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Ce recueil est un hommage à ce grand nom de la scène littéraire au grand bonheur des admirateurs de sa poésie en Tunisie comme ailleurs.
La Presse — Écrivain, traducteur et activiste de la poésie internationale, Moëz Majed est également fondateur et président du Festival international de poésie de Sidi Bou Saïd. Partant de son inspiration universelle et de sa propre expérience poétique digne d’intérêt, il s’est penché sur la traduction d’une sélection de textes de feu Mohammed Ghozzi qui nous a quittés en janvier 2024.
Mohamed Ghozzi est un poète arabophone de renommée, lauréat de plusieurs prix littéraires tunisiens et arabes. Il était également critique littéraire et producteur de programmes pour la Radio et la Télévision nationales. Dans une édition bilingue de Khraief Editions, ce recueil intitulé « Aurais-je de l’eau aux portes des bien-aimés ? » est un hommage à ce grand nom de la scène littéraire au grand bonheur des admirateurs de sa poésie en Tunisie comme ailleurs. Moëz Majed a donc « repris le chemin vers la langue arabe », cette « langue complexe nouée par les fils de l’affect et de l’appartenance » comme il l’a indiqué dans la préface du livre, afin de nous livrer 24 poèmes traduits. Comme il a connu de près Mohamed Ghozzi, il a puisé son inspiration dans les vers, mais aussi la pensée du créateur de l’œuvre originale et « son âme qu’il partage en saluant le vagabond, l’amoureux, le solitaire et ses semblables humains ». Le titre, tiré du poème « Le départ» (Arrahil) annonce l’eau comme voix des émotions, à déceler tout au long du livre, captant par ses différentes connotations l’essence de notre rapport au monde et de notre vulnérabilité. Pourquoi l’eau ? Moëz Majed indique dans la préface que cet élément précieux de la nature « est sans doute la plus belle métaphore », rendant la poésie de Mohamed Ghozzi « si singulière ». Source de vie et muse intarissable, ce thème est fortement évoqué dans la littérature française comme « Le rêve a besoin d’eau », dit Gaston Bachelard, et le poète aussi. Depuis « Le lac » de Lamartine », « Au bord de l’eau » de Maupassant, jusqu’à « Chanson de l’eau » de Prévert, en passant par « L’homme et la mer » de Baudelaire et « Le Pont Mirabeau » de Apollinaire, une riche palette de symboles aquatiques charrie des sensations scrutées dans les profondeurs intimes de l’être.
« Aurais-je de l’eau aux portes des bien-aimés?» serait ainsi une continuité de cette expressivité poétique. « Fuyant l’oubli, le temps et les années qui passent » et « repoussant les limites de ce monde injuste, bruyant et inquiétant», dixit Moëz Majed. En déchiffrant la métaphore des eaux dans les vers en langue arabe, sa qualité de créateur de poésie lui a conféré un regard intérieur sur cette expérience singulière de traduction. Loin d’être une copie, le texte en français reprend l’union de sens et de la sonorité qui caractérise la poésie de Mohamed Ghozzi, tout en conservant son charme, sa puissance d’intensité et sa mélodie. D’ailleurs, la présentation bilingue de l’édition produit un effet d’accroche sur le lecteur en soulignant davantage la proximité entre les poèmes. Il ne s’agit pas seulement de donner l’équivalent le plus fidèle. C’est tout un acte de création qui puise sa force dans les jeux du langage du texte original et la portée émotionnelle de la langue d’accueil, afin de conférer aux mots une deuxième identité, mais aussi une seconde profondeur. Par le choix des extraits traduits, celui qui a « le don de remettre sur les rails les wagons oubliés dans les gares délabrées » nous emmène dans un voyage qui transcende l’espace, depuis Kairouan, ville natale de feu Ghozzi, vers « des contrées lointaines », des « Royaumes d’Afrique » et l’Andalousie. Jusqu’au retour aux sources. L’eau se fait alors l’écho de « la poésie immuable de l’univers ». Les vers du poète qui a su « tenir les serments de l’eau » et « le pacte des sources » chantent avec un rythme vivant les parcours de la vie avec sa profondeur insondable. C’est une allégorie pour dépeindre sa relation à l’écriture, au destin, à la nature, au rêve, à la femme et à l’amour. Par sa richesse symbolique, cette œuvre invite ainsi à percer « les secrets de l’eau » dans une introspection personnelle où « les paradis invisibles » sont rêvés à travers des vers qu’on lit, qu’on entend, qu’on ressent. Tous les sens sont convoités !
« Aurais-je de l’eau aux portes des bien-aimés ? » est un hommage soulignant à la fois la valeur du legs de feu Mohamed Ghozzi et la sensibilité poétique de Moëz Majed qui s’est mis sur sa trace pour rendre au lecteur sa « vérité la plus pure, la plus sincère », comme il le souligne dans la préface. Nous espérons voir cette traduction publiée à l’international, comme les œuvres précédentes de Moëz Majed, afin de faire connaitre au public francophone le génie de Mohamed Ghozzi, figure emblématique de la poésie tunisienne.