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Rencontre des écrivains euro-tunisiens : Quand le papier rencontre le digital

« Défis et enjeux de la littérature dans un monde connecté » est une rencontre qui a soulevé différents aspects de la relation polémique entre la lecture et le monde digital. La lecture et le digital font-ils bon ménage et dans quelle mesure la technologie moderne menace-t-elle le livre en papier?

Après des travaux de restauration, l’ancienne église Sainte-Croix de Tunis a ouvert ses portes au public depuis le mois de novembre dernier. Désormais complexe culturel et bénéficiant de son emplacement au cœur de la Médina, elle abrite des évènements de haut niveau. Cet espace a accueilli les « Rencontres des écrivains euro-tunisiens » qui ont été tenues du 16 au 18 mars.

De grands noms de la scène littéraire et des chercheurs tunisiens et européens se sont rassemblés pour des ateliers et des tables rondes. Parmi les participants figurent Amira Ghenim, KmarBendana, Mehdi Kattou, Elvira Navarro, Fares Ben Souilah, Sami Mokaddem, Yamen Manai, Azza Filali, Laurent Gounelle, Andreas Unterweger et bien d’autres. Un atelier de création collaborative autour des bandes dessinées a été dirigé par Vincent Lemire, Seifeddine Nechi, Nada Dagdoug et Lotfi Ben Sassi.

Le public présent à la soirée du lundi 17 mars a fortement applaudi les élèves du lycée PMF inscrits au club de poésie plurilingue « Rimes embrassées. ». Les enfants ont présenté des lectures poétiques en arabe, en français et en anglais avec un accompagnement musical. Par la suite, spécialistes et passionnés de lecture se sont réunis pour une table ronde « Quand le papier rencontre le digital : défis et enjeux de la littérature dans un monde connecté ». Cette rencontre a été animée par le journaliste Tarek Mrad en présence de l’auteure espagnole Elvira Navarro, l’essayiste Mehdi Kattou, le booktuber Fares Ben Souilah et l’écrivain et éditeur Sami Mokaddem. Le débat a porté sur différents aspects de la relation polémique entre la lecture et le monde digital. 

Problématiques diverses

La lecture et le digital font-ils bon ménage et dans quelle mesure la technologie moderne menace-t-elle le livre en papier?  

Pour répondre à ces questions cruciales, les intervenants ont commencé par évoquer leur passion pour la littérature et comment « elle les a rendus meilleurs ». Ils ont souligné que les jeunes ont aujourd’hui accès à un grand nombre d’attractions et à une variété de moyens de divertissement d’où la nécessité d’instaurer la culture de la lecture. Quels sont les enjeux imposés par l’avancée technologique?

Commençant par l’acte d’écrire, dans quelle mesure est-il impacté par les moyens et les nouveaux  outils dont on dispose ? Fares Souilah a souligné que l’IA permet aux utilisateurs qui n’ont pas forcément le niveau requis pour écrire un livre de s’exprimer, de développer leurs idées en des textes bien structurés et facilite par ce fait l’acte d’écrire en le portant à d’autres niveaux. « Finalement, tout le monde se trouvera au même niveau littéraire », poursuit-il. « Un enjeu éthique se pose dans ce sens, car on ne peut plus savoir qui a réellement écrit une œuvre.

On offre au lecteur un produit dont il ne connaît pas vraiment l’origine. Il y aura certainement des gens qui continueront à conserver leur plume. Mais  l’avenir est incertain avec l’avancement technologique. » Le progrès digital qui transforme l’acte d’écrire a ainsi des retombées sur le rapport entre le lecteur et l’écrivain et même entre le lecteur et l’œuvre.

L’IA peut imiter le style de lecture d’un écrivain particulier. Il y a même des livres sur Amazon complètement générés par l’IA. Fares Souilah a indiqué dans ce sens que l’on retrouve des failles dans la structure narratologique des récits générés par IA contrairement au travail des écrivains qui font un effort pour livrer un produit final presque parfait. Quant à Elvira Navarro, elle a confirmé que la digitalisation est en train de déformer l’acte d’écrire. Elle s’attache encore au papier qui incarne, selon elle, « la liberté d’expression sur une feuille blanche »avec l’impression que  les mots jaillissent comme un dessin.

L’impact de la technologie sur l’édition 

Mais, finalement,« on ne peut pas être technophobe » comme l’a lancé le modérateur Tarek Mrad, qui a rappelé l’existence de tablettes qui reconnaissent l’écriture manuscrite. On écrit dessus au stylo et l’écriture sera traduite en caractères digitaux. Elles imitent le contact entre le papier et le stylo jusqu’à cette sensation de scratch. Le deuxième point au centre du débat a été l’impact de la technologie sur l’édition. En effet, il y a actuellement des  plateformes où les écrivains mettent leurs livres à disposition des lecteurs sans passer par l’intermédiaire d’une maison d’édition. « Quelle est alors la valeur ajoutée de l’éditeur ? », a demandé le modérateur. « Est-ce dans l’avis qu’il donne sur le manuscrit? Dans la communication ? »

Sami Mokaddem a souligné que l’édition est un travail de lecture et d’accompagnement. Les éditeurs apportent des changements aux livres qui vont jusqu’à reprendre la rédaction de certains passages. Fares Souilah trouve, par contre, qu’ils interfèrent aux choix de l’écrivain, ce qui freine sa liberté. Selon Mehdi Kattou, l’édition est une industrie. L’approche juridique et financière est importante pour la viabilité du secteur. « On a beau parler de l’aspect poétique », insiste-t-il, « mais la réalité nous rattrape. Le consommateur est bénéficiaire dans tous les cas. »

Les voix qui s’élèvent contre la technologie craignent donc principalement la menace économique. Or, de nouvelles méthodes de promotion des livres sont offertes dans le monde connecté. Le rôle des influenceurs et des booktuber prend ici une grande ampleur.  Fares Souilah a raconté qu’il reçoit des livres de la part de maisons d’édition françaises qu’il peut critiquer et donner son avis ouvertement.

Sonia, alias Serial reader, et Amal qui gère la page The book wizard sur Instagram ont intervenu pour indiquer qu’elles donnent des ressentis qui touchent le public, notamment la nouvelle génération qui préfère un contenu facile sans tomber dans la technicité. Elvira Navarro a quand même insisté sur la nécessité d’avoir des connaissances pour déceler la profondeur d’un livre et qu’il ne s’agit pas simplement de dire si on aime ou pas le contenu. Les intervenants ont également évoqué les supports multiples qui amènent un renouveau dans le monde littéraire.

Les livres audio gagnent en popularité et un écrivain peut faire parvenir sa voix à un public plus large avec le format électronique. Une nouvelle dimension s’ajoute à la lecture : expliquer des mots, renvoyer au contexte jusqu’à la lecture en mode livre immersif en montrant les endroits décrits dans le livre. « Est-ce que les deux formats peuvent continuer à exister ensemble ? », demande le modérateur à la fin du débat. Les intervenants se sont montrés optimistes. Même si le génie littéraire humain semble en compétition avec l’IA, il gardera le privilège de devancer les logiciels, d’aller là où les outils modernes ne pourront jamais aller.

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