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Par Skander SALLEMI (Conseiller fiscal)
Lorsque l’administration fiscale tunisienne introduit de nouvelles dispositions ou s’octroie de nouvelles prérogatives, elle est supposée agir de manière justifiée et fondée, tout en ayant les moyens d’appliquer ces modifications de manière équitable et efficace.
En vertu de l’article 52 de la loi de finances 2022, la procédure d’achat en suspension de TVA a été supprimée pour les sociétés de services totalement exportatrices et les sociétés de commerce international totalement exportatrices. En contrepartie, l’administration fiscale s’est engagée à respecter les délais légaux et à restituer les reports de TVA à ces entreprises dans un délai de sept jours.
Cependant, la transparence de cette mesure reste sujette à débat, notamment en raison de l’absence d’évaluation et de publications relatives à l’impact des nouvelles dispositions fiscales introduites par les lois de finances.
Une justification insuffisante
L’un des principaux arguments avancés par l’administration fiscale pour justifier cette suppression était la lutte contre l’évasion fiscale. Cet argument a été mentionné dans l’exposé des motifs de la loi, mais sans données concrètes permettant d’évaluer l’ampleur des fraudes supposément associées à cette procédure. Pourtant, les achats en suspension de TVA étaient soumis à des contrôles préalables et postérieurs, ce qui rend d’autant plus nécessaire une évaluation détaillée des failles du dispositif avant toute suppression.
Si des défaillances existaient dans la procédure, il aurait été logique de commencer par une évaluation complète, incluant une analyse des moyens mis en place et du personnel en charge. Le ministère des Finances aurait également dû mesurer l’impact de cette mesure sur l’administration fiscale elle-même et sur les entreprises concernées. Une telle démarche aurait permis d’anticiper l’augmentation des demandes de restitution et de s’assurer que les ressources nécessaires étaient disponibles pour un traitement équitable et transparent de ces demandes.
Un impact mal anticipé
Dans le même temps, le ministère des Finances avait déjà signalé un manque de personnel pour améliorer l’efficacité du contrôle fiscal. Malgré cette contrainte, la suppression de la procédure d’achat en suspension de TVA a été maintenue. L’une des conséquences directes a été un ralentissement du contrôle fiscal, car les inspecteurs en charge de ces missions ont dû être mobilisés pour traiter les demandes de restitution de TVA.
Ce déséquilibre s’est particulièrement fait sentir dans certaines régions où l’administration manquait de personnel pour gérer à la fois le contrôle fiscal et l’examen des demandes de restitution. Les délais légaux ont été largement dépassés, privant les entreprises concernées de sommes conséquentes que l’administration ne parvenait ni à traiter ni à restituer dans les temps.
Les petites entreprises de commerce international et les sociétés de services destinées à l’export ont été les plus durement touchées.
Déjà vulnérables en raison de ressources financières limitées, leur situation s’est encore compliquée avec cette mesure, qui a grevé leur trésorerie et fragilisé leur compétitivité.
Une gestion budgétaire discutable
D’un point de vue des finances publiques, le ministère a comptabilisé dans ses recettes fiscales la TVA payée par les sociétés concernées. Toutefois, ces montants sont en réalité des dettes de l’Etat, car ils doivent être remboursés aux entreprises.
Ce mécanisme s’apparente ainsi à une forme de financement indirect des caisses de l’Etat par les entreprises totalement exportatrices, ce qui soulève d’autres questions sur la transparence budgétaire de cette mesure.
Une nécessité d’amélioration
Cette situation soulève de nombreuses questions sur la transparence des lois de finances et la crédibilité des solutions adoptées unilatéralement. Il devient impératif d’améliorer la conception de ces projets en les soumettant à une argumentation solide, des évaluations rigoureuses et des études d’impact.
Une telle approche permettrait non seulement de préserver la sécurité financière des entreprises, mais aussi de rétablir la confiance entre les jeunes opérateurs économiques et l’Etat.