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Par Mohamed KOUKA
Un livre sur Aly Ben Ayed vient de paraître. Mais qui est Aly Ben Ayed ? Avant d’évoquer le personnage, essayons de le situer dans le mouvement général de la création théâtrale dans le monde.
La mise en scène ne s’affirme comme art autonome que vers la fin du dix-neuvième siècle. A vrai dire dès les années 1860, les pratiques théâtrales ne peuvent plus être circonscrites géographiquement, ni totalement expliquées par une tradition nationale. L’apparition de l’éclairage électrique précipite l’évolution de la représentation théâtrale. Avec le courant naturaliste théorisé, en France, par Emile Zola et mis en pratique au théâtre par André Antoine, considéré comme le premier metteur en scène au sens moderne du terme. Une mise en scène libérée des clichés et des pesanteurs traditionnelles s’est imposée. A cet égard, Antoine inaugure l’ère de la mise en scène en tant que réelle création, véritable réalisation donnant un sens global non seulement à la pièce représentée, mais à la pratique du théâtre en général. Dorénavant, on parle de théâtralité de la mise en scène, de production de sens, loin de tout texto-centrisme prônant un mimétisme illusionniste. On en vient au concept de théâtralité. Il y a deux siècles Denis Diderot, philosophe français des Lumières, avait, déjà, pris conscience du phénomène de la théâtralité, même si Aristote l’avait déjà signalé : on peut prendre du plaisir à la représentation théâtrale d’un objet qui, dans la réalité, suscite la répulsion. C’est vers la fin du dix-neuvième siècle que la tendance illusionniste, qui prévalait et qui se souciait de camoufler les instruments de production de la théâtralité, pour rendre la magie plus efficace, est remise en question. C’est l’affichage de la théâtralité qui prévaut. Selon le dictionnaire de Patrice Pavis, «La théâtralité peut s’opposer au texte dramatique lu ou conçu sans la représentation mentale d’une mise en scène. Selon Barthe, la théâtralité, c’est le théâtre moins le texte, c’est une épaisseur de signe et de sensations qui s’édifie sur la scène à partir de l’argument écrit, c’est une sorte de perception œcuménique des artifices sensuels, gestes, tons, distances, substances, lumière, qui submerge le texte sous la plénitude de son langage extérieur. Venons-en à notre propos, au livre de Mohamed Elmay et à « Aly Ben Ayed ». Le livre retrace le parcours admirable, épique, de Aly Ben Ayed. Depuis ses débuts en passant par des moments remarquables, des moments qui ont marqué l’histoire du théâtre et de la culture nationales. Sans oublier l’intelligence, la maîtrise, la chaleur avec laquelle Ben Ayed s’est emparé des drames shakespeariens, il faut évidemment évoquer son interprétation du rôle de Caligula qui reste un moment de théâtre, inoubliable, remarquable, son interprétation du personnage de l’empereur romain reste un modèle d’interprétation d’une densité, d’une sensibilité, d’une chaleur humaine confondante. Caligula avait décidé de ma vie. C’est en assistant à une représentation de Caligula que j’avais décidé de faire du théâtre un métier pour la vie. Mais Aly Ben Ayed n’est pas uniquement comédien, il est aussi metteur en scène. Son apport au théâtre tunisien est absolument déterminant. Il a introduit la mise en scène au théâtre tunisien. Avant lui, la représentation théâtrale se contentait d’une mise en place et d’un réglage des entrées et sorties des comédiens ? Abdelaziz Agrebi se contentait d’une bonne diction, un exemple. Avec Aly Ben Ayed, la représentation théâtrale s’est enrichie d’un usage spécifique de l’espace du jeu en introduisant une scénographie évolutive à l’usage spécifique pour chaque pièce théâtrale. Un emploi de la lumière en rapport dialectique avec la scénographie.
La mise en scène se construit en véritable langage agissant intelligemment sur le sensible. L’accès du théâtre tunisien à la modernité technique et esthétique, nous le devons totalement au génie de Ben Ayed, le livre de Mohamed Elmay arrive à point nommé pour nous ramener en mémoire ce personnage, disparu tellement jeune, et peut-être un peu trop oublié.
M.K.