ont présenté les principales recommandations issues dudit livre. Selon les intervenants, les vingt dernières années ont connu une diversification de la typologie de la formation.
Une réforme sous-tendue par plusieurs défis contemporains
En effet, le système a évolué à grande vitesse, notamment avec la création de plusieurs établissements publics et privés. Un élan qu’il fallait, selon les intervenants, modérer afin de stabiliser le système. Ainsi, depuis 2020, l’habilitation des parcours de formation, aussi bien dans le secteur public que privé, a été gelée, et les parties prenantes ont pris la décision de prendre du recul pour réfléchir aux moyens de faire évoluer cette filière.
Pour Naceur Ammar, la genèse de ce livre blanc intervient dans un contexte marqué par de grands défis. Il a cité, en premier lieu, l’effritement du système de formation, avec un nombre élevé d’établissements de formation des ingénieurs, qui s’élève à 80 parmi 300 établissements universitaires, toutes spécialités confondues. Un nombre jugé excessif, non seulement par rapport à la taille du pays, mais aussi à ses besoins et à ses moyens. Le deuxième défi, selon lui, est l’absence d’orientation stratégique pour le système éducatif en général. Une lacune qui a marqué les années post-révolution, mais qui est aujourd’hui en voie d’être comblée, puisque, à partir de 2023, « on a commencé à réfléchir aux orientations stratégiques ».
D’ailleurs, le livre blanc sur la formation des ingénieurs en est un parfait exemple. Enfin, l’expert a mis l’accent sur la nécessité de renouveler les approches pédagogiques et les modes d’apprentissage. « Ce sujet de la formation des ingénieurs ne peut être abordé sans évoquer le développement de la technologie, de l’ingénierie et de l’économie du savoir. Ce triptyque est essentiel pour le développement d’une économie tunisienne fiable », a-t-il souligné. Il a ajouté que la commission nationale de réflexion sur la formation des ingénieurs a réalisé un travail de fond et que l’ensemble des actions proposées porte en elles les solutions à même d’assurer un système stable, moderne et structuré. « Nous avons un ensemble d’orientations stratégiques qui ont été pensées, mesurées et bien décrites. Il reste maintenant à passer à la mise en œuvre », a-t-il conclu.
Etat des lieux
Cela fait plus de cinquante ans que la Tunisie forme des ingénieurs. Le pays peut se vanter d’être « une véritable fabrique d’ingénieurs ». En 2020, le nombre d’ingénieurs fraîchement diplômés dépassait les 7.000, dont 43 % spécialisés dans les filières TIC. À l’exception de l’agronomie, la quasi-totalité des spécialités et filières d’ingénierie affichent une forte employabilité, notamment à l’étranger. Toutefois, les évolutions du système de formation ont été considérables. Le nombre d’écoles d’ingénieurs est passé de deux en 1970 (Inat et Enit) à plus de 88 établissements répartis sur 13 gouvernorats, aussi bien dans le secteur public que privé.
Bien que mature, le système de formation des ingénieurs nécessite une refonte en vue de le moderniser. Il a connu trois étapes clés : la réforme de 1995, qui a permis d’adopter un système similaire à celui pratiqué en France, mettant fin aux formations bac+6 au profit d’un cursus bac+5, avec un cycle préparatoire de deux ans suivis de concours nationaux et d’un cycle d’ingénieurs.
En 1996, l’Insat, connu pour son système préparatoire intégré, a été créé. Enfin, les années 2000 et 2010 ont été marquées par l’habilitation de formations dans les établissements privés.
Bien que ce système demeure attractif pour les meilleurs bacheliers, il perd aujourd’hui de son attrait au profit des formations en informatique avec cycle préparatoire intégré. Le système du concours met une pression importante sur les étudiants et ne leur donne pas de visibilité sur leur futur parcours académique.
Les intervenants ont souligné que l’objectif de la réforme du système de formation des ingénieurs en Tunisie et du livre blanc est de former des ingénieurs capables d’avoir un impact sur la société et de contribuer à la croissance économique du pays. Le benchmark réalisé dans le cadre des travaux du livre blanc a révélé que la richesse des formations dans les pays étudiés repose sur des partenariats industriels, l’innovation et la recherche.
Nouvelles missions, nouveaux objectifs
Ainsi, la nouvelle mission du système de formation des ingénieurs a été définie dans cet ouvrage : former des ingénieurs compétents, responsables et éthiques, capables de relever les défis actuels et futurs en s’appuyant sur une pédagogie innovante et en étroite collaboration avec l’industrie.
Il s’agit de mettre en place un système de formation structuré, efficient, ouvert, inclusif, innovant et entrepreneurial, capable de répondre aux enjeux économiques et sociaux de la Tunisie et de promouvoir la qualité et l’excellence en phase avec les grandes transitions contemporaines.
Sept orientations stratégiques ont été, donc, définies pour un nouveau système de formation des ingénieurs, au service d’une économie du savoir dynamique : le développement d’un système structuré, inclusif et cohérent, la mobilisation de tous les acteurs pour favoriser l’innovation, l’engagement du système de formation au service de la société tout en intégrant les grandes transformations, la focalisation de la gestion du SFI sur la performance et la qualité, la rénovation pédagogique continue, le développement de l’internationalisation du SFI et le soutien aux domaines majeurs de l’ingénierie.